Dialogue avec un champion

Alim Ben Mabrouk

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Alim Ben Mabrouk, « Dialogue avec un champion », Revue Quart Monde [Online], 128 | 1988/3, Online since 05 February 1989, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3990

Comme son ami Fernandez, il a vécu son enfance aux Minguettes, à Vénissieux. Il a bien voulu réfléchir avec nous à ce qui peut aider des enfants et des jeunes à réussir dans le sport. (Propos recueillis par Jean-Michel Defromont et Blandine de Saint-Vincent)

Revue Quart Monde : Votre expérience représente un espoir pour les jeunes défavorisés. Vous-même êtes né dans une banlieue pauvre…

Alim Ben Mabrouk : Je suis né aux Minguettes. Pour les jeunes des banlieues, c’est plus difficile parce qu’ils sont issus de familles nombreuses. Ils ont du mal à sortir de l’ombre. Si je n’avais pas eu le foot pour m’accrocher, je ne sais pas ce que je serais devenu.

Revue Quart Monde : Comment êtes-vous entré dans un club ?

Alim Ben Mabrouk : j’ai débuté très petit. J’aimais beaucoup le ballon. Mon frère aîné m’a emmené et m’a inscrit. J’avais six ans. Quand on entre dans une équipe, on commence à connaître du monde. On me disait : « tu as des qualités, il faut que tu tentes ta chance ». C’est ce que j’ai fait. J’ai écrit à plusieurs clubs et ça a marché. J’ai fait des essais dans plusieurs clubs et j’ai été retenu à Paris. Ils m’ont gardé et fait confiance. Ca démarre parfois de peu de choses mais il faut une part de chance…

Revue Quart Monde : il y a beaucoup de banlieues où il n’existe aucun club sportif…

Alim Ben Mabrouk : C’est vrai. Quand il n’y a pas de club, les jeunes ne se déplacent pas d’eux-mêmes. Quelqu’un doit aller les chercher. Il va les voir et leur dit qu’ils ont des qualités. Après, il leur demande si ça leur plairait de s’inscrire dans un club. Pour l’instant, les clubs se contentent de ceux qui s’inscrivent. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas facile parce que les familles se méfient. Les parents ne veulent pas que les enfants sortent trop des banlieues.

Revue Quart Monde : Quel genre d’animateur faudrait-il pour ces jeunes qui ne sont pas habitués à des contraintes ?

Alim Ben Mabrouk : Il faut d’abord que les jeunes s’inscrivent en bande, à deux ou trois. Tout seul, le gars n’ira pas. Il est timide. L’entraîneur ne doit pas être trop dur avec eux. Il doit les aider moralement surtout quand ils ont des problèmes avec les parents. Quand il s’inscrit dans un club, le jeune doit se sentir bien. L’entraîneur doit aussi avoir beaucoup de patience parce que ces jeunes sont souvent turbulents, ils ont la tête ailleurs.

Revue Quart Monde : Le fait d’être footballeur, avec une carrière comme la vôtre, vous a-t-elle éloigné de votre milieu ?

Alim Ben Mabrouk : Non, mes parents habitent toujours aux Minguettes et chaque fois que j’en ai le temps, j’y descends et je vais voir mes amis. Je n’ai renié personne et j’en suis fier. Mon origine est une force. J’ai travaillé avant d’être footballeur professionnel. Tous les footballeurs n’ont pas connu ça. Aux Minguettes, c’était très dur de travailler ou de s’amuser quand on était immigré.

Revue Quart Monde : Quelles valeurs principales voyez-vous dans le sport ?

Alim Ben Mabrouk : Une certaine motivation. J’ai eu le sport pour m’accrocher : les matchs, les entraînements matin et soir… C’est aussi la régularité, le plaisir. Pour un jeune, c’est bien de s’extérioriser. Cela le stabilise dans sa famille. Les parents le voient faire du sport et ils se disent : « au moins, il ne fait pas de conneries ». Dans les banlieues, les jeunes ne font pas assez de sport. Il faudrait que les éducateurs les incitent. Il faut les prendre jeunes, vers sept – huit ans. Ils auront alors un but, une marche à suivre…

Revue Quart Monde : À cet âge, vous rêviez de devenir footballeur ?

Alim Ben Mabrouk : Oui, avec mon copain Fernandez, on manquait l’école pour aller voir les professionnels s’entraîner.

Revue Quart Monde : Nous essayons de faire rencontrer des professionnels artistes ou sportifs avec des jeunes de quartiers ghettos. Nous organisons des rencontres chaque année. Seriez-vous partant ?

Alim Ben Mabrouk : C’est une bonne idée. Ca peut être un déclic pour le gosse. Je peux venir avec deux ou trois autres footballeurs… et un ballon !

Alim Ben Mabrouk

À 28 ans, Alim Ben Mabrouk est en pleine possession de son métier de footballeur. Milieu de terrain au Matra Racing à Paris depuis 1983, il a participé à la Coupe du Monde 1986 avec l’Algérie.

CC BY-NC-ND