Une réponse de l’Etat. Les types d’interventions publiques pour les demandeurs d’emploi les plus défavorisés

Lucette Dhuicque

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Lucette Dhuicque, « Une réponse de l’Etat. Les types d’interventions publiques pour les demandeurs d’emploi les plus défavorisés », Revue Quart Monde [Online], 121 | 1986/4, Online since 02 June 2020, connection on 20 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4239

Au sein du Ministère du Travail, la Délégation à l’Emploi est chargée de superviser les actions en faveur de l’emploi. Le Mouvement ATD Quart Monde travaille avec elle depuis plusieurs années afin de réfléchir à l’impact de ces actions pour les travailleurs les plus défavorisés et de dépasser les difficultés rencontrées. Après avoir fait une présentation synthétique des actions du Ministère, Mme Dhuicque, représentant de la Délégation au récent Forum de Lyon1, répondait aux interpellations du "Livre Blanc" document préparatoire aux travaux du Forum

Vue d’ensemble des actions du ministère

Les mesures et instruments spécifiques en faveur des demandeurs d’emploi les plus défavorisés, peuvent être groupés selon quatre thèmes :

1. une politique de solidarité en matière d’indemnisation chômage,

2. un traitement plus individuel des demandeurs d’emploi par l’ANPE,

3.des mesures spécifiques de formation en faveur de catégories particulières : (jeunes, femmes isolées, chômeurs de longue durée),

4. des formes nouvelles d’insertion, réinsertion.

1 - Une politique de solidarité en matière d’indemnisation-chômage

Pour beaucoup de chômeurs, la durée d’indemnisation d’assurance-chômage s’est révélée trop courte pour leur permettre de retrouver un emploi ; à l’issue de cette période, ils se retrouvent alors privés d’allocations.

En 1984, la réforme du régime d’indemnisation du chômage distingue entre :

- le système de l’assurance-chômage dont bénéficient les personnes qui, ayant déjà travaillé, ont cotisé aux ASSEDIC.

- et un nouveau système de solidarité bénéficiant d’une part aux « fins de droit » et d’autre part, sous la forme de l’allocation d’insertion aux catégories qui n’ont jamais cotisé aux ASSEDIC.

2 - Un traitement plus individualisé des demandeurs d’emploi par l’Agence Nationale Pour l’Emploi

Depuis l’expérience « chômeurs de longue durée » en 1982-1983, l’ANPE doit en principe recevoir les demandeurs d’emploi au 4è puis au 13è mois de chômage, soit plus d’un million de personnes en 1984.

Ces entretiens suivis de formations ou d’évaluations plus précises des compétences professionnelles et d’autres éléments d’orientation sont mieux adaptés à la prise en compte des difficultés spécifiques des plus déshérités qu’un simple entretien avec un prospecteur-placier.

Par ailleurs, les aides au placement sont de plus en plus individualisées et ont été progressivement confiées à l’ANPE. Il convient de citer les contrats de travail à durée déterminée pour les chômeurs de longue durée, les stages de mise à niveau, enfin les mesures favorisant le travail à temps partiel.

Les mesures spécifiques de formation en faveur des catégories particulières

Ces formations spécifiques s’adressent aux publics suivants :

Les jeunes

Le dispositif se compose de trois catégories de stages :

- les stages d’orientation (4 à 6 semaines) doivent aider le jeune à définir un projet d’insertion professionnelle et sociale.

- les stages d’insertion sociale (5 à 10 mois dont la moitié en entreprise) doivent le préparer à suivre une formation qualifiante.

- les stages de qualification (6 à 8 mois en alternance) doivent lui donner une qualification qui prépare à un métier conduisant à un emploi, ou remédier à l’inadaptation des choix professionnels des jeunes filles.

Les femmes isolées

Les mesures s’adressent aux femmes isolées qui se trouvent sans ressources après s’être consacrées à l’éducation de leurs enfants. Le recrutement est effectué par l’ANPE, les collectivités locales ou les Caisses d’Allocations Familiales.

Après un itinéraire individualisé, la formation comprend des périodes en entreprise.

Les chômeurs de longue durée

Les interventions classiques du Fonds National de l’Emploi en faveur des chômeurs de longue durée, tenant notamment compte d’une expérimentation intéressante qui a pu être faite en matière de lutte contre l’illettrisme, associeront davantage la formation générale de base à des apprentissages professionnels.

Les places supplémentaires dans les dispositifs déjà existants, devront bénéficier principalement au chômeurs de longue durée : 20 000 dans les stages 18-25 ans, 3 000 contrats emploi -formation adultes, 15 000 places supplémentaires dans le système de formation FNE chômeurs de longue durée.

