A propos d’un dynamitage…

Pascale Naz

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Pascale Naz, « A propos d’un dynamitage… », Revue Quart Monde [Online], 121 | 1986/4, Online since 05 March 1987, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4219

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France

Le 18 février dernier, nous assistions en direct à la destruction instantanée d’une barre de la Cité des 4 000, à La Courneuve. Un dynamitage spectaculaire : grâce à un procédé d’avant-garde, l’immeuble de quinze étages s’écroulait sur lui-même, en moins de dix secondes. Tandis que nous entendions les applaudissements des spectateurs, nous découvrions, à travers l’œil de la caméra, leurs visages dont l’expression paraissait plus grave que gaie ; et il est difficile de qualifier le sentiment qui nous animait au même moment devant nos téléviseurs : sentiment d’admiration certes pour la prouesse technique, mais empreint de malaise, voire de révolte.

« Ils ont montré ça à la télé, c’est une honte ! », s’écriait quelque temps plus tard un homme participant à l’Université Populaire. On sait combien le bâtiment s’était, au fil des années, dégradé, combien surtout, la vie était insupportable dans cet univers où s’empilaient les misères de trois cent soixante-dix foyers. Cette cité avait une lourde réputation de foyer de délinquance, et inquiétait tant les autorités que la population avoisinante.

A t-on raisonnablement pu croire que sa destruction pourrait tout résoudre ?

Elle témoigne bien sûr, de la part des pouvoirs publics, d’une volonté d’agir, « d’effacer les mauvais choix du passé »1. Faut-il détruire ou simplement réhabiliter les cités de ce type, dont on avait pu croire qu’elles seraient celles de l’avenir, et qui se révèlent, à vivre, totalement inhumaines ? Telle fut la question que l’événement fit ressurgir ; et la meilleure des réponses est sans aucun doute qu’il n’y a pas de solution-miracle, « sans une politique sociale d’ensemble »2

Mais la raison de notre malaise était bien plutôt celle-ci : la publicité faite à cette destruction occulte et agresse la souffrance de ceux qui en furent réduits à habiter là, dans un cadre détérioré, où éclatait quotidiennement la violence, et à porter en eux le mépris et la crainte que le monde extérieur entretenait à l’encontre de la cité-ghetto. Souffrance qui, pendant des  années ne trouva que peu d’écho… comme celles qui vivent encore bien d’autres familles, dans d’autres cités proches ou lointaines…

C’est l’histoire des hommes et des femmes, des jeunes et des enfants, qui avaient connu dans ces murs le désespoir et la peur, mais aussi peut-être la joie, qui, chaque jour, avaient dû retrouver le courage d’y vivre et d’inventer des gestes d’amitié, de solidarité, c’est leur histoire qui est partie en poussière ce jour-là, mais en a-t-on beaucoup parlé ?

1 Jean Auroux, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, cité par « Le Monde ».
2 La commission pour le développement social des quartiers, citée par « Libération ».
1 Jean Auroux, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, cité par « Le Monde ».
2 La commission pour le développement social des quartiers, citée par « Libération ».

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