Le volontariat : du refus de la souffrance à la paix du monde

Geneviève de Gaulle Anthonioz

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Geneviève de Gaulle Anthonioz, « Le volontariat : du refus de la souffrance à la paix du monde », Revue Quart Monde [En ligne], 133 | 1989/4, mis en ligne le 05 mai 1990, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4191

A côté du père Joseph depuis l’époque du bidonville de Noisy, la présidente du Mouvement ATD Quart Monde (France) retrace brièvement l’élargissement du volontariat qui a découlé de l’engagement avec les familles en grande pauvreté.

Index de mots-clés

Volontariat, Joseph Wresinski

Il y a des événements presque invisibles auxquels personne ne prête attention jusqu’à ce que longtemps, très longtemps après, n’apparaisse leur importance. Ainsi en a-t-il été de la rencontre du père Joseph avec quelques dizaines de familles de la misère dans le bidonville de Noisy-le-Grand. Il n’était rien, qu’un petit curé de campagne, pauvre depuis sa naissance. Il était seul, il ne pouvait donner que lui-même. « D’emblée, dit-il, j’ai senti que je me trouvais devant mon peuple. Cela ne s’explique pas, ce fut ainsi. »

Sans doute, les hommes et les femmes qui ont rejoint comme volontaires le père Joseph pourraient-ils aussi le dire. Avec lui, et à sa suite, ils donnent leur vie pour faire exister un peuple, qu’ils recherchent dans les banlieues des villes industrielles ou dans les pays du tiers monde. Et, l’ayant trouvé ils marchent avec lui.

D’abord retenus par une souffrance inacceptable

Les premières volontaires sont venues se faire « immerger dans la misère » avec le père Joseph. Elles ne savaient pas où cela les mènerait. Lui-même ne le savait pas. Sa certitude, dès le début, était que la réponse à la misère et à l’exclusion ne pouvait venir que des plus pauvres eux-mêmes. Il écrivait : « Il n’est d’autre solution aux problèmes de la misère que de faire du pauvre un militant du bonheur de ses frères, par sa pensée, par son travail et par son action au sein de la cité. »

Telle devait être la conviction de celles (d’abord des femmes), puis de ceux qui rejoignirent le père Joseph à Noisy où les familles n’avaient connu que l’assistance : ils étaient sans sécurité, sans garantie pour leur avenir, seule la souffrance les retenait et la conviction profonde qu’on ne pouvait accepter une société qui ignorait et même rejetait une couche entière de population.

Mais, avec le père Joseph, ils devaient découvrir que leur tâche était immense. Il ne suffisait pas de donner sa vie, de rétablir la justice dans son propre cœur. Cela aurait pu être ainsi : partager la misère, reconnaître la dignité, aimer de préférence les humiliés, c’était déjà beaucoup. A travers le monde et depuis des siècles bien des hommes l’ont fait.

Comprendre les espoirs pour réaliser les droits

Des pauvres familles de Noisy, les volontaires devaient apprendre qu’elles aspiraient à être reconnues non seulement par quelques amis, mais par la société tout entière. Le volontariat leur devait de partager non seulement leurs souffrances mais leur espoir. « Il ne s’agit pas de mourir avec elles sans susciter leur résurrection », écrivait le père Joseph.

Dans sa pauvre cabane de Noisy avec une poignée de compagnons (beaucoup vinrent et repartirent, quelques-uns sont restés), un jeune prêtre commence à parler des droits des plus pauvres, d’une société qui non seulement devait les reconnaître mais apprendre d’eux ce qu’elle doit être. Et il montre comment réaliser ces droits en créant une bibliothèque et un jardin d’enfants. Dans la boue des bidonvilles de la Campa, de Noisy-le-Grand, des Franc-moisins, des volontaires créent des pré-écoles, des lieux de réunions et de culture et construisent des dossiers impeccables pour les administrations et les ministères, car l’honneur des pauvres est en jeu.

