Ouverture

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Ouverture », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1993), mis en ligne le 15 avril 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4496

Ouverture du colloque par Monsieur Jean-Paul Marty, Préfet de Région

Index de mots-clés

Jeunesse, Formation professionnelle

Mr le Préfet : Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, au titre de vos responsabilités diverses, lorsque - et vous y avez fait allusion - le président Gauby était venu me parler de ce projet avec vous-même, j’avais accepté bien volontiers d’ouvrir les travaux, non pas au titre de je ne sais quelle connaissance particulière sur le sujet, mais il n’est peut-être pas inutile que le représentant de l’Etat dans la Région exprime sa manière de voir sur un sujet dont nous savons très bien qu’il est par essence un sujet douloureux.

Il faut le traiter, et c’est la finalité de vos préoccupations, non pas sous l’angle exclusivement social, ce qui est fait par ailleurs, mais par ce qu’on appelle « l’insertion par l’économique » c’est-à-dire en définitive la capacité de faire en sorte que des jeunes gens qui sont, pour différentes raisons, exclus de la collectivité puissent s’y incorporer, puissent s’y régénérer.

C’est un phénomène considérable. Je ne prétends pas apporter des solutions, des idées géniales. Mais c’est vrai qu’à force de voir sur nos bureaux, dans nos activités, au titre des différentes responsabilités que nous exerçons, s’accumuler un certain nombre de cas, de situations particulièrement difficiles, on se demande, premièrement, comment elles peuvent exister, deuxièmement, comment on pourrait faire en sorte qu’il en soit différemment. Comment, disiez-vous, imaginer que l'on puisse avoir le goût de s’entraîner si l’on sait que l’on ne pourra pas participer à la partie quelle qu’elle soit ?

Il y a là un sujet de réflexion qui nous préoccupe tous au-delà de nos responsabilités juridiques, administratives, ou, pour les élus, de nature politique.

Il faut aussi essayer de se protéger des mots parce que la tentation peut être forte à un moment donné de se cacher derrière les mots. Je ne sais pas si vous ressentez cette manière de voir les choses comme je les ressens parfois. Lorsque l’on a mis des mots les uns derrière les autres et que l’on a construit une phrase et que celle-ci émet une idée difficilement recevable par celui qui l’entend, on pense avoir réglé le problème. On s’est caché derrière la manière de l’exprimer, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Il n’est pas dans mon rôle de faire un exposé de caractère magistral. Je n’en ai ni le goût, ni la tentation. Il ne s’agit pas de reconstruire le monde, nous avons tous des informations de plus en plus importantes au fur et à mesure que nous pénétrons à l’intérieur de ces dossiers, de ces réalités, de ces cas particuliers, car ce sont souvent des cas particuliers qu’il faut se garder de traiter du point de vue de la simple statistique, ce qui est une tentation du monde contemporain, car une fois que l’on a fait des statistiques, on n’a rien réglé.

Quand on aborde ce type de question, il faut dégager deux ou trois idées simples.

D’abord, nous sommes dans une situation de caractère exceptionnel, face à ces jeunes gens qui sont exclus - vous les avez chiffrés - qui, pour rentrer dans l’emploi, devraient savoir et devraient vouloir. Ils ne savent pas parce que les circonstances ont fait qu’ils n’ont pas pu apprendre. Comment voudraient-ils, dans la mesure où ils ne savent pas et alors que nous savons très bien que tant de jeunes gens formés avec parfois des formations très importantes n’arrivent pas, eux-mêmes, à trouver un emploi ?

Il y a là un phénomène majeur de notre société, une société qui devient de plus en plus complexe, de plus en plus difficile, qui exige de la part de ceux qui ont à s’incorporer dans une activité des connaissances de plus en plus étendues et, en même temps, il y a une petite proportion - mais, à elle seule, elle suffit à justifier notre réoccupation - de jeunes gens qui sont sans la moindre formation initiale, sans la moindre capacité de pouvoir s’incorporer dans un monde qui devient de plus en plus complexe et dans lequel les gestes élémentaires sont de moins en moins utilisés.

