Sport, bien-être ensemble

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Sport, bien-être ensemble », Revue Quart Monde [En ligne], 128 | 1988/3, mis en ligne le 05 février 1989, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3973

Ce dossier sort des presses alors que les Jeux Olympiques de Séoul ont réuni presque toutes les nations du monde.

« Chassez la guerre et cultivez l’amitié avec vos ennemis jusqu’à l’an de grâce qui verra s’ouvrir vos fêtes annuelles », avait dit l’oracle de Delphes au peuple de la région d’Olympie il y a plus de trois millénaires. Un traité de paix institua la trêve olympique qui bannit pour plus de mille années les armes de la ville sacrée où les jeux prenaient place. Quels que soient les avatars de la pratique olympique actuelle, Pierre de Coubertin a rejoint, en inventant les Jeux Modernes, la soif d’entente des peuples du monde. Ces peuples gardent l’intuition que le sport peut être entre eux une langue vivante. Son universalisme est moins contestable que jamais.

Les milieux sportifs, malgré les exigences de réussite qui sont nécessairement les leurs et la sélectivité qui en découle, ne recèlent-ils pas une chance pour l’avenir des plus pauvres ? Et ceci d’autant plus que le sport prend une part croissante dans l’emploi du temps et le budget des habitants des pays industrialisés.

Nous avons construit ce dossier autour de deux questions. Vers quelles pratiques du sport nous entraînent les plus pauvres, c'est-à-dire comment cette pratique s’inscrit-elle dans la vie de chacun et dans la vie commune ? À quel partenariat avec eux pouvons-nous inviter le milieu sportif ?

La première partie du dossier est composée des témoignages d’hommes et de femmes qui, malgré le poids quotidien de la misère ont pu, en pratiquant le sport, mobiliser leurs capacités personnelles et mettre leur groupe en valeur. Dans un quartier de Lille, le sport crée un courant d’oxygène qui facilite la fête et le rassemblement : Françoise Ferrand dit pourquoi elle croit au sport pour les jeunes et raconte sa rencontre avec eux, leur joie et leur enthousiasme de découvrir ensemble de nouveaux jeux, de nouveaux espaces. Le sport peut aussi être la passion qui transforme une vie : pour André Divry, la boxe est vraiment une histoire qui commence et des gars en qui avoir confiance.

La pratique sportive est exigeante. Accepter de travailler son propre corps et respecter l’autre dans sa propre démarche est un défi pour ceux qui ont vécu des années de misère très dommageables à leur santé et à leur développement. Des adultes de Bruxelles s’y exercent depuis plusieurs années en faisant dans leur « salle de bien-être » de la gymnastique et de la relaxation avec Anne Hendrick ; elles livrent ici la portée de cet apprentissage.

Outre le mieux être physique, la pratique du sport donne des mots de passe d’une jeunesse à l’autre. Bernard Jahrling le rappelle en racontant comment le père Joseph avait utilisé le karaté et la danse pour désenclaver le camp de Noisy-le-Grand. Ces témoignages accentuent davantage la dimension sociable de l’activité et du milieu sportif que la performance et la technique de telle discipline ou de telle organisation. C’est pourquoi l’article de Jean Camy sur l’évolution historique des jeux populaires et des pratiques sportives est intercalé dans cette première partie du dossier qu’il éclaire.

Beaucoup plus qu’un simple divertissement, le sport est une vraie chance – trop rare, hélas – pour apprendre à se connaître et à reconnaître l’autre. Pour Jacques Malet, le sport est même comme inévitablement une école de la responsabilité. À partir de situations concrètes, il démontre les différents aspects de cette dimension essentielle. Son article est le premier d’une série de réflexions dues à des membres éminents du monde sportif organisé.

Les adhérents des clubs et des fédérations sont animés par la volonté de partager leur passion et de faire progresser leurs équipes. Dans la dernière partie de ce dossier ils tentent de trouver les pistes pour que ce potentiel serve aussi les aspirations des milieux les plus mal lotis.

Ali Ben Mabrouk, enfant des Minguettes, footballeur professionnel de talent, réfléchit à partir de sa propre expériences : « il faut, dit-il, aller chercher les enfants des banlieues, leur dire quelles sont leurs qualités ».

Patrice Magnéto, qui a pratiqué la boxe à un très haut niveau, analyse surtout l’expérience de son enseignement à des jeunes en difficulté. Il n’a pas hésité à mettre le ring dans la rue et à prendre ces jeunes au sérieux en leur faisant rencontrer des champions.

Enfin Robert Bobin, qui préside la Fédération Française d’Athlétisme, mesure le chemin à parcourir pour que l’organisation sportive s’engage avec les plus pauvres. C’est pourtant grâce à elle que les expériences ponctuelles pourront trouver leur plein rayonnement.

Le dossier confirme donc que le sport peut répondre à certaines des aspirations des plus pauvres. Leur répondre conduit à innover en renforçant une dimension de sociabilité et de fête qui ne nuirait pas à l’émulation et à la technique sportive, mais les réintégreraient en une culture. Le défi du partage de cette culture peut déjà s’appuyer sur des expériences pionnières et sur les soutiens que certains responsables sportifs sont prêts à donner.

Dans l’immédiat toutefois, les sportifs de la base doivent savoir que sans eux, sans leurs initiatives et leurs engagements, rien ne se fera.

Louis Join-Lambert

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