Ensuite, 49 000 « stages modulaires » sont destinés aux « plus défavorisés tant par l’ancienneté de leur inactivité que par l’absence d’indemnisation ou par la précarité de leur situation financière, afin de lutter contre la sélectivité de la formation et de l’emploi ». Ils sont individualisés et comportent un ensemble d’actions complémentaires avec, chaque fois que possible, un temps en entreprise et, en fonction des besoins individuels, réentraînement aux rythmes professionnels, aux horaires, à la vie sociale, remise à niveau solaire et professionnelle, modernisation et élargissement des connaissances, enfin accompagnement de la recherche d’emploi.

4 - Les actions nouvelles d’insertion ou de réinsertion

La solution formation n’est pas toujours possible ni souhaitable. Elle dépend en effet à la fois de la capacité, des connaissances de base et des motivations des intéressés. C’est pour tenir compte de ces situations que de nouvelles formes d’insertion ont été mises en œuvre : les TUC, les AMOF, les entreprises intermédiaires.

Les TUC

Cette nouvelle forme d’insertion professionnelle pour les jeunes, les Travaux d’Utilité Collective, a pour objectif de permettre aux jeunes d’exercer une activité utile pour la collectivité, d’accéder à une expérience professionnelle et d’élaborer un projet professionnel. A l’origine, cette formule TUC a été réservée aux jeunes de 16 à 21 ans, mais dernièrement elle a été étendue d’une part aux jeunes de 21 à 25 ans inscrits à l’ANPE depuis plus d’un an, d’autre part, et dans la limite d’un quota de 5 %, à des publics sans limitation d’âge lorsque la situation des intéressés le justifiera (difficultés particulières d’insertion sociale et professionnelle, ressources faibles).

Les AMOF

Associations de Main d’œuvre-Formation. En principe ces associations ne sont pas destinées spécialement à accueillir des jeunes en difficulté, mais, prenant en compte le fait que la précarité des emplois proposés aux jeunes est une réalité, elles ont pour mission d’aider les jeunes à trouver un emploi précaire ou saisonnier adapté à leurs aptitudes, et surtout de compléter ces emplois précaires par de telles formations dans un parcours d’insertion professionnelle.

L’Etat passe des conventions de coopération ave les AMOF, il finance la rémunération des jeunes pendant la période de formation et aide au démarrage des associations. L’ANPE aide au recrutement et au suivi de ces jeunes, qui bénéficient d’outils comme la technique de recherche d’emploi ou les sessions d’orientation approfondie.

Les entreprises intermédiaires

Les entreprises intermédiaires font l’objet d’un programme expérimental destiné à compléter et à renforcer l’éventail des mesures d’insertion professionnelle offertes aux jeunes. Elles répondent à deux caractéristiques : comme toute entreprise, elles sont soumises aux contraintes normales de la vie économique et du marché, mais elles ont en même temps une fonction d’insertion des jeunes qui occupent ces emplois pendant quelques mois.

Le recrutement des jeunes en difficulté se fait à l’initiative de L’ANPE mais aussi des missions locales (PAIO), des clubs de prévention. L’Etat subventionne ces associations du fait qu’elles ont à la fois une rentabilité trop faible en raison de l’insuffisance de productivité des jeunes et un surencadrement nécessaire à la formation des jeunes.

Pour conclure, signalons que ces mesures ou ces instruments ont souvent fait, préalablement à leur généralisation, l’objet de projets-pilotes dans lesquels la compétence et l’expérience d’ATD Quart Monde se sont révélées particulièrement utiles.

Entreprendre

M. Henri a travaillé dans des fermes, dans des fêtes foraines, sur des chantiers de bâtiment, dans des entreprises d’intérim. Il est resté sans emploi durant de longues périodes, notamment de 1982 à 1984. Cependant, il reste actif : il travaille dans des jardins et rapporte chez lui de quoi faire des conserves ; il répare de temps à autre une mobylette pour dépanner un ami. A l’automne 1984, il s’achète, grâce à un secours de l’ASSEDIC, un poste à souder et il dit à un volontaire du Mouvement :"Faut absolument que tu m’aides, je veux me mettre à mon compte avec mon copain Claude".