Il convient de faire cette observation quand nous nous rencontrons sur ce genre de sujet et, surtout, il y a lieu de lever le malentendu. Car c'est un domaine, nous en parlions tout à l'heure, qui se nourrit de malentendus. Je dirai même que le malentendu apparaît au détour de la première phrase, parce qu’il y a des pensées, et derrière les pensées, il y a des arrières pensées, derrière celles-ci, il y a des jugements moraux.

Quand on apprécie ce genre de situation, il faut sortir du principe de moralité habituelle et ne pas porter des jugements de valeur car on se met à l’abri derrière eux, et l’on n’avance pas dans la direction où il faudrait aller.

Ce sont des phrases simples que je souhaite utiliser ici, car à force de s’enfermer dans l’ésotérisme de certains vocabulaires, on n’en sort pas. Or, nous sommes décidés à en sortir.

Il faut se dégager des jugements moraux qu’il est naturel de porter lorsque l’on a à faire à des situations ordinaires. Or, nous sommes là en face de jeunes qui connaissent une situation extraordinaire. Il faut à tout prix se garder de porter un jugement négatif sur leurs comportements individuels, car cela conduit inévitablement à l’échec de la procédure.

Il faut partir de l’idée simple que la situation est ainsi, qu’il importe d’essayer, autant que possible, avec les ressources et notre intelligence, notre volonté et notre générosité, de l’améliorer dans l’intérêt global, dans l’intérêt d’une recherche du plus grand équilibre social de notre société.

C’est vrai que l’un des risques que nous courons - beaucoup de personnes ici en sont tout à fait pénétrées - est d’aller de plus en plus vers la dislocation du corps social.

C’est une notion qui dépasse à la fois la technique de l’emploi, l’appréciation administrative des choses et le gouvernement politique des hommes. Une société disloquée, au bout d’un certain temps, n’obéit plus à ses réflexes fondamentaux.

Il ne faut pas s’enfermer dans un vocabulaire qui, dans sa généralité, ne veut rien dire ou qui, par son ésotérisme, n’est compris par personne. Utilisons des mots simples, des notions directement compréhensibles et des comparaisons recevables. Ne nous dissimulons pas derrière un vocabulaire de circonstance.

Voilà Monsieur le Président, ce qui devrait nous permettre au terme de cette journée de déboucher sur des conclusions de responsabilités. C’est à ce prix que nous avons quelque chance d’éclairer notre action. Que ce soit par les entreprises d’insertion qui se distinguent nettement des mesures sociales du chômage, ou que ce soit par les associations intermédiaires, qu’il s’agisse de toutes les mesures que vous serez amenés à proposer, quelle que soit la raison de la diversité de vos expériences et de vos nombreuses interventions, il s’agit de lutter contre un processus exceptionnel de dérive de notre organisation collective.

Tel est l’esprit, Monsieur le Président, Madame, dans lequel je souhaitais ouvrir ces travaux. C’est en confrontant vos expériences, en énonçant clairement vos difficultés, en examinant en commun les solutions éventuelles aux problèmes rencontrés, que vous pourrez à l’occasion de cette journée apporter des réponses.

Pour ma part, avec mes collaborateurs, nous en prendrons connaissance avec le plus grand intérêt de manière à aller davantage dans la réalité des choses au moment où, avec le Président du Conseil Régional, nous commençons à préparer le prochain Contrat de Plan. Nous nous trouvons actuellement dans la période de gestation de ce document, il importe donc d’y incorporer le maximum de réflexions utiles, notamment sur ces sujets d’exception que vous avez mis à l’ordre du jour.

Je ne doute pas que ce sujet soit traité avec la conviction qu’il convient. Il est au cœur de l’action publique en faveur d’une partie très déshéritée de notre société. Il est vrai que l’on peut être choqué parfois dans notre société du paraître, de l’artifice, du futile, par l’expression ou la présentation, notamment par l’image, de situations qui relèvent non seulement de la consommation mais du gaspillage et que, dans le même temps, nous ayons à prendre en charge des désarrois, des détresses tels que ceux que vous connaissez au titre de vos activités. Gardons-nous de nous enfermer dans un vocabulaire ésotérique ; ne faisons pas nécessairement dans la générosité larmoyante. Nous sommes là en hommes responsables pour essayer d’apporter des solutions à des situations exceptionnelles. Je souhaite que vos propositions soient elles-mêmes engagées sur le chemin de l’exceptionnel.

Rédaction de la Revue Quart Monde

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