Au nom des « exclus » …

Nord Éclair 17.2.88

J. Clauwaert

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J. Clauwaert, « Au nom des « exclus » … », Revue Quart Monde [Online], 126 | 1988/1, Online since 01 October 1988, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3903

C’est trop facile de saucissonner les informations et de les servir en rondelles, bien séparées, comme s’il n’existait aucun lien direct entre elles. Il n’y a pas, d’un côté, la mort du père Wresinski, le défenseur des « exclus », celui qui sut imposer à tous la réalité de la « nouvelle pauvreté ». Et de l’autre, une campagne électorale, avec des candidats qui vont solliciter la confiance des Français pour exercer la fonction la plus importante dans notre société civile. Mais il y a, d’une part, ceux qui s’accommodent de cette société, même s’ils versent quelques grosses larmes quand disparaît un prêtre qui luttait contre les disparités les plus criantes, et qui considèrent ces inégalités comme le prix à payer pour donner la prospérité au plus grand nombre. Et de l’autre, ceux qui ne s’y résignent pas.

Alors, la droite ou la gauche ? Comme il serait simple, comme il est tentant, de reprendre les catégories et les incantations. Mais chacun sait bien que ce n’est pas en la faisant rentrer dans ces vieux schémas que l’on réduira la cohorte toujours plus nombreuse des « laissés pour compte », des « paumés », des « sans-ressources », des victimes qui ont cumulé les handicaps, pour filer à travers les mailles de la protection sociale.

Le père Wresinski suscitait, utilisait la générosité et l’imagination, là où il les trouvait. Le 17 octobre, il avait réuni autour de lui tous ceux qui, de droite ou de gauche, l’avaient aidé depuis trente ans à combattre le fléau de la marginalisation : il avait réussi, sans le vouloir, la plus étonnante manifestation d’unité nationale de notre époque. Et il n’hésitait pas à heurter l’huis de l’Élysée, quelque fût son locataire.

C’est dire aussi, qu’il ne dédaignait aucunement les moyens de la politique pour réformer ce qui devait l’être. Son rapport au Conseil économique et social avait enfin permis de faire apparaître au grand jour le phénomène moderne de la misère et de l’exclusion. Et il continuait inlassablement de proposer aux responsables de tous bords des mesures à leur niveau et de leur compétence.

Alors, rassemblons les informations, franchissons le pas, entre la campagne électorale et le message sous forme d’interpellations du père Wresinski : comment concilier l’efficacité d’une machine économique tournée vers la prospérité avec les solidarités essentielles qui fondent une société ? Quel est aujourd’hui le revenu minimum de dignité, que d’autres appellent « d’insertion » ? Comment, dans les faits, refuser que dès l’enfance, des couches de plus en plus larges de la population soient exclues de l’avoir, et du savoir ?

Voilà qui importe infiniment plus, pour les Français, que les astuces du marketing politique ou les combinaisons électorales mûries dans les états-majors. Voilà qui redonne à la politique, c’est-à-dire au service de la cité, sa véritable dimension. On en semble parfois, hélas, fort éloigné…

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