Elargir les tâches pour faire entrer les plus pauvres dans l’histoire commune

Dès l’origine, le père Joseph apprend aux volontaires que leur vocation est aussi de convaincre. Ce qu’ils apprennent des familles de la misère, il leur faut le partager. Comment faire entrer dans l’histoire des hommes ceux qui sont privés de leur histoire ? Que leur pensée soit prise en compte… que soit reconnu leur combat pour les Droits de l’homme ?

Le chemin est toujours à découvrir. Maintenant, dans des dizaines de pays, le volontaire est « un passeur de frontières »(père Joseph) Sans cesse, il réajuste ses questions à celles que lui posent les plus pauvres, mais aussi à la réalité du monde qui l’entoure.

Ne soyons donc pas étonnés si le père Joseph dit des volontaires « qu’ils doivent être experts en humanité. » Ils sont le contraire de gens enfermés ; s’ils intériorisent en profondeur leur expérience (sinon ils ne communiquent plus rien) ils vont aussi « au large », réalisant la devise de leur fondateur : « Va au large et lette tes filets. »

Ce sont aussi des hommes en marche car la société bouge et le Quart Monde, vaille que vaille, se transforme aussi. Il leur faut donc à la fois des accrochages indéracinables et une extraordinaire flexibilité. Si « les pauvres sont leurs maîtres », il leur faut aussi être attentifs à tout ce qui est vraiment et noblement humain, pour le recevoir et le leur transmettre.

Un volontariat pour porter la demande de paix des plus pauvres

Depuis les origines le volontariat a été très divers de nationalité, de religion, de culture. Quelle richesse puisque son fondateur lui propose une dimension universelle ! Mais, en même temps, il leur demande l’unité autour des familles les plus démunies. Elles sont les témoins de sa sincérité dans un engagement qui dépasse ses différences, chaque membre de ce volontariat allant jusqu’au bout de sa foi et de son espérance quelles qu’elles soient.

La confiance dont témoignait le père Joseph à l’égard des volontaires a été égale à celle qu’il portait au Quart Monde. On peut dire aussi que cette confiance, il la portait à l’humanité. Il pensait que, malgré de terribles régressions, elle était en marche vers un avenir d’où personne ne serait plus rejeté.

Comme le père Joseph, les hommes debout que sont les volontaires du Mouvement ATD Quart Monde sont des éveilleurs d’espérance. Ils ne cessent de guetter cette petite lumière qui demeure dans le cœur de chaque homme : le plus pauvre et le plus méconnu sans doute, mais aussi celui qui semble enfermé par la possession de ses richesses.

Aussi les volontaires, tels que les a souhaités le père Joseph sont-ils également porteurs de paix. La paix, voilà le bien essentiel que demandaient les pauvres familles de Noisy-le-Grand et toutes les autres d’Asie, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique, partout où les volontaires sont allés pour les rencontrer.

Enfin, les volontaires sont des donneurs d’amour. Ils en reçoivent d’ailleurs autant qu’ils en transmettent. Qui n’a pas rencontré les regards de confiance et de tendresse échangés entre les familles du Quart Monde et les volontaires, et aussi entre les volontaires eux-mêmes, ne peut avoir vraiment compris ce qu’est le volontariat. Mais cela aussi il l’a appris du père Joseph qui a aimé et compris la valeur unique de chacun de ses membres. Et il ne cessera de découvrir la prodigieuse dimension de cet héritage.

Geneviève de Gaulle Anthonioz

Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d’ATD Quart Monde France, a rencontré le père Joseph dans le bidonville de Noisy-le-Grand. C’était en 1958. Elle a retrouvé sur le visage des adultes cette humiliation qu’elle avait elle-même connue à Ravensbrück où elle fut déportée. Elle a pensé aux enfants des camps en voyant les enfants sans avenir s’accrocher au père Joseph. Pareille misère lui fut insupportable. Dès ce jour-là, elle a su qu’elle serait solidaire des familles du Quart Monde.

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