Un jour, son tuteur lui dit qu’il a besoin d’une remorque pour transporter son bois. M. Henri lui dit alors : « Moi, je peux te la fabriquer ». Le tuteur le met au défi sans trop y croire, mais M. Henri affirme : « Il ne croit pas que je vais réussir mais je vais bien l’avoir : je lui ferai sa remorque » A part quelques fournitures qui seront payées par le tuteur une fois le projet bien engagé, toute la matière première est récupérée sur les décharges. A partir de janvier 1985, ATD prête à M. Henri un garage tous les samedis, mais il ne peut démarrer que fin février à cause du froid.

M. Henri a un projet, un local et des outils, mais il ne sait pas s’en servir. Il s’entoure alors de Claude, plus qualifié et de Christian, soudeur au chômage. Claude et M. Henri préparent d’avance le matériel d’après les indications de Christian, et celui-ci vient quand il faut souder. Le projet rencontre des difficultés. Le matériel est neuf mais manque de puissance. M. Henri n’est pas sûr de lui ; s’il emmène à l’occasion ses enfants récupérer de la ferraille, il se refuse à les faire travailler avec lui pour leur apprendre. Claude et Christian se moquent parfois de lui : « Tu as dépensé de l’argent pour rien ; tu ne sais pas prendre une mesure ! » Mais M. Henri se défend : « Tout le monde peut se tromper » M. Henri réalise la peinture lui-même. Il manque de compétence technique, mais c’est sa volonté qui permet au projet d’aboutir. En juin, le tuteur entre en possession de la remorque. L’essieu est un peu faible et devra être repris, mais l’ensemble « tient la route ».

M. Henri ne cherche pas de travail car il sait d’expérience qu’on ne veut pas de lui, on lui préfèrera toujours quelqu’un de plus qualifié : « Je ne suis pas un mendiant du travail » Mais il montre fièrement, à l’occasion, les photos de sa remorque. Les gens le prennent au sérieux. Malgré les plaintes des autres locataires du fait de sa consommation d’électricité, il bricole dans sa cave. Il a toujours le projet de se mettre à son compte : il voudrait trouver une vieille ferme à retaper pour y vivre et travailler avec Claude.

Eléments d’évaluation de ces actions

Les mesures globales en faveur de l’emploi ne profitent que très peu aux catégories les plus défavorisées. Il y a en effet une sélection à l’embauche, mais aussi une sélection à l’entrée dans les stages de formation. C’est la raison pour laquelle le Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Participation a été amené à mettre en place les précédentes mesures spécifiques et des instruments mieux adaptés à ces types de population. Tentons un rapide bilan de ces actions qui ne recouvrent bien évidemment ni toute la politique de lutte contre la pauvreté et la précarité, puisqu’il s’agit des seuls instruments du Ministère du Travail, ni tous les instruments de la politique de l’emploi.

- Au plan quantitatif, ces mesures sont importantes à la fois en ce qui concerne le nombre de bénéficiaires et les enveloppes financières qui y ont été consacrées.

* Pour la France entière, les stages 16-18 ans en 1984 ont touché 95 000 jeunes, les stages 18-25 ans, 35 000.

Il est intéressant de rapprocher ce chiffre de 95 000 de celui des sorties du système scolaire sans formation qui est de 146 000. L’enveloppe financière consacrée à ces actions est de 3 milliards de francs. Pour la campagne 85-86, l’objectif est de toucher 50 000 jeunes de 16 à 18 ans, 35 000 jeunes de 18 à 25.

* Depuis la création des TUC, sur 306 000 bénéficiaires potentiels, 263 000 se sont effectivement inscrits. Au budget 86, 3 milliards et demi de francs sont prévus pour 220 000 postes en durée pleine, soit 300 000 jeunes bénéficiaires.

* Pour ce qui est des stages modulaires, le programme prévoit 49 000 places, dont bénéficient actuellement 20 000 personnes.

* Pour les entreprises intermédiaires, le Ministère du Travail prévoit une dotation globale de 50 millions de francs en 1985, et 100 millions de francs en 1986, pour un objectif de 5 000 postes.

* Le régime d’assurance-chômage indemnise environ 1 000 000 de demandeurs d’emploi. Le régime de solidarité indemnise en allocations d’insertion 158 000 personnes, en allocations de solidarité 136 000 personnes (statistiques fin septembre 1985)

L’assurance-chômage coûte environ 53 milliards de francs, la solidarité pèse de l’ordre de 9 milliards de francs (dépenses consacrées aux préretraités non comprises). Evidement, si l’on fait un rapprochement entre le nombre de personnes indemnisées et le nombre de demandeurs d’emploi (2 500 000 pour l’ensemble de la France), on constate qu’il reste environ 40 % de demandeurs d’emploi non indemnisés.

Il y a donc encore des exclus et on peut se demander si ces moyens, malgré leur importance, malgré leur coût, profitent réellement aux plus défavorisés ?

