Historique du Groupe OING Quart Monde

Corinne Dupasquier

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Corinne Dupasquier, « Historique du Groupe OING Quart Monde », Revue Quart Monde [Online], 129 | 1988/4, Online since 01 June 1989, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4020

On lira par ailleurs, sous la plume d’Hélène Beyeler les enjeux du groupe OING Quart Monde. Je retracerai plutôt ici brièvement ses activités qui ont commencé à l’occasion de l’Année Internationale pour l’Enfant.

L’enfant du Quart Monde, sa famille et son milieu

Le Groupe s’est réuni cinq fois de 1978 à 1979. Il comportait trente-cinq participants représentant vingt deux ONG différentes, plusieurs fonctionnaires de l’Unicef, du Haut Commissariat pour les Réfugiés, du Bureau International du Travail et des Nations Unies, ainsi que des organisations locales genevoises impliquées d’une manière ou d’une autre avec les familles très défavorisées. Il a dégagé plusieurs pistes de réflexions telles que :

- qui sont les plus défavorisés ?

- comment les ONG les atteignent-elles sur le terrain ?

- comment rompre le cercle vicieux de la misère et faire sortir les Familles du Quart Monde de leur isolement ?

- quel peut être le rôle des ONG pour faire appliquer la législation aux plus démunis et influencer la mise en place d’une politique d’aide aux familles les prenant en compte ?

À l’époque de l’AIE, le groupe portait pour titre « L’enfant, sa famille, son milieu ». Le Chanoine Moerman président du Comité ONG Unicef en a accepté la présidence et le Mouvement ATD Quart Monde en a assuré l’animation et le secrétariat.

Le groupe a publié un dépliant en sept mille exemplaires, en français et en anglais, qui dénonce l’exclusion des enfants du Quart Monde et lance un appel à tous. Trente huit ONG l’ont signé. Il a été soumis à la session plénière du Comité ONG de l’AIE, réuni en avril 1979 au Bureau International du Travail (BIT) à Genève puis diffusé à tous les correspondants du Comité ONG-AIE entre autres, donc à ses commissions de chaque pays. Les membres du groupe l’ont eux-mêmes diffusé dans leurs organisations et auprès d’autres ONG à l’occasion de conférences et de congrès divers.

Le groupe OING Quart Monde auprès de l’ONU

En janvier 1981 le groupe Enfant du Quart Monde reprécise son identité et devient groupe OING Quart Monde auprès des Nations Unies. Il ne s’adresse donc plus simplement à des ONG qui touchent les enfants mais à toutes les organisations intéressées au problème du Quart Monde.

Il leur propose de se réunir au moins une fois en début d’année. À ces réunions, une communication stimulante sur la base de faits concrets permet aux délégués de mieux cerner la réalité des plus pauvres et de réagir en connaissance de cause. Un tour de table systématique permet aux ONG de se présenter, de définir leurs actions en cours, leurs projets et leurs réactions aux thèmes développés. Les échanges débouchent sur des actions communes. Les ONG s’engagent à transmettre des articles sur les plus pauvres dans leurs propres publications et à diffuser les textes rédigés ensemble à travers leurs canaux propres.

Le groupe s’ouvre également à d’autres organisations même locales qui travaillent sur le terrain, et à des fonctionnaires internationaux intéressés par son approche.

Dix ans de vie du groupe

Ce groupe OING Quart Monde ayant une mission d’information et de sensibilisation au sein de l’ONU, il met sur pied plusieurs séances d’information et rédige différentes déclarations communes rappelant « que la misère est une violation des droits de l’homme et que l’engagement de tous est nécessaire pour la combattre ».

Il puise également ses forces dans les années internationales et les manifestations du Mouvement ATD Quart Monde pour affirmer son message et consolider ses collaborations.

Les temps forts du groupe OING Quart Monde

À l’occasion du Rassemblement International de Bruxelles en 1992, le groupe a lancé un appel pour que les familles du Quart Monde fassent partie « d’une société fondée sur la dignité et les droits de l’homme ».

En septembre 1983, une réunion d’information élargie sur le thème « échec à la misère : les ONG peuvent relever le défi » a été mise sur pied autour du père Joseph, au Palais des Nations. Un projet de déclaration commune a été soumis aux soixante dix participants (représentants d’ONG, fonctionnaires et personnalités locales). Cinquante ONG ont signé et diffusé sur tous les continents ce texte les engageant à « refuser l’abandon des plus pauvres, à leur offrir un avenir en mettant en œuvre des actions novatrices et à unir leurs forces pour amplifier la voix des plus pauvres à tous les niveaux pour que notre société et ses institutions repensent leur système en fonction de l’homme et son devenir ». La presse a également été informée.

En 1985, pour l’Année Internationale de la Jeunesse, le groupe a confectionné un album comme signe d’engagement avec les jeunes les plus défavorisés, soucieux de participer activement à la société. Ce document qui consigne textes, appels, événements et contributions des membres du groupe a été présenté devant le BIT lors du Rassemblement des Jeunes Travailleurs du Quart Monde en mai 1985 (rassemblement de mille jeunes de vingt pays).

Lors des échanges sur l’Année Internationale de la Paix en 1986, les ONG ont trouvé important que les pauvres aident à bâtir la paix, eux qui vivent des moments de grande violence et de tensions quotidiennes.

