S’associer avec les plus pauvres

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « S’associer avec les plus pauvres », Revue Quart Monde [En ligne], 125 | 1987/4, mis en ligne le 05 mai 1988, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4329

« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »

Repris en éditorial de ce numéro, l’hommage du père Joseph Wresinski aux hommes condamnés à vivre dans la misère donne la référence des textes qui suivent.

L’humanité de ces femmes et ces hommes est contestée à travers des traitements qu’on leur fait ou qu’on leur laisse subir. Or, parce qu’ils doivent sans cesse faire face à la mise en cause de leur qualité d’hommes et de citoyens, ils savent mieux que tout autre ce qu’exige la reconnaissance de l’humanité de chacun.

Comment reconnaître à la souffrance et à l’espoir des plus pauvres leur rôle de repère et de moteur d’une civilisation des Droits de l’Homme ? Le Mouvement ATD Quart Monde se définit par son ambition de rassembler les familles très pauvres comme autant de cellules où, en ultime recours, des personnes continuent à défendre les Droits de l’Homme.

Mais quel sens aurait un tel projet s’il se coupait des autres défenseurs des Droits de l’Homme ? Le 17 octobre dernier le rassemblement de cent mille personnes autour du Parvis des Libertés et des Droits de l’Homme au Trocadéro, à Paris, symbolisait le stade actuel de réalisation de cette ambition qui a aujourd’hui trente ans. Il énonçait pour l’avenir un devoir sacré désormais gravé là, dans la pierre, par le père Joseph avec la participation des autorités nationales, internationales et d’une opinion publique qui doit s’étendre encore.

Se rassembler, s’unir, les plus pauvres ne peuvent même pas toujours exercer le droit de le faire en une famille. À combien plus forte raison sont-ils éloignés de le faire en association !

De ce point de vue, l’expérience du Mouvement ATD Quart Monde parce qu’elle demeure une rareté, mérite d’être mieux comprise à la fois pour approfondir la teneur de nos démocraties et pour appeler à venir renforcer ce courant, en une période où les pays industrialisés acceptent à la légère de rogner sur les ambitions qu’ils avaient à l’égard des plus pauvres.

Ce dossier comporte cinq articles. Les quatre premiers parlent depuis l’intérieur du mouvement. Ce sont des témoins qui analysent.

Dans le premier article, le père Joseph invite des amis à connaître « une histoire précieuse et révélatrice » et à y entrer : celle qu’il a vécue avec les familles de Noisy-le-Grand et des autres implantations des débuts. Histoire à travers laquelle ces familles lui ont enseigné ce que devait être ce mouvement. On y comprend comment le mouvement a cherché à se construire.

Monique Cogneau rend ensuite compte de tout un dialogue récent que des volontaires ont eu avec des familles du Quart Monde sur ce que le Mouvement représente pour elles. Que doit être à leurs yeux ce mouvement ? Sur quoi doit-il reposer pour que les plus pauvres puissent s’y associer et dire : « ATD Quart Monde, le mouvement des familles du Quart Monde » ?

Il ne suffit pas de savoir à quelles conditions ces familles ont pu se rassembler dans ce mouvement. Puisque ces conditions impliquent aussi des volontaires d’autres milieux, il faut comprendre comment s’est fondé leur propre engagement. « Le volontariat ATD Quart Monde : une chance à proposer » reprend une forte réflexion du père Joseph Wresinski qui montre la capacité des hommes à se libérer les uns les autres.

Benoît Fabiani et Emmanuel de Lestrade présentent un quatrième article : « L’alliance ATD Quart Monde. » « La grande pauvreté que nous emmenons vers une nouvelle société ne disparaît pas comme par enchantement. Il faut nous en défaire par la construction même de cette société, sinon elle sera à nouveau comme incrustée dans ses murs ». Les « alliés », quelles que soient leurs professions, leurs responsabilités familiales, syndicales, religieuses ou associatives s’efforcent d’agir en fonction de cette analyse du fondateur du mouvement pour préparer l’avenir avec les exclus comme partenaires.

Ils ne sont pas seuls : les très nombreuses marques de soutien et d’amitié reçues le 17 octobre dernier ont manifesté que si le Mouvement ATD Quart Monde a un noyau, il entraîne aussi et renforce de nombreux amis dispersés. C’est pourquoi nous avons inséré tout au long de ce numéro quelques-uns des centaines de messages reçus du monde entier à cette occasion.

En contrepoint du thème central de ce dossier le lecteur trouvera un article d’Henri Théry analysant l’évolution du regard des associations sur la pauvreté. Il montre que le souci de considérer les plus pauvres comme acteurs devient une préoccupation réelle.

En texte « à relire », des extraits de « La démocratie en Amérique » permettent de réfléchir avec Tocqueville aux rapports entre les associations et la liberté. Il montre de manière lumineuse l’analogie entre l’association et le journal. On comprend mieux en le lisant que l’illettrisme et l’assistance, traitement culpabilisant donc individualisant, font également obstacle aux libertés de pensée et d’expression des plus pauvres.

Pour conclure, nous avons repris la fin du texte du son et lumière « Justice au Cœur » qui a eu lieu de la Tour Eiffel au Trocadéro, le 17 octobre 1987. Bien qu’extrait d’un ensemble, il parle assez par lui-même. Ce numéro pouvait-il se terminer autrement que par un appel à tous dit au nom du Quart Monde par le père Joseph ?

Louis Join-Lambert

Directeur de l’Institut de Recherche et de Formation aux Relations Humaines.

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