ONG… poil à gratter

Maryse Durrer

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Maryse Durrer, « ONG… poil à gratter », Revue Quart Monde [En ligne], 129 | 1988/4, mis en ligne le 01 juin 1989, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4026

Quelques réflexions – naïves, partielles et schématiques – sur le monde onusien vu depuis un strapontin de représentante d’une ONG auprès de l’ECOSOC.

Dis, une ONG à quoi ça sert ?

En forme de boutade, je serais tentée de dire : « ça ne sert à rien ; mais c’est essentiel ; du moins, j’ai la faiblesse ou la sagesse de le croire ! »

Plus sérieusement, c’est la notion de courroie de transmission qui me vient à l’esprit. Le cercle international autour des Nations Unies a deux pôles essentiels, les Nations Unies et les États. Entre eux, autour d’eux, gravitent les ONG dont la tâche est d’assurer, sans cesse, que l’être humain reste bien au cœur des analyses, qu’il soit l’essence même de toute action.

Tout ce qui se fait a pour finalité d’assurer la pleine reconnaissance de la dignité humaine.

J’entends votre objection, les Nations Unies n’ont-elles pas aussi cette ultime préoccupation ? N’est-ce pas le but de tout État ? Voire…

Dans l’absolu, il est vrai que cette recherche de la dignité humaine est le but des Nations Unies et des États, mais dans les faits, on observe certaines déviations… peut-être involontaires.

Les Nations Unies

Elles n’existent et ne durent que par la volonté des États membres. Elles obtiennent leurs informations de deux sources principales : les États eux-mêmes et les experts, le plus souvent nommés par les cercles du pouvoir. En dehors du maintien de la paix, elles ont pour tâche essentielle l’élaboration de conventions, de traités. Elles travaillent donc au niveau des données objectives, des concepts. Et dans ces conditions, la tentation est grande d’oublier que derrière les grandes idées, si généreuses soient-elles, se cache la vie des gens qui souffrent, qui luttent pour pouvoir survivre. Il est tellement plus simple de manier des concepts.

Nul ne songe à mettre en doute l’utilité de cette action normative, de cette tentative d’organiser le monde pour que chacun y ait un espace de liberté et qu’il puisse vivre.

Les États

Ils fournissent des données statistiques, des rapports sur l’état de telle ou telle partie de leur pays. Mais à nouveau, quelle réalité se cache derrière la femme qui a en moyenne 1,6 ou 8,2 enfants, quelles inégalités cachent un revenu moyen par habitant de dix mille ou de deux cents dollars ?

Que deviennent les groupes qui n’entrent dans aucune des catégories prévues par le bureau d’enquêtes ou de statistiques ? Comment se faire entendre sur la question du logement quand on en est dépourvu et que les enquêteurs ne s’adressent qu’à ceux qui ont une adresse ? Comment entrer dans les statistiques sur l’emploi quand on n’en a jamais occupé un, ou que l’on est en fin de droits ?

Les États élaborent les lois, signent des traités internationaux, acceptent des recommandations. Mais qu’en est-il de la mise en application ? Dans presque tous les pays du monde, la législation assure aux femmes l’égalité avec les hommes. Regardez ce qui se vit sur le terrain !

Là aussi cette action indispensable a besoin d’un correctif, d’une humanisation.

ONG… poil à gratter

Ce qualificatif appliqué aux doctes ONG peut paraître irrévérencieux ; mais il définit si bien ce que devrait être le rôle d’une ONG que je ne résiste pas au plaisir de l’employer.

On nous dit : « Soyez patientes, regardez le travail accompli, il est normal qu’il y ait des ratés. Il y a toujours des cas particuliers etc. ». D’accord, mais si l’on veut que les choses progressent, il faut inlassablement rappeler ce qui ne va pas, ce qui peut être amélioré. Ce rappel ne minimise rien de l’importance du chemin parcouru, la valeur de ce qui a été accompli. Tant que chaque être humain n’aura pas la possibilité de vivre dans la dignité, il faudra qu’il y ait des voix pour demander que cela change.

La grande diversité des ONG leur permet d’être compétentes dans tous les domaines, de prendre la parole à tous les niveaux, car elles ont un but commun, même si elles ne l’expriment pas toutes de la même façon, le but d’affirmer, d’assurer la dignité de tout être humain.

Ceci est fort bien compris par les Nations Unies et les États ; ils considèrent les ONG avec un mélange d’appréciation laudative, mais aussi d’exaspération. Ils oscillent continuellement entre le coup d’encensoir et la tentation de nous clouer le bec.

L’Union Mondiale des Organisations Féminines Catholiques

Notre but est de permettre aux femmes catholiques de remplir pleinement leur rôle dans les domaines sociaux, économiques, politiques et religieux. Le moteur de cette action est notre foi chrétienne, elle nous fait obligation d’être attentives aux plus pauvres, aux plus démunis. Le fait que ces pauvres sont le plus souvent des femmes ne fait que renforcer notre conviction que partage et solidarité sont indispensables et qu’il vaut mieux « faire avec » que « faire pour ».

Certes chacun doit défendre ceux par qui il a été mandaté, se faire le porte-parole de leurs préoccupations, de leurs attentes. Mais ce travail reste vain, si nous oublions d’élargir la perspective pour englober dans notre demande ceux qui sont sans voix, ceux qui sont exclus, ceux qui dans toutes les circonstances se trouvent du côté des perdants.

Cette tâche doit se faire sur un triple plan : auprès de nos adhérents, auprès de nos autorités nationales et auprès des Nations Unies.

C’est là que l’image de la courroie de transmission prend toute son importance.

Nous devons traduire en langage onusien les demandes venant du terrain, les difficultés rencontrées, les manques. Cette traduction est aussi valable pour nos gouvernements. La démarche doit se faire dans le sens opposé, il faut expliquer à la base en quoi les traités, les conventions nous concernent, l’impact qu’ils ont dans notre vie quotidienne.

Pour avoir cette vison élargie, nous avons besoin de la collaboration des autres ONG, pour nous informer mutuellement, pour partager nos réussites et nos échecs.

Dans ce domaine, je suis toujours désolée de voir une certaine frilosité, comme si chacun défendait sa part du marché. Ce n’est pas perdre son identité que de faire avec les autres, n’est-ce pas plutôt un enrichissement ?

J’exprime le vœu que cette volonté de « faire avec » prenne le pas sur tous les corporatismes et les égoïsmes.

Maryse Durrer

Représentante de l’Union Mondiale des Organisations Féminines Catholiques auprès du Conseil Économique et Social de l’ONU, Maryse Durrer livre ses réflexions sur le monde onusien. Ces réflexions concernent le domaine où les ONG dites des droits de l’homme sont actives.

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