Abdullah et ses frères

Gwenaël Navarette

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Gwenaël Navarette, « Abdullah et ses frères », Revue Quart Monde [En ligne], 212 | 2009/4, mis en ligne le 05 mai 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4406

Index de mots-clés

Migrations

Bohémiens des temps modernes aux sacs chargés

Écharpés par les kilomètres sous les camions

Dans des robes de lumière ils surgissent vannés

Pour chercher les yeux rougis, leur bonne direction.

La traversée du désert au sens propre

Un état second comme compagnon

Risquer sa chair en priant les apôtres

D'autres sont arrivés à destination.

Ca n'a rien d'un bruit de couloir ici

Sur les trottoirs d'Almeria il crapahute

Celui qui a plongé sans arrimer son parachute

Celui qui comme une ombre, se cherche la vie.

A couper la branche des tomates raf

Avec quarante degrés sur la caboche

C'est le capitalisme qui met une baffe

A l'aveugle sans lampe de poche.

Un appel par semaine à la famille

Pour se rappeler les rues de Casablanca

Il a le palpitant qui part en vrille

Parce que son fils dans le combiné ne reconnaît pas sa voix.

Il court après un boulot temporaire

Sur un tronçon de rond-point à l'aurore

Être embauché même de manière éphémère

Pour rembourser la somme versée pour le transport.

S'il avait su serait-il venu en Espagne

Abandonner les chants du muezzin à quatre heures du matin

Pour un quotidien où son âme rame

Pour être haï par ses voisins.

Pourtant dans son cœur beaucoup de talent

Il était chauffeur de taxi au pays

Zigzag dans la jungle urbaine à minuit pour les clients

Une danse contemporaine où il est lui.

Je t'ai croisé Abdullah dans une rue anonyme

Quand je t'ai vu tu étais les yeux lointains et rêveurs

J'ai juste peur que tu perdes ton côté randonneur

Je crains surtout que la solitude t'abime.

Alors quand tu me fais écouter un air gnawa

Les yeux fermés sur la banquette de ton cortijo

Je revois les pages de ton agenda

Se dérouler sous les oliviers, sans voie d'eau.

J'ai un rêve secret, qu'on te connaisse

Que tes richesses soient sans frontières Abdou

Qu'on ne te nomme plus ‘sans-papiers’ mais avec tendresse

Un homme, comme nous.

Gwenaël Navarette

Après avoir passé quatre ans dans le volontariat d’ATD Quart Monde, dont deux ans auprès de gens du voyage en région parisienne et plusieurs mois  à vivre et travailler à côté des migrants en Andalousie, Gwenaël Navarette a repris une formation universitaire en sciences sociales.

CC BY-NC-ND