L’Année Internationale du logement des Sans-Abri en 1987

La réunion annuelle de 1987 a regroupé plus de cinquante participants, invités à entendre le Père Joseph rappeler par un texte que reprend ce dossier, la souffrance et les espoirs des familles sans-abri à travers trente ans d’engagement avec elles.

Le 17 octobre 1987, les ONG du groupe ont participé à l’hommage rendu aux victimes de la misère sur le Parvis des Libertés et des Droits de l’homme, place du Trocadéro à Paris. Quarante d’entre elles tenaient des stands d’information.

La dernière réunion annuelle en 1988 a été placée sous le thème « les ONG, garantes de la participation des plus pauvres aux grands enjeux de notre temps », thème auquel revient l’ensemble de ce dossier. Le représentant du Directeur Général de l'ONU à Genève a rappelé que l’ONU doit aussi être un lieu de représentation de ceux qui n’ont pas de voix dans leur pays, et que c’est aux ONG de les représenter à la Commission des droits de l’homme.

Quels résultats ?

Les ONG du Groupe ont exprimé la conscience que les plus pauvres n’ont aucun autre moyen qu’elles d’être présents aux Nations Unies.

Le groupe s’est donc doté d’instruments de sensibilisation et de mobilisation : différentes déclarations communes, des séances d’information ainsi que les réunions de travail elles-mêmes.

Les ONG sont bien décidées à ce que le silence sur la réalité des plus pauvres ne soit plus possible et qu’on ne puisse pas non plus parler d’eux comme avant.

C’est ce qui les a conduites à insister depuis des années sur la dimension familiale du droit à la dignité et sur l’indivisibilité des droits de l’homme.

La participation régulière d’ONG aux travaux du Groupe a augmenté d’année en année, ainsi que le soutien d’ONG par adhésion aux différentes résolutions. Cent-vingt ONG sont associées d’une manière ou d’une autre aux efforts du Groupe, le « noyau dur » comprenant environ quarante organisations. Des fonctionnaires participent aussi à ses séances de travail. Ils appartiennent aux différentes divisions et agences spécialisées des Nations Unies : l’Unicef, le Haut Commissariat pour les réfugiés, le Bureau Internationale du Travail, le Centre pour les Droits de l’Homme, le Service d’information des Nations Unies, le Centre Européen pour les Établissements Humains (habitat), l’Organisation Mondiale de la Santé.

Renforcer notre identité d’ONG

Alwine de Vos van Steenwijk, Présidente du mouvement internationale ATD Quart Monde Quart Monde, le 1er février 1988 à Genève

Le groupe OING Quart Monde est peut-être un catalyseur de ce que beaucoup d’ONG portent en aspiration profonde. Mais il est certain que la volonté de privilégier les plus démunis nous place à contre-courant de la manière dont marche le monde. Nous portons un idéal que l’humanité partage en profondeur. Mais les aspirations profondes de l’humanité et la manière dont va effectivement le monde sont deux choses bien différentes. Aujourd’hui, la conjoncture, les réalités politiques et économiques nous sont carrément hostiles. Les dépenses des politiques sociales dans les pays industrialisés sont de plus en plus limitées, comme le sont les politiques de développement dans les pays du tiers-monde. Et en même temps, les institutions européennes et mondiales inter-gouvernementales rationalisent de façon générale leur fonctionnement. Traduit en termes de droits de l’homme et d’égalité des chances de tous les hommes, ce que j’appelais la « marche du monde » régresse.

C’est vrai, la pensée, la prise de conscience, elles, avancent. Mais tout se passe comme si le monde avait peur du prix des droits de l’homme. Comme si, effrayé par ses ambitions, il se rétractait « c’est trop cher, voyons comment nous pouvons nous en sortir à meilleur compte ! ».

Nous avons avec nous de plus en plus de concitoyens de bonne volonté. Mais nous avons contre nous le discours de la rationalité économique (et donc politique).

Nous devons chercher ce qui pourrait nous renforcer ensemble afin de bien garantir la participation des plus pauvres aux grands enjeux de notre temps.

Il me semble de plus en plus que la communauté internationale a tendance à classifier les ONG dans des catégories spécifiques : ONG de développement ou ONG des droits de l’homme ou encore ONG humanitaires (sous-entendu ONG « généreuses » dont on n’attend guère une contribution aux défis de notre temps).

Il y a là une classification erronée qui ne favorise ni la cause des plus pauvres, ni la cause des droits de l’homme, parce qu’elle risque de dissocier des causes absolument liées. Elle pourrait laisser entendre que la cause des plus pauvres est séparée des grands combats de notre temps. Les plus pauvres seraient considérées alors comme récepteurs d’aide et non pas comme acteurs dans les défis modernes ou comme bâtisseurs eux-mêmes des droits de l’homme.

Nous défendons le droit des plus pauvres à communiquer leur propre pensée sur la façon dont marche le monde et à être des partenaires en égalité. Nous voulons réaliser le droit des plus pauvres à être consultés dans les grands défis de notre monde et à participer aux grands enjeux de notre démocratie.

Corinne Dupasquier

Née en Suisse, mariée et mère de deux enfants, assistante sociale de formation, elle a travaillé deux ans comme animatrice de scoutisme féminin de Côte d’Ivoire. Volontaire du Mouvement ATD Quart Monde pendant quatre années avec les familles d’une cité de promotion familiale, elle est aujourd’hui alliée du Mouvement participante du Groupe OING Quart Monde à l’ONU.

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