Novembre 1938, novembre 1988

Mascha Join-Lambert

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Mascha Join-Lambert, « Novembre 1938, novembre 1988 », Revue Quart Monde [Online], 129 | 1988/4, Online since 05 May 1989, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4007

Index de mots-clés

Histoire, Mémoire

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Allemagne

Novembre 1938 – partout en Allemagne, en Israël etc. on se souvient du pogrom de 1938 qui ouvrit la chasse au peuple juif en Europe et le fit entrer dans le chemin de la souffrance sans nom. À Paris une quinzaine de chefs d’État rendent un dernier hommage à Jean Monnet. Deux faces d’une même histoire : nous reconnaissons le démon qui sommeille en nous et nous remercions un homme qui a contribué à le vaincre.

Volontaire du mouvement Quart Monde, née en Allemagne d’une génération amenée à se demander si elle avait été accouchée d’un monstre et à faire ses choix de vie en fonction de ce qui s’était passé, je ne puis m’empêcher d’associer à ces événements les humiliés les plus démunis d’aujourd’hui et de demain.

Très jeunes, nous savions que nous allions tout faire pour que « ça » n’arrive plus jamais. Pour ma part, je croyais essentiel d’aider surtout les gens tout simples, à acquérir suffisamment de savoir pour ne pas être manipulables. C’est alors que je rencontrai le Quart Monde et le père Joseph.

Lui qui dans sa chair avait expérimenté combien l’homme peut faire mal à l’homme, me disait que les Allemands n’étaient point plus mauvais que d’autres, mais qu’il nous était demandé à tous de nous rendre libres pour refaire le chemin du partage de la souffrance et de son refus vers la vie. « Soyez disponibles pour mourir et renaître avec les plus pauvres partout dans le monde », telle fut sa réponse à notre besoin insatiable de jauger le passé.

Toute tentative de reconstruction qui ne s’appuierait pas sur les hommes les plus écrasés perpétuerait le mensonge. Seul l’homme sans protection nous mettant face à face avec la dignité nue, fournit le roc sur lequel bâtir.

Être de toutes les bonnes causes ne suffit pas pour s’abreuver de justice. Car le monde ne se divise pas en bons et en méchants. Les bourreaux aussi ont droit de découvrir la liberté, d’autant qu’ils sont généralement et superbement méprisés par les puissants.

À l’œuvre de Jean Monnet et à son idéal, je puis aujourd’hui pleinement souscrire parce que les plus pauvres nous apprennent à ne pas tricher avec la réconciliation. Le mépris des faibles avait perdu la société allemande et d’Europe ; la souffrance des dépossédés a provoqué le sursaut du monde vers le « unir les hommes » de Jean Monnet et des autres. Je suis aujourd’hui confiante que ce sera possible en vérité parce que les plus démunis seront, partout dans le monde, reconnus de la famille humaine.

Le 10 décembre approche. Cette famille humaine se souviendra des paroles de dignité que l’effroi lui dicta « tout homme… » en 1948 voulait dire : « l’homme en position de faiblesse, l’homme menacé ». Le marbre du Parvis des libertés le rappelle aujourd’hui, l’homme le plus fragile et menacé par nous-mêmes nous entraînera à fonder la paix et la justice en reconnaissant sa dignité, la sienne.

CC BY-NC-ND