- Voici donc un très rapide bilan qualitatif des actions menées par le Ministère du Travail et de l’Emploi, répondant aux interpellations du Livre Blanc du forum de Lyon.

1ère interpellation : les stages jeunes 16-18 ans ont-ils atteint un public globalement défavorisé ?

Des études du CEREQ montrent que c’est bien le cas. Mais, seuls 15 à 30 % des jeunes ont trouvé un emploi à l’issue de ces stages. Ceux-ci n’ont cependant pas pour vocation de conduire directement à l’emploi. Ils ont été conçus comme une voie de transition entre la vie scolaire et la vie professionnelle, au profit du public de l’échec scolaire. Et pour ce public on ne dispose pas actuellement de beaucoup d’autres formules alternatives, les contrats emploi-formation et les mesures de formation en alternance écrémant les meilleurs.

Ces stages 16 à 18 ans doivent en fait constituer le premier échelon de l’insertion des jeunes qui devraient, à leur issue, accéder plus largement aux autres formules de formation. Un décret prévoit la suppression de règles qui interdisaient la rémunération en cas de stages successifs.

En ce qui concerne les TUC, seuls 5 % des jeunes de 16 à 18 ans en bénéficient, mais le public de faible niveau (BEPC ou pas de diplôme du tout) représente quand même 50 % des jeunes accueillis.

2ème interpellation : Les TUC procurent-ils une formation aux jeunes ?

Le Livre Blanc souligne que dans la plupart des cas, les organismes d’accueil de TUC ne procurent aucune formation. A cela, le Ministère répond que cette formation est vivement encouragée par les pouvoirs publics, mais qu’elle n’a pas à être systématique : elle doit servir essentiellement à donner aux jeunes les bases qui leur manquent. La formation, qui avait été prévue dans 40 % des conventions qui ont été signées, n’a été effective que dans 25 % des cas. Toutefois, certaines initiatives intéressantes méritent d’être signalées : certains organismes notamment ont prévu la mutualisation des 500 F qui peuvent être accordés aux stagiaires qui entrent en TUC.

3ème interpellation : Les stages en faveur des chômeurs de longue durée profitent-ils aux travailleurs les plus défavorisés ?

Un bilan global pour les stages de FNE chômeurs de longue durée montre que 20 à 25 % des bénéficiaires de ces stages sont des chômeurs de bas niveau. Les autres mesures sont trop récentes pour qu’on puisse connaître les caractéristiques des populations touchées.

4ème interpellation : Le Livre Blanc souligne que la majorité des demandeurs d’emploi de milieu sous-prolétaire ne touche aucune indemnité de chômage

Le Ministère rappelle que les allocations de solidarité spécifiques données aux chômeurs de longue durée sont versées en fonction de conditions de ressources. Elles bénéficient donc à certaines catégories moins favorisées. Certaines allocations versées au titre de l’insertion (détenus libérés, femmes seules chefs de famille, jeunes soutiens de famille) sont également bien ciblées.

Toutefois certaines constatations faites à la lecture de statistiques méritent réflexion. Ainsi pourquoi n’y a-t-il que 1 000 jeunes bénéficiaires de l’allocation d’insertion au titre de soutien de famille sur 160 000 au total, alors que les critères d’admission sont relativement larges ? Pourquoi également, comme le montre une enquête de BVA, sur 32 000 chômeurs non indemnisés, 26 % ont-ils déclaré ne pas avoir déposé de dossier de demande d’indemnisation ? Il convient d’aider ces personnes à faire valoir leurs droits éventuels.

En conclusion, force est de constater que, depuis quelques années, le Ministère du Travail et de l’Emploi a mené une politique particulièrement active en faveur des chômeurs de longue durée. On a fait à la fois plus – 1 000 000 stages-jeunes, 200 000 TUC, 100 000 stages d’opération chômeurs de longue durée – et mieux, en adaptant les mesures et les instruments au public chômeur de longue durée en général, mais aussi à celui plus ciblé des personnes en difficulté. Il faut souligner tout particulièrement le rôle que peuvent jouer pour celles-ci les entreprises intermédiaires. Il reste malgré tout des besoins non satisfaits que le Livre Blanc signale à juste raison.

1 Cf. l'article de Xavier Godinot, dans ce même numéro de « Quart Monde »

1 Cf. l'article de Xavier Godinot, dans ce même numéro de « Quart Monde »

Lucette Dhuicque

Sous-directeur du Marché de l’Emploi à la Délégation à l’emploi

CC BY-NC-ND