Tisser des liens en Méditerranée

Mouvement International ATD Quart Monde

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Mouvement International ATD Quart Monde, « Tisser des liens en Méditerranée », Revue Quart Monde [Online], 211 | 2009/3, Online since 05 February 2010, connection on 24 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3452

Nous reproduisons ici un extrait de la Chronique du séminaire Méditerranée, organisé par le Mouvement ATD Quart Monde en 2005, à Aix-en-Provence(France). Les participants, venus de tout le Bassin méditerranéen, avaient en commun un engagement dans chacun de leur pays. Au-delà de toute attente, l’expérience montra comment l’engagement auprès des plus pauvres constitue un terrain de rencontre possible et en profondeur entre des personnes venant de pays entretenant des rapports compliqués.

Index de mots-clés

Citoyenneté, Solidarité

Index géographique

Méditerrannée

Au début des années 2000, d’Algérie, d’Égypte, d’Espagne, de France, d’Israël, d’Italie, de Palestine, de Turquie, du Liban, du Maroc, ... du courrier arrive chaque jour à Marseille au petit secrétariat du Forum Permanent en Méditerranée 1. Lettres, courriels, envoyés par des personnes ou par de petites associations engagées au quotidien avec les plus fatigués de leur pays. Échange d’expériences, de difficultés et d’espoirs qui les soutient dans leur engagement, souvent depuis plusieurs années.

A partir de 2002, les membres de ce Forum permanent en Méditerranée sentent le besoin de se rencontrer autrement que par courrier. Naît le projet d’un séminaire où les rôles seront renversés : la voix des premiers experts de l’existence des peuples tombera dans l’oreille de ceux qui sont désireux de se mettre à leur écoute.

Une longue et minutieuse préparation

Aboutissement d’une longue et minutieuse préparation, le séminaire Méditerranée se tient en septembre 2005 pendant cinq jours au centre de formation et de rencontre de La Baume, à Aix-en-Provence. Il réunit des personnes membres du Mouvement international ATD Quart Monde et des personnes engagées dans des associations proches des plus pauvres dans les pays du Bassin méditerranéen.

Ces associations - de profils très différents par leur taille, leurs moyens, leur histoire - sont toutes engagées dans la proximité et l’action commune avec leurs concitoyens les plus démunis. Entre 2002 et 2005, avec le soutien d’amis de longue date, des volontaires du  Forum permanent  vont sur place faire connaissance avec ces associations, en rencontrer les membres et partager leurs préoccupations.

Ce projet est une étape importante pour chacun des participants dans ses efforts de connaissance, d’écoute, de découverte des autres personnes venues de tous les bords de la Méditerranée, des personnes et familles les plus rejetées dans sa région, et du Mouvement ATD Quart Monde.

Une Chronique est publiée en 2006, transmission qui semble la plus adaptée pour rendre la densité et la richesse des liens qui se sont noués entre les hommes et les femmes engagés dans cette aventure du séminaire, dans ses prémices et dans ses suites. Aventure pleine de risques, de surprises et d’enseignement étant donné la diversité des participants, venus de pays entretenant des relations difficiles. Entreprise bâtie étape par étape mais surtout personne par personne, dans des relations qui se construisent avec soin car tous les savent fragiles et précieuses, et qui ont débouché sur ce souhait exprimé par un participant le dernier jour du séminaire : « Que l’Orient du futur ressemble un jour à notre rencontre… »

Chacun a en lui un monde à partager

Les plus pauvres, souvent les premières victimes de conflits organisés, entretenus par les pays les plus riches, les plus puissants, doivent avoir  un rôle éminent dans le dialogue entre tous les hommes et les femmes de bonne volonté qui, seul, peut conduire à la paix.

L’objectif du séminaire n’était certes pas de restaurer la paix entre des pays en conflit depuis des décennies, ce qui aurait été présomptueux. Cependant, chacun constata que l’attention, la priorité, l’engagement aux côtés des personnes les plus démunies de son propre pays a permis à tous les participants des rapprochements et une connaissance mutuelle inespérés et bouleversants.

Avant même de commencer la réflexion sur les différents thèmes, cinq ateliers sont proposés : la peinture, la création en fil de fer, les nouvelles technologies, le théâtre et la calligraphie (en caractères arabes, hébraïques et latins).

