Riches et Pauvres dans la Pensée chrétienne du IXe au XIIIe siècle

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Riches et Pauvres dans la Pensée chrétienne du IXe au XIIIe siècle », Revue Quart Monde [Online], 128 | 1988/3, Online since 05 February 1989, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4002

Les textes qui suivent schématisent un tournant très important du discours chrétien sur la pauvreté.

Nous tenons à remercier Monsieur Michel Mollat, membre de l'Institut, pour l'aide qu'il apporte à la réalisation de cette rubrique. Nous lui devons, notamment, le choix des textes que nous publions ici.

Index de mots-clés

Histoire, Religions, Solidarité

Mon fils, prête l'oreille au pauvre !

Au IXè siècle Dhuoda, femme noble, enseigne à son fils que l'aumône est, pour les nantis, un devoir envers tous les pauvres, et que les pauvres y ont droit naturellement, dans un simple esprit de justice.

« Prête l'oreille au pauvre qui demande avec importunité. » Il est écrit: « Ne désespère pas le pauvre qui appelle au secours ». Son cœur s'afflige et sa bouche crie ; il veut qu'on lui donne ce qui lui fait absolument défaut. Tu dois te représenter, crois-moi, que, si toi-même tu te trouvais réduit à une telle indigence, à un pareil sort, tu souhaiterais tout comme lui, qu'on te fasse cette aumône.

Ce qui est requis touchant les mauvais procédés l'est aussi à propos des justes égards. Des mauvais procédés, il est dit : « Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui ». De la réciprocité à observer en matière de justes égards, il est écrit : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent de bien pour vous, vous aussi faites-le pareillement pour eux. » Il est juste que celui qui reçoit gratuitement le bien d'autrui dispense gratuitement le sien autant qu'il peut. C'est pourquoi je t'invite à procurer toi-même nourriture et boisson aux indigents, ainsi que le vêtement s'ils sont nus. Que chacun, sur les biens qu'il reconnaît posséder, donne avec le sourire.

Car il est écrit : « Partage ton pain avec celui qui a faim, fais entrer dans ta maison les indigents et les vagabonds. Quand tu vois un homme nu, habille-le et n'aie pas de mépris pour ta propre chair. »

En tout cas, il est bien juste que ceux qui pour les grands mérites reçoivent de grands biens, soutiennent et aident matériellement les plus petits lorsqu'ils les rencontrent. Montre une compassion fraternelle à ceux qui ont faim, à ceux qui ont soif et qui sont nus, aux orphelins et aux voyageurs, aux étrangers, aux veuves, ainsi qu'aux petits enfants, aux opprimés et à tous ceux qui sont dans le besoin; quand tu les rencontres, secours-les avec bonté et miséricorde... ».

Dhuoda, Manuel pour mon fils, IV, 9, 1-34. Trad. B. de Vregille et C. Mondésert, Sources chrétiennes n° 225, 1975, pp. 257-259.

Heureux les miséricordieux !

Au X/° siècle Robert d'Arbrisol tient un langage analogue, à Ermengarde, comtesse de Bretagne. Mais il introduit une classification au sein des pauvres les plus pauvres et les serviteurs de Dieu méritent une attention prioritaire.

Soyez miséricordieux envers tous les pauvres, mais surtout envers les plus pauvres, et plus encore envers les serviteurs de la foi qui ont quitté le monde pour Dieu. Ecoutez le Seigneur qui dit: « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront eux-mêmes miséricorde. » Et ailleurs, l'Écriture dit : « Il a donné et distribué aux pauvres, et justice demeure éternellement », elle ne dit pas : « il a donné aux riches », mais : « il a donné aux pauvres ». L'aumône délivre de la mort et ne permet pas que l'homme tombe dans les ténèbres, pourvu, cependant, que ce qu'on donne ait été bien acquis, car ce qui est. mal acquis nuit et ne profite jamais, suivant cette parabole de l'Ecriture : « Offrir en sacrifice ce que l'on a enlevé aux pauvres, c'est immoler son fils sous les yeux de son père. »

Extrait d'une lettre de Robert d'Arbrisol à Ermangarde, comtesse de Bretagne.

Ed. par J. de Pétigny, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, V, 1854, p. 234.

Au XIII' siècle nous assistons à une radicalisation des positions. Pour les uns le pauvre n'est plus digne de la compassion de son prochain et, si l'aumône reste, elle n'a de valeur que pour le croyant comme moyen de rédemption. C'est ce que montre le questionnaire pédagogique extrait du roman de Sidrach. Pour d'autres, au contraire, le riche n'est plus digne de l'amour de Dieu car sa vie n'est que débauche, ainsi que nous le présente l'extrait de la Summa de Viciis.

Les pauvres sont comme des moutons

- Doit-on juger les riches comme les pauvres ?

- Il faut punir le riche très raide car le pauvre se dira : « Quand la justice a été telle au puissant, que sera-t-elle à moi qui suis pauvre homme ? »

- Faut-il faire du bien aux pauvres gens ?

Quand le riche perd sa richesse, vaut-il moins ? Quand le pauvre s'enrichit, vaut-il mieux? Assurément. Et c'est la preuve que l'homme n'est riche que d'un éclat emprunté. Cependant le pauvre qui fut riche est plus gentil que le pauvre qui n'eut jamais rien.

- Est-il bon que les pauvres se mêlent aux puissants ?

- Les pauvres sont comme des moutons qui en l'eau se heurtent et écrasent de leurs pieds les grenouilles car elles sont petites.

- Comment profitent les aumônes ?

- Les plus petites qu'ils font profitent aux croyants ; les plus grandes ne profitent pas aux incrédules, car ils ne les font pas pour Dieu, mais pour eux-mêmes.

Roman de Sidrach, Ed. CR. V Langlois, « La connaissance de la nature au Moyen Age », Paris 1927, pp. 211-248.

Dieu ne veut pas se souvenir du nom des riches

Il connaît Lazare par son nom, retenu pour l'éternité, (cf. Luc, XVI, 19-27) et refuse de nommer l'avare.

Parce que les riches sont désignés par leur nom sur leurs terres, Dieu ne veut pas se souvenir de leur nom, car leur nom a été sur les lèvres de jongleurs et autres hommes charnels comme si c'étaient des porcs. Par conséquent, de même que personne ne porterait à la bouche une pomme qui aurait été dans le groin d'un porc, de même Dieu ne veut pas placer sur ses lèvres les noms de tels hommes.

Guillaume p'eyrault, « La summa de Viciis » Ed. C. Gustovski, thèse de l'Ecole des Chartes, 1975, II, P. 39.

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