Un vote qui affirme une co-responsabilité

Didier Robert

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Didier Robert, « Un vote qui affirme une co-responsabilité », Revue Quart Monde [En ligne], 126 | 1988/1, mis en ligne le 01 octobre 1988, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3925

Voici un an, le 11 février 1987, pour la première fois probablement dans le monde occidental, une assemblée réunissant tous les partenaires sociaux d’un pays vote, à une large majorité, un rapport qui atteste que la grande pauvreté est une violation permanente des Droits de l’Homme et propose un programme politique pour détruire les conditions de misère.

Le 17 octobre 1987, dans ce même pays, des responsables politiques, scientifiques et religieux, provenant de plusieurs continents, répondent à l’appel des plus démunis et gravent dans la pierre du Parvis des Libertés et des Droits de l’Homme, à Paris, cet appel du Père Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement ATD Quart Monde : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »

Ces événements ne perdraient-ils pas leur sens si on les considérait seulement comme des réussites à garder en mémoire ? Notre responsabilité n’est-elle pas de confirmer qu’ils sont des moments décisifs de la lutte contre la pauvreté, parce qu’ils auront fait tourner une page d’histoire ?

Le rapport du Conseil économique et social, comme le rassemblement du 17 octobre, sont des reconnaissances officielles par la France et par les représentants de la communauté internationale d’une expérience et d’une expertise fondées sur un engagement en terre de misère. Des partenaires ont pu s’associer parce que, depuis des années, des hommes et des femmes s’efforcent de mettre en œuvre les Droits de l’Homme et d’en redécouvrir l’indivisibilité avec ceux qui sont empêchés de les vivre à cause de la misère. Mieux que quiconque, les plus démunis savent dans leur corps et dans leur tête qu’ils ne sont pas traités en êtres humains. C’est une réalité que l’histoire ne pouvait plus taire.

La nouveauté de cette année 1987 est que les partenaires sociaux en France, aient accepté de regarder cette réalité en face et de la dénoncer comme une atteinte à la démocratie. Il a fallu trente ans d’acharnement pour provoquer ce réel début de reconnaissance des plus pauvres comme des partenaires sociaux avec lesquels le dialogue est indispensable : il est maintenant devenu possible. Tout au long de l’élaboration du rapport du Conseil économique et social, le père Joseph Wresinski, assurant sa responsabilité de rapporteur, est resté porte-parole de toute une population. Il n’était plus possible de débattre devant lui sur des cas de personnes absentes, pas plus que de mettre en doute leur dignité d’homme ou d’amoindrir leurs intérêts les plus fondamentaux. Il a affirmé et établi que les plus pauvres enrichissent la compréhension commune des idéaux de la vie démocratique et qu’il est donc nécessaire à nos sociétés qu’ils soient représentés.

Une autre avancée de la société en France est que les membres de son Conseil économique et social aient voté, pour lutter contre la misère, des propositions qui concernent tous les citoyens. Par exemple, le développement d’une éducation aux Droits de l’Homme, le lancement de campagnes de partage des connaissances ou encore l’affirmation que chaque administration doit veiller à ce que les politiques dont elle a la charge atteignent aussi les citoyens les plus démunis. La lutte contre la misère a été ainsi considérée comme l’affaire de tous.

En fait, les partenaires sociaux français ont voté bien plus qu’un rapport sur la pauvreté, ils ont voté l’affirmation d’une co-responsabilité dans la lutte contre la misère. Ceux qui étaient réunis le 17 octobre sont allés plus loin en exprimant un engagement à s’unir pour faire respecter les Droits de l’Homme.

Comment ne pas se réjouir de l’immense travail effectué par tous les partenaires officiels qui ont participé à l’élaboration du rapport du Conseil économique et social ou à la préparation du 17 octobre ? Comment ne pas se réjouir que, sur décision du Gouvernement, dans douze départements, tous ces partenaires puissent travailler ensemble et avec les intéressés pour mettre en place une politique qui garantisse un vrai partenariat ? Comment ne pas se réjouir qu’une telle décision se soit imposée parce que le Conseil économique et social a choisi de ne réfléchir aux problèmes techniques qu’après avoir redécouvert que les plus pauvres sont des hommes, non des problèmes ?