Imaginons un instant une forêt de fils de fer multicolores posés en vrac sur une longue table ; sur une table voisine, des calames, des encres sur fond d’affiches encore immaculées ; et aussi des palettes de peinture, des pinceaux, des chevalets, envahissant le patio sous la galerie extérieure menant aux salles de réunions. Dans une de ces salles, des tapis au sol attendent ceux qui vont se risquer à l’atelier théâtre. Ailleurs encore, dans la grande salle des plénières, six ordinateurs reliés à Internet vont permettre des échanges à distance ou la conception d’un « blog »

… Peu de paroles sont échangées, mais une grande concentration s’installe dans tous ces lieux, un mystère même derrière la porte ostensiblement fermée de l’atelier théâtre… Chacun fait l’expérience des mains et des corps qui travaillent et se rapprochent pendant que la tête se vide peu à peu des clichés, que les tensions se lâchent, parfois dans la douleur et l’appréhension, mais dans un cadre bienveillant, et sous la direction d’animateurs compétents.

«  Il y a des amitiés qui ont été créées et c’est une immense ouverture pour moi (…) Ce qui a été important, c’est l’ouverture à des gens d’autres pays, je n’avais jamais vécu cela. C’est quelque chose de très riche. Tout était facile à vivre… Je n’ai pas senti des gens qui se situaient plus haut que les autres… Ce serait le rêve de pouvoir sentir cela dans notre quotidien. Il y en a qui avaient déjà été dans des séminaires et qui disaient : ‘Ce séminaire est d’une autre qualité. D’habitude c’est beaucoup plus intellectuel ; on entend des discours, des paroles, mais il n’y a pas cette qualité de vie ensemble et ce partage de la vie.’… Chacun de nous a en lui un monde de difficultés mais on faisait bonne figure. On a tout cela  en soi. C’est dans les conversations en tête à  tête qu’on arrivait à le partager. Avant même  qu’on  fasse circuler un papier pour y inscrire nos adresses, certains avaient déjà commencé à échanger les leurs… » (Sarkis, du Liban).

« J’ai vécu ces quatre jours ensemble de manière très forte. J’ai beaucoup apprécié tout votre travail de préparation de ce  séminaire et je suis bien placé pour savoir que c’est dans les détails que tout se joue (…) J’ai fait une plongée dans le monde arabe et du Moyen Orient qui m’a fait beaucoup de bien. L’atelier théâtre m’a permis de mieux mesurer les difficultés de relations (…) et l’importance de l’écoute de l’autre, la confiance qui se bâtit peu à peu… Les trois sessions de théâtre ont été au moins aussi riches pour moi que pour eux. « (Michel, animateur de l’atelier théâtre).

« Les connaissances à un niveau humain se font plus proches. (…) Dans un premier temps, j’essayais d’éviter de me retrouver directement  en contact pendant l’atelier mais finalement le travail a été très intéressant. Je revois clairement certains de mes préjugés ; d’autres n’étaient pas des préjugés. Mais je crois que finalement  la capacité de dialogue se fait avec les gens très différents et non avec les gens qui nous ressemblent. » (Une participante à l’atelier théâtre).

Se faire comprendre dans sa langue

En contrepoint des ateliers d’expression, les échanges en petits groupes de réflexion, soutenus par une équipe d’interprètes professionnels traduisant vers l’anglais, l’arabe, le français,  l’hébreu, ont permis à chacun de se faire comprendre dans sa langue, avec toutes les nuances, les souffrances, les doutes, les espoirs liés à son engagement de proximité avec les personnes en grande pauvreté.

« Dans le quartier où je vis, il y a plein de nationalités différentes. J’ai découvert des jeunes dans la rue qui ont une autorité très forte, une présence dans la rue, dans le quartier. Je suis allé vers deux d’entre eux. L’un se drogue, l’autre est dans une situation un peu difficile car il vit dans une famille qui n’est pas la sienne. J’ai commencé un projet de travail entre des jeunes universitaires et eux. Ce qui me pousse à continuer mon engagement, c’est que je vois à l’intérieur de ces jeunes un trésor, des perles, qu’il ne faut pas nier ni oublier. Ce qui me pousse encore, après toutes les tentatives de projet qui ont échoué, c’est de voir cette richesse en eux. Cela me pousse vraiment à tenir. Nous avons créé des relations très fortes et une confiance entre nous. Alors nous sommes devenus un groupe. Celui qui ne travaillait pas a trouvé du travail. Avant de partir pour le séminaire, nous avons étudié le programme, travaillé les questions ensemble et ce sont eux qui m’ont délégué pour que je vous partage cette histoire. Pour moi, tenir le coup, c’est rester fidèle à ce qu’on croit, ne pas se laisser aller à la déception, au découragement. » (Sarkis, arménien vivant au Liban).

