Ecrire pour oser

Marlène Combot

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Marlène Combot, « Ecrire pour oser », Revue Quart Monde [En ligne], 136 | 1990/3, mis en ligne le 05 février 1991, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3848

Ce témoignage montre que, pour des personnes de condition très précaire aussi, écrire peut être un moyen d’affermir leur pensée, de mieux communiquer avec l’autre, d’oser.

Revue Quart Monde : Nous avons voulu vous interroger parce que lisez, vous écrivez et vous savez ce que veut dire d’avoir à lutter contre la dépendance.

Oui, par exemple, lorsque je suis arrivée du nord de la France, j’avais de gros problèmes à résoudre. J’avais demandé un soutien financier pour m’aider à remonter la pente. Je voulais quelqu’un pour m’aider à éviter de faire des erreurs dans mon budget. En fait, j’ai mal supporté l’intervention au moment où je commençais à m’en sortir seule. Je me trouvais bridée parce qu’ils me donnaient au compte-gouttes et que je n’arrivais pas à faire ce que je voulais. Finalement, j’ai réussi seule à gérer mon argent et j’ai pu ainsi me défaire de la tutelle.

RQM : Comment en êtes-vous arrivée à décider un jour de prendre un stylo et d’écrire régulièrement dans un cahier ?

Ma mère écrivait beaucoup, surtout des poèmes, sur ce qu’elle voyait, ce qui l’intéressait et quelquefois elle les traduisait en chansons. C’est un souvenir qui reste gravé dans ma mémoire. Chaque fois que je vais voir mon père, je revois ma mère au bout de la table. Quand elle est décédée, je me suis mise à écrire. Je pensais qu’il fallait que quelqu’un la relève.

RQM : Est-ce qu’elle vous a dit comment elle a eu l’idée de se mettre à écrire ?

Non, mais elle me montrait ce qu’elle faisait et je trouvais ça intéressant. Elle ne parlait pas beaucoup autour d’elle et elle se confiait souvent à moi, j’étais la plus grande des deux enfants qui restaient à la maison

Je me souviens qu’elle a écrit un peu partout pour faire connaître ses poèmes mais elle n’y est pas arrivée. Sauf une fois. Un de ses poèmes : « On peut être poète tout en maniant les casseroles » a été publié dans le journal « Nord Eclair. »

RQM : Est-ce que votre mère lisait beaucoup ?

Oui, surtout des poèmes. Elle se plongeait dans les livres d’école avec nous quand nous étions petits ou même avec les neveux et les nièces. Elle prenait un livre et elle leur apprenait à lire. Elle adorait les livres, n’importe quel livre, et elle disait : « Regarde, il est intéressant ce livre. Ce serait bien si tu savais lire. » Elle a voulu forcer un peu pour que les enfants réussissent.

RQM : Votre mère a-t-elle étudié ?

Pas beaucoup. Mais par contre quand on a commencé à aller à l’école et qu’on calculait, elle prenait nos problèmes pour essayer de les faire. Grâce à mon petit frère elle a appris à faire les divisions.

RQM : Vous êtes allée à l’école. Est-ce que vous écriviez des poèmes quand vous étiez adolescente ?

J’ai été à l’école jusqu’à seize ans, mais j’ai été déçue par les professeurs. J’avais envie d’apprendre mais comme je n’avais pas de soutien, je n’ai plus eu le courage de continuer et j’ai voulu m’arrêter. Et puis, quand on est jeune, on veut mener sa vie à sa guise, on n’écoute pas toujours les parents. J’ai eu tort parce que j’aurais peut-être pu monter un peu plus haut mais j’ai manqué de soutien.

Je n’écrivais pas quand j’étais jeune. Je n’avais pas l’esprit à écrire. J’ai changé en vieillissant. J’ai vraiment commencé en 1984, avant j’écrivais mais pas régulièrement. Je ne discutais pas comme maintenant, j’étais assez renfermée. J’ai beaucoup pensé à maman et à toutes les choses que je voyais autour de moi. J’ai voulu écrire un journal sur ma vie, j’ai commencé mais je n’ai pas terminé. Je recommence toujours.

Après j’ai reçu les journaux du Quart Monde. A chaque fois que je les lisais, je me disais : là, il manque un mot, ici, ils auraient dû rajouter quelque chose. Et j’ai commencé à écrire et après je me suis intéressée. En lisant, je me suis fait un cahier, parce que j’ai des idées mais je n’ose pas tout le temps dire ce que je pense. Alors je les écris sur mon cahier et ça m’aide. C’est pour ça que dans les réunions, j’arrive mieux à parler. Quand des phrases des journaux m’intéressent, je les recopie comme elles sont ou alors je rajoute.

Dans mon cahier, j’écris aussi ce que je trouve injuste et des choses qu’on devrait améliorer ou interdire.

J’adore écrire, j’aurai dû trouver un travail dans ce domaine. Comme j’aime l’écriture, j’évite de faire des fautes parce que si un jour quelqu’un lit ce que j’ai écrit… Il m’arrive le soir de prendre le livre de grammaire de mes enfants et de faire des exercices. J’ai des petits cahiers pour ça. Je cherche aussi dans le dictionnaire et mon mari m’aide de son côté.

RQM : Est-ce que vous lisez beaucoup ?

Oui, surtout des livres d’aventures ou des histoires avec des enfants. Je vais vers les choses qui m’intéressent le plus parce que j’ai envie de monter, de changer un peu ma vie. J’aime beaucoup l’astrologie.

J’ai gardé aussi des livres d’école de mes enfants, ils m’ont aidée à faire des exercices et à voir que j’y arrive. Je ne suis pas plus bête qu’une autre de toute façon. C’est seulement parce que j’ai raté certaines choses.

RQM : Vous disiez : le Mouvement du Quart Monde m’a poussée à réfléchir et à écrire ?

Oui, parce que j’ai vu que certaines personnes étaient vraiment dans la misère, plus que nous encore. On est pauvre, d’accord, mais on ne veut pas rester comme on est, on veut s’en sortir. Et on peut réussir, même si c’est dur. On y arrivera même si on monte une marche à la fois.

Dans les réunions de l’université populaire, j’ai des choses à dire mais c’est plus fort que moi, je n’arrive pas à les sortir. Alors qu’est-ce que je fais en rentrant chez moi ? J’écris dans mon cahier tout ce qui m’est venu à l’esprit. Et je me dis que ça m’aidera pour discuter la prochaine fois.

RQM : Est-ce que vous montrez à vos enfants ce que vus écrivez, comme votre mère le faisait pour vous ?

Je fais comme elle, je crois que c’est elle qui m’a donné le don. Deux de mes filles ont commencé un album où elles collent les articles sur le Mouvement. Un jour elles pourront montrer ce que nous avons déjà fait. Elles ont aussi leur cahier pour écrire comme moi.

Je pense que dans l’avenir elles feront des bonnes choses.

RQM : Qu’est-ce que ça vous apporte d’écrire ?

Ça me vide le cerveau et ça me met à l’aise pour plusieurs choses. Quand j’ai de la misère à m’exprimer, à dire ce que je pense, je l’écris dans mes cahiers. Ca m’aide à discuter avec d’autres personnes, alors qu’avant je ne pouvais pas, surtout qu’en plus je suis très timide.

Je me suis aperçue que, quand on écrit, même si on a des problèmes, on arrive à vider sa tête et les jours qui viennent se passent mieux après. Quelquefois, on n’ose pas toujours dire ce qu’on a sur le cœur et c’est en écrivant qu’on arrive à se débloquer.

J’écris les pensées qui me viennent, en lisant un livre par exemple, mais quand je suis trop fatiguée, je ne marque pas tout de suite. Parfois, la nuit, je ne dors pas et il y a des pensées qui me viennent, j’essaie de me les répéter pour les écrire le lendemain matin.

D’écrire, ça me permet d’y voir plus clair et de faire des démarches que je n’osais pas faire. Avant, j’avais la tête pleine et ça me posait plein de problèmes. Quand j’ai quelque chose à dire pour mes enfants, au juge par exemple, je ne me cache plus maintenant, je lui écris.

Avant, je baissais la tête, maintenant je marche la tête haute.

Marlène Combot

Marlène Combot, née dans le Nord de la France en 1953, arrive en Bretagne dans une situation très précaire. Là, elle rencontre le Mouvement ATD Quart Monde en 1983 et y participe régulièrement depuis. (Propos recueillis par Pascale Anglade)

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