Malgré la force d’acquis irréversibles, la misère est là. Le contact ne va pas se rétablir d’emblée avec une population non citoyenne. Les pratiques trop habituelles de traitement des pauvres ne vont pas cesser d’un seul coup. Elles pourront sans cesse ressurgir. C’est ainsi qu’un gouvernement d’Amérique du Nord, qui a été un des premiers à garantir un revenu minimum, vient de soumettre à consultation un projet de réforme de son système d’aide sociale qui instituerait des garanties différentes pour les personnes jugées employables et celles qui seraient classées inemployables. Plutôt que de chercher à respecter des droits de base, on retournerait à des traitements soumis à l’arbitraire d’une distinction entre aptes et inaptes.

C’est précisément face à de tels retours en arrière que la co-responsabilité votée par le Conseil économique et social français et l’engagement pris le 17 octobre sont des dates historiques, des références et des acquis des plus pauvres. Dans le monde entier, ils doivent nous servir à rappeler la page qu’il faut à tout prix laisser tournée. L’assistance, la dépendance, la ségrégation des pauvres ne peuvent plus être que des séquelles d’un passé révolu. L’avenir est désormais dans la recherche de moyens permettant l’exercice par tous de tous les Droits de l’Homme.

Les acquis de 1987 ont déjà franchi les frontières de la France. Il importe de bien saisir en quoi ils sont universels pour continuer à rassembler au-delà des différences. Telle est notre co-responsabilité.

À l’université populaire du Quart Monde, on travaille le rapport Wresinski

Extrait des réflexions d’un père de famille (Paris)

Comprendre l’évolution vers la pauvreté

Ce qui m’a, plus que tout, intéressé dans le rapport « Grande pauvreté et précarité économique et sociale », ce sont les récits démontrant l’évolution et le cumul des précarités qui conduisent à l’insécurité et à la grande pauvreté, qui interdisent aux familles touchées par cette misère de faire valoir leurs droits fondamentaux et l’intégrité de leur famille.

Voir que tous les partenaires sociaux sont concernés

Mais il est bon, lorsqu’on lit les efforts qui sont proposés pour lutter contre la pauvreté, de voir que tous les partenaires sociaux sont concernés et de voir que tous sont d’accord pour que tous les moyens soient mis en contribution pour que les familles puissent sortir de la misère, notamment en formant les partenaires sociaux à comprendre les familles pauvres et à agir dans le sens que ces familles retrouvent leurs droits et leur dignité :

- dans la formation pour le savoir dès la pré-école par des professeurs qualifiés pour s’occuper des enfants vivant en milieu de pauvreté, puis la formation professionnelle qui permet l’insertion sociale et économique pour nos jeunes et tous les chômeurs ;

- l’extrême importance de l’attribution d’un plancher de ressources minimum à 2000 F pour une personne et 3000 F pour un couple, ce qui va permettre à des familles de se former ou de trouver un emploi ;

- l’amélioration sur des conditions d’attribution des logements pour les familles et la réhabilitation des logements, notamment pour d’anciens locaux d’habitation et l’attribution de logements sociaux et aussi l’aide personnelle d’un prêt allocation logement pour permettre à des familles de payer les frais de caution à l’attribution de leur logement et à la rénovation sur des logements insalubres ;

- en ce qui concerne les soins et la santé pour les personnes sans aucune protection sociale, développer l’accès à l’assurance personnelle et les informations auprès des familles pour les encourager à se soigner. Notamment la prise en charge par un fonds d’action santé des soins dentaires, oculaires et auditifs afin de lever les obstacles financiers – expérimentation menée actuellement dans le département de Meurthe-et-Moselle.

Penser à la solidarité de tous les citoyens

Je souhaiterais savoir si le fonds d’action santé ne voudrait pas laisser penser à un fonds de solidarité nationale, ne voudrait pas dire que les nantis sur leurs impôts devraient payer un certain quota pour les familles défavorisées et si les ouvriers seraient susceptibles de pouvoir verser par le moyen de cotisations à la sécurité sociale au minimum une heure de leur salaire par semaine, si cela était je serais donc parfaitement d’accord, je trouve normal de solliciter tous les citoyens à la contribution à la lutte contre la pauvreté.

Didier Robert

Né en 1951, marié et père de deux enfants. Diplômé de Sciences-po et de sciences économiques, il a travaillé pendant six ans dans un syndicat professionnel avant de rejoindre en 1981 le volontariat ATD Quart Monde. Après avoir été chargé de l’administration du mouvement français, il a participé à la préparation du rapport Wresinski. Depuis fin 1987, il est responsable du développement de la branche canadienne du mouvement

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