« C’est parce que des gens se sont engagés que  ça a permis à des populations de s’en sortir. Je pense à une dame que j’ai rencontrée, il y a dix ans. Son capital social, son réseau de relations, pour moi, n’existait pas alors. Et pourtant, il existait. Il y avait des réseaux de relations que  je ne voyais pas entre les familles, que personne ne voyait, ni les services sociaux. Mais je  ne mesurais pas non plus alors en quoi je participais à ce capital social. Je pense que c’est quelque chose que cette dame peut affirmer maintenant mais qu’elle n’osait pas montrer avant. Et je pose la question : qui va rencontrer la personne chez elle ? C’est cette rencontre qui va révéler la personne, ce qu’elle est en elle-même, son humanité. Cette rencontre n’est pas un but en soi, mais c’est un passage obligé pour que ces personnes relèvent la tête. Ensuite, il y a comme un déclic qui se passe. C’est de l’ordre du déclic. » (Pierre, de France).

« L’association qui est arrivée dans notre cité nous a fait ‘germer’. Elle nous a écoutés. Parce que les gens pauvres, on leur dit toujours de la fermer. Et ils n’ont que ça à faire, écouter toute leur vie : à la mairie, chez les flics, à l’hôpital … Et là tout d’un coup, quand quelqu’un vient  vous écouter, vous vous ‘rassasiez’, vous ne pouvez pas vous imaginer ! Ceux de cette association, ils ont l’art d’apprivoiser. Oui, l’écoute naît aussi de la rencontre. Mais il faut une fidélité, sinon ce n’est  rien. La fidélité, c’est mettre en confiance. Et la confiance, c’est aussi un capital. Après, il faut une action, mais il faut aussi que la personne qui arrive soit patiente. Dans la fidélité, il y a la patience. Ils sont venus voir : on était des adolescents. Ils ont eu cette patience d’attendre qu’on  grandisse. Vous ne vous imaginez pas le bonheur qu’ils ont apporté dans la cité ! Ils nous ont métamorphosés ! » (Abdallah, d’origine algérienne, en France).

Sortir de ce tunnel obscur

« Ce que j’ai retenu le plus, c’est que la langue n’est pas un obstacle entre les personnes, et malgré les différentes langues nous avons bien réussi à vivre des moments très forts. Je veux souligner aussi l’atelier théâtre auquel je participais, qui a laissé une impression particulière en moi.

Je travaille dans mon quartier avec les pauvres, un groupe de quinze enfants de quatorze à dix sept ans  où on a fait des formations sur les moyens de communication et comment ils peuvent les utiliser. Aussi avec un autre groupe de jeunes femmes du camp (…) pour les entraîner à utiliser les ordinateurs et l’Internet, et un autre groupe qui a des activités charitables qui consistent en la distribution d’alimentation.

En vérité nous vivons (…) dans des conditions très difficiles à cause de la politique. Plus de 65% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, ce qui m’a amené à chercher comment nous, comme personnes et associations, nous pouvons aider les pauvres à se sortir de ce tunnel obscur, où la plupart d’entre eux vont à la recherche de ferraille dans les déchets pour les vendre. Cette image présente la vie des pauvres aujourd’hui, mais on les voit solidaires, regroupés pour travailler ensemble.

Ce qui distingue notre société c’est que la plupart des pauvres ne savent rien des nouveaux moyens de communication, ni les enfants ni les jeunes ni les adultes, à cause du manque de centres de communication, qui nous permettraient de travailler avec eux. Nous essayons de faire de notre mieux pour les initier, leur apprendre, les intégrer dans la société et utiliser les moyens de communication.

Mes suggestions : rester en contact avec les participants du séminaire, faire exister un séminaire international pour les pauvres, organiser un séminaire par an, avoir des échanges, des visites entre les participants, que votre organisme unifie un programme de travail avec la contribution des participants. Tout mon respect. » (Nouraldin, de Palestine).

1 Antenne en Méditerranée du Forum permanent sur l’extrême pauvreté dans le monde , animé par le Mouvement international ATD Quart Monde. Voir le site
1 Antenne en Méditerranée du Forum permanent sur l’extrême pauvreté dans le monde , animé par le Mouvement international ATD Quart Monde. Voir le site Internet : www.atd-quartmonde.org

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