Habiter en humanité

Louis Join-Lambert

Citer cet article

Référence électronique

Louis Join-Lambert, « Habiter en humanité », Revue Quart Monde [En ligne], 143 | 1992/2, mis en ligne le 05 août 1992, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3595

Index de mots-clés

Logement

Ce dossier contribue de nouveau à une compréhension des droits de l'homme à partir de la grande pauvreté.

Si un Belge et un Français se retrouvent en Suisse ils n'y sont pas traités comme des citoyens suisses certes, mais ils ne s'y retrouvent pas sans droit. Ils y sont traités comme des citoyens belges ou français. Ils n'y sont pas « d'ici », mais ils sont « de quelque part ». Ce dossier part du constat qu'au contraire, les personnes et les familles les plus pauvres ne sont jamais assurées de pouvoir « habiter en humanité » : elles sont, dans l'histoire comme aujourd'hui, menacées de n'être reconnues nulle part comme membres pléniers d'une communauté de citoyens1. La compassion privée pour nécessaire qu'elle soit, risque toujours de s'arrêter en chemin, de s'enliser dans l'assistance immédiate et de tenir ces populations à l'écart de toute citoyenneté.

Voici des extraits d'une lettre de mai 1992 au préfet d'un département français. « Par cette lettre, je me permets de vous faire connaître la façon dont nous vivons depuis plus de trente ans à B. Je suis arrivée avec mon mari en 1961 et nous avons construit une baraque en bois sur le terrain que nous avons pu acheter. Et c'est là que j'ai élevé mes neuf enfants. Ils sont allés à l'école sans avoir aucun confort dans leur vie : pas d'eau, pas d'électricité, pas de toilettes.

Pendant ces longues années je n'ai jamais fait de réclamation au maire de B. Maintenant, sept de mes petits-enfants vivent ici avec leurs parents et ils grandissent toujours sans eau, sans électricité. Et j'ai également un mari très malade. Alors j'ai demandé un  rendez-vous au maire pour lui demander son autorisation pour l'électricité et l'eau. J'ai pu le voir le 29 avril. Il m'a dit qu'en aucun cas il ne nous donnerait son accord parce que, pour lui, nous ne faisons pas vraiment partie de B (...) »

Oui, la question est bien celle-là : « Faire partie de B. » Et pour B. comme pour bien d'autres communes d'Europe, être un lieu où des hommes vivent humainement.

Tous les degrés de l'exclusion, la non-domiciliation, le fait de n'être de nulle part officiellement, compromettent radicalement l'accès au domaine du droit. Car comme le montre ce dossier, la reconnaissance que quelqu'un est domicilié quelque part est la première protection de ses liens réels avec d'autres êtres humains.

Pour C. Lepied, cette protection doit être donnée à tous, y compris à ceux qui sont démunis des moyens économiques. Car comment vivre en dignité si la capacité de vivre de tels liens n'est pas protégée ! A plus forte raison si elle est mise à mal, comme dans l'exemple historique qu'évoque Brigitte Muller, au point que les relations entre parents et enfants sont systématiquement attaquées.

La vie en dignité, c'est la question des droits de l'homme. Pascale Lefeuvre expose, à partir d'une thèse de droit qu'elle a récemment soutenue comment la non-domiciliation exprime et confirme un déni des droits fondamentaux dans leur indivisibilité.

Catherine Haguenau établit le lien entre la difficulté pour les personnes en grande pauvreté d'accéder à une domiciliation et l'une des visées centrales de toute l'œuvre de la Communauté européenne, la liberté de circulation. On a glissé dans cette partie plus juridique, une réflexion philosophique d'Hannah Arendt sur l'homme et le citoyen des droits de l'homme.

Un autre groupe d'articles clôt le dossier en empruntant un autre point de vue. Certes la domiciliation est une condition de fait de la citoyenneté.

Dés lors, il faut que l'espace, en particulier l'espace urbain soit ouvert, s'il ne l'est déjà, à des citoyens que la spirale des obstacles de la grande pauvreté va jusqu'à chasser de la ville, comme en témoigne André de Cock, à propos de ces « introuvables » qui se réfugient sur les campings. La ville évolue aujourd'hui autrement qu'hier. Les plus défavorisés n'y entrent plus de la même façon. Les politiques locales ne les protègent pas toujours correctement. C'est dans un tel cadre que, en France, Jean-Marie Delarue, délégué interministériel à la ville, explique que l'Etat ne doit pas abandonner sa responsabilité et doit se porter garant de leur citoyenneté. Mais la commune doit garder un rôle phare. C'est à son échelle, estime J.C Cauwenberghe, bourgmestre de Charleroi, que prend place le développement d'une culture opposée à l'exclusion. Et cette culture naît d'une participation réelle des populations les plus défavorisées à la citoyenneté communale. La déclaration de Charleroi, issue des travaux de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d'Europe (Conseil de l'Europe) donne une charte aux villes européennes qui veulent se mettre en réseau pour avancer dans cette voie.

1 On ne saurait trop recommander de connaître et de faire connaître les travaux actuels de la Commission consultative  nationale des droits de l'homme
1 On ne saurait trop recommander de connaître et de faire connaître les travaux actuels de la Commission consultative  nationale des droits de l'homme (France) qui a récemment publié un rapport « Grande pauvreté et droits de l'homme », disponible sur demande à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, 35 rue saint Dominique, 75700 Paris.

Louis Join-Lambert

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND