Première table ronde

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Première table ronde », Revue Quart Monde [Online], Dossiers & Documents (1993), Online since 15 April 2010, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4504

Cette table ronde a été animée par MM. Roger Bacle et Claude Darreye de l’atelier Avenir Jeunes Reims ; M. Robert Buguet, membre du Conseil Economique et Social de Région, représentant la CAPEB (Confédération de l’Artisanat et les Petites Entreprises Bâtiment) ; M. Cailliez, représentant de la CGPME (Confédération générale des Petites et Moyennes Entreprises) ; M. Christian Grosjean, Directeur Adjoint Aux Affaires Sociales (au Ministère) et M. André Varinard, Recteur d’Académie

Index de mots-clés

Jeunesse, Formation professionnelle

« Comment créer et soutenir une structure alliant, dans la durée, travail et formation ? »

M. Bacle : Mon propos consiste à vous présenter la structure de l’AJR. L'AJR, c’est Avenir Jeunes Reims, c’est-à-dire cette association dont les jeunes que vous avez entendus tout à l’heure font partie et qui a pour fonction d’insérer dans notre société des jeunes très défavorisés.

Juridiquement, l’AJR est une association 1901. Elle mène trois actions simultanées qui s’interpénètrent. Il est très important d’insister sur ce point : la simultanéité des actions et leur interpénétration. Ces trois actions sont : l’insertion par l’économique, la formation intellectuelle et professionnelle du jeune, et l’accompagnement social.

L’insertion par l’économique est réalisée par un atelier.

La discipline qui a été choisie est celle de la menuiserie. C’est une excellente discipline parce qu’elle demande beaucoup plus d’attention que d’autres disciplines et elle est très manuelle. Par ailleurs, elle fait appel à des éléments connexes qui sont très importants et qui entrent dans la formation du jeune. Cette menuiserie a actuellement pour activité principale la fabrication de caisses de champagne, qui ne sont pas des caisses standard, mais des coffrets utilisés pour la présentation du champagne. A cette activité s’ajoute accessoirement la restauration de meubles et des travaux de second œuvre de bâtiment. La fonction de second œuvre de bâtiment est assez différente de ses deux autres activités.

Premièrement, l’atelier est un véritable atelier. Il ne faut pas s’imaginer que c’est un endroit où l’on bricole, c’est au contraire un atelier qui a une véritable structure au niveau humain. Vous y voyez des fonctions  bien définies avec un chef d’atelier, un responsable des méthodes. Il est équipé de matériels modernes. Il y a même une machine à commande numérique qui fonctionne avec des programmes informatiques. Si ce n’était  le problème de place compromettant un peu son fonctionnement, on pourrait dire que cet atelier pourrait être celui de n’importe quelle autre entreprise.

L’encadrement est fait de personnes qualifiées, compétentes. Le chef d’atelier est quelqu’un dont j’apprécie particulièrement la compétence, qui va dans le sens du progrès. Il a monté lui-même un certain nombre de machines. Il a constamment l’esprit en mouvement pour essayer de trouver des adaptations permettant de mieux faire les choses. Tout ceci créé un climat, un certain dynamisme auquel les jeunes sont sensibles.

Deuxièmement, ce qui est important, c’est l’esprit de l’atelier, car comme l’exprimaient les jeunes tout à l’heure, et comme l’a exprimé ensuite P. Brun, la prise en considération des jeunes à l’intérieur de l’atelier est un phénomène important. Face à la concurrence, cet atelier n’est pas une entreprise dont on peut dire qu’elle fonctionne à partir de subventions et qu’elle est susceptible de présenter sur le marché des produits qui viendraient faire concurrence à ceux d’entreprises similaires. Ses conditions de fonctionnement sont comparables ; ses prix ne sont pas cassés. Leur méthode de calcul repose sur l’estimation des temps que passeraient des ouvriers normalement qualifiés, temps évalués à des taux qui sont les taux normaux d’ateliers comparables.

Le point important à noter est que cet atelier n’existe pas simplement pour fabriquer des caisses de champagne. Son objectif fondamental est l’insertion des jeunes dans le monde du travail. Leur absence d’habitude de travail en atelier entraîne une sous-productivité et nécessairement un supplément d’encadrement. C’est la différence qui peut exister entre un atelier normal et celui-ci, et ceci justifie une aide. Claude Darreye développera tout à l’heure cette question de l’insertion par l’économique .Celle-ci a pour conséquence psychologique que les jeunes, étant donné le travail qu’ils doivent faire, deviennent demandeurs de formation. On a parlé illettrisme, il est évident que lorsque l’on doit manipuler des bons ou pointer des temps, on souhaite savoir lire, écrire et éventuellement savoir compter si des calculs sont nécessaires. C’est un élément de motivation. Il y a donc là un double objectif, premièrement, d’apprentissage du comportement en groupe dans un monde de travail où il existe des contraintes et, deuxièmement, d’incitation à la formation.

Deuxième volet de la structure de l’AJR : la formation.

Cette formation est donnée à la fois dans un local attenant à la menuiserie et dans des sales réservées à la formation. Elle est assurée en alternance. Les animateurs de l’AJR sont très attentifs aux possibilités de concentration des jeunes a priori réfractaires à la formation. D’expériences en expériences, on est arrivé à créer une alternance du temps de travail en atelier et du temps de formation. Il semblerait que le meilleur rythme actuellement, étant donné que la durée maximum de concentration est très faible, soit de deux heures en atelier, deux heures en formation le matin, et la même chose l’après-midi.

L’enseignement a plusieurs objets. C’est d’abord l’alphabétisation, en utilisant des méthodes adaptées. Il est intéressant de voir quels sont les procédés utilisés par Claude Darreye et son équipe pour arriver à rendre sensibles les jeunes à cette assimilation  de données qui nous paraissent élémentaires, mais qui ne le sont pas quand on est un peu allergique à ces choses. Ce sont ensuite des éléments de technologie, un peu de dessin industriel. Il y a donc une formation qui, sur le plan intellectuel, donne d’une part les bases-mêmes de la communication et, d’autre part, des éléments à caractère plus technique.

L’enseignement est donné par un formateur et par le personnel d’encadrement d’atelier.

La troisième fonction : l’accompagnement social.

On a souligné tout à l’heure qu’il fallait aller vers les jeunes. Il est évident que les jeunes qui n’ont pas l’habitude du travail en groupe, qui ne sont pas familiarisés avec les contraintes de discipline, de présence à l’heure , avec les formalités à remplir, ont besoin d’être suivis par une ou plusieurs personnes. C’est le troisième volet, qui est extrêmement important parce qu’il assure la démarche d’insertion.

Pour clore cette présentation, je dirai que nous sommes en face d’uns structure originale, qui se trouve en l’espèce bien adaptée à la fonction d’insertion. Les résultats obtenus le confirment.

Claude Darreye va vous parler maintenant de l’ »âme » de l’AJR.

M. Darreye : Avant de parler de l’âme de l’AJR, je voudrais resituer Avenir Jeunes Reims par les paroles de quelques jeunes qui, à leur manière et avec beaucoup de justesse, de sensibilité, parlent de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont.

La première, qui m’a été dite il n’y a pas très longtemps, c’est : « Je voudrais que l’on me regarde droit. » Un ancien qui nous rencontrait récemment disait : « Il faut qu’ils apprennent en travaillant. » Un autre : « Quand je ne comprenais pas, j’allais voir le chef pour qu’il me montre et j’arrivais à le faire. » Un troisième disait : « Sans l'atelier, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. L’atelier, c’est pour nous et nos enfants. » On a donc là des jeunes qui expriment à leur manière l’importance à la fois du travail et de la formation.

AJR a déjà une petite histoire. Huit ans, c’est court, mais c’est aussi long avec des jeunes de milieu défavorisés. L’atelier est né des attentes, et, il est très important de le répéter, de la volonté des familles du Quart Monde de Reims, à la suite du long temps de présence du Mouvement ATD Quart Monde. Il est né également de la connaissance acquise au contact de ces jeunes, de leurs aspirations, surtout de leurs aspirations à travailler, à être reconnus comme des travailleurs. Et enfin, l’atelier est né de la recherche pédagogique des formateurs qui sont allés vers les jeunes, comme on l’a rappelé plusieurs fois, et qui ont cru en leur capacité d’appendre et de se former.

La première demande des jeunes n’a pas été une demande de formation mais une demande de travail. La motivation pour la formation, comme vient de l’indiquer M. Bacle, est née du besoin du métier. Compter, écrire, lire ont été mis en rapport avec les tâches à effectuer. Dès le point de départ, le projet a été associer, au sein de l’atelier de production, travail et formation sur une durée de trois ans. L’objectif étant la qualification reconnue.

L’expérience a montré qu’il faut savoir aller vers chaque jeune en difficulté, ayant vécu dans la précarité pendant des années, savoir lui consacrer du temps pour qu’il réussisse à se former, à s’insérer dans le monde du travail, à s’insérer dans la société de manière très simple. Tout à l’heure, P. Brun rappelait la formule « Il faut laisser le temps au temps. » Il nous a fallu également du temps pour habituer le jeune à aller au travail : moyen de locomotion, repères dans la ville pour arriver sur le lieu du travail, respect de l’horaire ; ensuite se fixer au travail, s’approprier les gestes élémentaires, aller jusqu’au bout du travail commencé.

Il faut que le jeune s’habitue à respecter le matériel, les machines, les règles de sécurité, le règlement intérieur. Il faut surtout aider le jeune à sortir du problème immédiat qu’il a à résoudre pour lui permettre de faire des projets à court terme. Il faut l’accompagner au quotidien pour lui permettre de sortir de toutes les tracasseries, qu’elles soient d’ordre administratif, qu’elles concernent le logement, la santé, voire même des problèmes avec la justice. C’est habituel et courant.

Si l’on veut essayer de résumer l’ensemble des étapes suivies par un jeune au sein de l’atelier, on pourrait dire approximativement qu’il y en a cinq.

Ces étapes sont distinctes dans l’explication mais s’interpénètrent dans la réalité. La durée de chacune d’elles est fonction des possibilités, du passé et du vécu de chacun.

La première étape : à son arrivée ou à son entrée dans l’atelier, le jeune s’inscrit d’abord dans un processus de production qui le situe d’emblée dans le monde du travail. A travers sa participation au travail de l’équipe, il reprend confiance en lui. Il éprouve un sentiment d’utilité et de fierté. Il entre en relation avec une équipe de travail et un ou des responsables.

Lors de la deuxième étape, il acquiert la responsabilité de la bonne exécution et donc du contrôle de son travail. Pour pouvoir opérer lui-même ce travail, il doit parfaitement comprendre ce qu’il exécute. Dans cette phase, on ne cherche pas à multiplier les opérations, mais on fait en sorte que le jeune en maîtrise parfaitement quelques unes et progressivement. Au début, il lui est présenté l’objectif du travail. C’est ce que l’on pourrait appeler la méthode du projet. Ensuite, il lui est demandé de consigner sur des fiches de travail le temps passé, les outils ou les machines utilisées, la matière employée, et, en fin de parcours, on lui demande d’évaluer le travail accompli, de faire en quelque sorte un bilan. Ceci se fait depuis le début, y compris avec les jeunes illettrés. Dès le point de départ, cette notion d’écrit est très importante, et même si le jeune ne sait pas lire ni écrire, il a toujours quelque part et en main, une feuille et un crayon.

Troisième étape :  par l’intermédiaire des opérations qui lui sont confiées, il acquiert une formation sur le terrain. D’abord, compter ; pour nous ce n’est pas en salle, c’est en triant des planches qui sont livrées de la scierie, faire des tas. C’est en faisant ces tas que le jeune apprend à compter. C’est ensuite mesurer les planches avec des objets très simples, au départ des morceaux de bois comportant des couleurs indiquant les dimensions. Ce n’est que par la suite qu’on introduit la notion de mesure avec un mètre.

Ensuite, la formation sur le terrain, c’est l’utilisation de l’outil ou des outils, outils portatifs, ou manuels de l’artisan menuisier et, progressivement, l’utilisation des machines. Par la suite interviennent la lecture de mesures, de plans, l’organisation du travail, l’entretien du matériel, des machines, les règles de sécurité. En fait, le jeune vit une situation de réussite tout en étant confronté à des travaux qui lui montrent la nécessité d’une connaissance théorique. C4est là qu’intervient le commencement  de la formation plus théorique adaptée au niveau et au rythme de chacun.

Le formateur, confronté à un groupe de jeunes, doit constamment veiller à ce que le jeune soit en formation et qu’il précise ses besoins de formation. Il n’y a pas de cours généraux et marginaux. Pour chaque jeune un dossier est préparé ;sur chaque dossier, l’objectif est fixé avec différentes étapes intermédiaires. En général, chaque fois que le jeune a terminé cinq dossiers, une petite évaluation, un bilan est effectué de manière qu’on puisse arriver à mesurer les acquisitions progressives des jeunes. Cette formation théorique se fait en salle et s’appuie sur la partie de travail réalisé par le jeune en atelier.

Quatrième étape :  le nombre d’opérations confiées au jeune augmente. Il est amené progressivement à maîtriser l’ensemble de la production. Il apprend ainsi à passer d’un poste de travail à un autre ; il devient capable de maîtriser ce que l’on appelle une feuille de mission.

Cinquième étape :  le jeune est amené à transmettre ce qu’il a acquis tout au cours de son parcours à d’autres qui commencent ou qui viennent récemment d’arriver. Cette transmission de connaissances se fait en cours de production et toujours sous le contrôle du chef d’atelier, du chef d’équipe ou du responsable des méthodes. Ce moment important de la formation conduit le jeune à faire le point de ce qu’il connaît. On ne transmet bien que ce que l’on connaît bien. Cette transmission de connaissances le met également en situation valorisante. Elle lui montre qu’il capable d’apprendre, mais aussi capable de transmettre à quelqu’un d’autre, situation qu’il n’a jamais eu l’occasion de connaître auparavant. Il est alors totalement partie prenante de sa formation et de la formation de ceux avec lesquels il travaille. C’est ce que l’on pourrait appeler la méthode du partage du savoir et de la réciprocité.

Pour terminer : depuis 1985, environ une trentaine de jeunes sont passés par l’entreprise d’insertion AJR et ont suivi un cursus de formation d’une durée de trois ans au moins. Sur ces trente jeunes, vingt ont trouvé un travail. Ce qui est important, c’est que, parallèlement à leur travail et à leur formation  - et conséquence plus ou moins indirecte du suivi social -  ils ont trouvé un logement. La plupart des jeunes pour qui il était très difficile sur Reims d’obtenir un logement ont pu l’obtenir grâce à une autre association « Un Toit pour Tous », qui marche parallèlement avec nous.

Parmi ces jeunes, sept ont obtenu la pratique du CAP. Il aurait fallu un peu plus de temps pour qu’ils atteignent le niveau de connaissances générales. Trois ont obtenu le Certificat de Formation Générale et, actuellement, quatre d’entre eux sont chefs d’équipe dans les entreprises qui les emploient.

S’il m’était permis de rappeler quelques éléments forts, je rejoindrais ce qu’à dit P. Brun tout à l’heure. Il est une donnée de base essentielle : il faut aller vers les jeunes les plus défavorisés et avoir le souci de prendre en priorité celui qui cumule le plus de précarités. Deuxième élément important, il faut que l’équipe soit soudée, soit composée d’un personnel à la fois formateur et professionnel, formé à la connaissance de ces jeunes, qui croie en leur capacité d’apprendre, ait le souci constant d’une formation globale en lien avec leur vie et leur environnement.

Troisièmement, à la suite de l’expérience d’AJR et d’autres expériences que l’on a pu voir à droite et à gauche, il me semble que pour ces publics, pour ces jeunes qui ont vécu pendant très longtemps dans différentes précarités, il faut que la formation s’inscrive dans la durée. Trois ans est un minimum. Il faut que cette formation soit bâtie sur un cursus cohérent avec des objectifs mesurables, quantifiables régulièrement et qui conduisent à la qualification, qualification de type CAP, qualification dépendant de conventions collectives, qualifications qui pourraient être attestées par un certificat de travail indiquant les progressions du jeune et les acquisitions faites au cours de son parcours. Il faut également que l’équipe puisse introduire le jeune dans une dynamique de validation progressive à partir des réalisations accomplies sur le terrain et autour de situations de travail.

Quatrième point que nous semble ainsi important : il faudrait pour l’ensemble de ces jeunes, on l’a déjà dit, créer un statut unifié, un statut qui les valorise et qui leur donne, à leurs yeux et aux yeux de ceux qui les voient travailler, le statut de travailleur. Il faudrait proposer également un parcours qui soit adapté aux besoins de chaque jeune, ce parcours le conduisant à une qualification. Une mise en cohérence des rémunérations devrait en résulter. Elle devrait tenir compte des responsabilités familiales de ces jeunes – bien souvent, les jeunes que nous accueillons ont déjà une charge de famille ; certains ont deux, trois ou quatre enfants – et augmenter en fonction de leur qualification progressive.

Dernier point, il faudrait que la structure puisse créer des liens privilégiés avec les entreprises pour qu’elles deviennent véritablement partenaires à la fois de l’insertion professionnelle mais aussi de la formation de ces jeunes.

M. Vacquin : A vous entendre, messieurs, j’ai très envie de publier ce que vous venez de dire dans le monde industriel à destination des « Directions des Relations Humaines » et des Directions Générales de certaines sociétés pour qu’elles puissent redécouvrir en quoi la pratique peut être qualifiante.

M. Pouthas : J’aimerais que l’un de vous deux précise la situation administrative dans laquelle vous êtes. On a entendu dans laquelle vous êtes. On a entendu tout ce qui est le côté positif, il faudrait que l’on ait une petite information sur les difficultés structurelles que vous rencontrez pour voir comment les dépasser.

M. Bacle : De la présentation de la structure AJR que je vous ai faite et de l’exposé de Claude Darreye, je voudrais rapidement tirer quelques points de réflexion.

L’AJR présente une structure originale, qui allie la motivation et la formation des jeunes parce qu’elle associe sur un même lieu la participation à un travail économique et un enseignement. Cette forme de structure est très importante.

Deuxièmement, le bon fonctionnement de l’AJR n’est possible que grâce aux qualités humaines de ceux qui l’animent. C’est aussi un point fondamental, on ne peut pas monter une telle structure si ceux qui l’animent n’en ont pas, je dirais presque, la vocation.

Troisièmement, il faut retenir, Claude Darrye l’a déjà souligné, que pour des jeunes en grande difficulté, trois ans sont nécessaires pour assurer leur insertion. C’est un minimum : avec une période plus courte, on n’arrive pas à des résultats satisfaisants.

Quatrièmement, c’est un point qui intéresse beaucoup de participants à ce colloque, financièrement l’AJR ne peut équilibrer ses comptes avec ses seules ressources. Ce n’est pas la vente des caisses de champagne qui permet d’équilibrer l’ensemble des dépenses.

La présentation de la structure montre bien que le financement public doit avoir trois objets. Premièrement, la formation qui est une action bien particulière ; deuxièmement, la compensation de la sous-productivité, et je ne parle bien que d’une compensation ; et troisièmement, l’accompagnement social.

Ce sont les trois points qui justifient des aides financières. Jusqu’alors, les textes étaient disparates et pas précisément faits pour les besoins de jeunes dont s’occupe l’AJR ; de plus, les mécanismes administratifs sont souvent compliqués et les jeunes ont du mal à s’y soumettre. On leur demande de faire des démarches dont ils n’ont pas l’habitude. Par exemple, on leur demande d’avoir un compte en banque afin que les indemnités de stage y soient versées ; pour beaucoup de jeunes c’est une difficulté.

Je dis cela à titre d’exemple. J’ajouterai aussi, qu’à l’AJR, ceux qui ont en charge cette gestion financière ne peuvent pas connaître tout ce qui existe. Il y a donc une méconnaissance presque obligatoire qui tient au fait qu’ils sont engagés dans la vie quotidienne.

Tout ceci n’a pas permis de trouver jusqu’à maintenant une réponse satisfaisante au problème spécifique de l’AJR. Les comptes ne sont pas équilibrés comme ils devraient l’être normalement.

Je termine sur le vœu de l’AJR, qui serait de réunir autour d’une table les représentants des ministères et des organismes publics concernés par l’action qu’ils mènent, pour définir concrètement des solutions pratiques, efficaces, simples concernant les moyens de financement de son action, dans la mesure où les textes le permettent. Ceci ne paraît pas a priori impossible, mais je crois qu’il faudrait, étant donné qu’elles relèvent de plusieurs compétences, que les personnes autorisées à engager les différents services, puissent se réunir et essaient de trouver en fonction des moyens en vigueur, la procédure de financement qui permette d’équilibrer les comptes. On ne demande pas de faveur exceptionnelle, on demande simplement dans un souci de grande rigueur, d’équilibrer des comptes. C’est donc dans un esprit de partenariat que l’AJR vous convie à examiner ce problème.

Dernier point pratique, l’AJR ne vit pas en vase clos. On a fait allusion tout à l’heure aux entreprises, au monde économique dans lequel se situe l’AJR. L’atelier Avenir Jeunes Reims vise à former des jeunes qui se reclasseront dans la vie économique locale. Il serait important qu’avec des représentants des entreprises, une action concertée puisse se mener de façon que l’on examine l’extension de l’action. Compte tenu des besoins chiffrés ce matin, cette action mériterait d’être étendue. Cela pourrait aussi avoir des effets sur les modalités de déroulement de la formation. Celui-ci s’opère à l’intérieur de l’AJR, il pourrait y avoir une certaine entente pour qu’une période soit passée en atelier et qu’ensuite des compléments en entreprise interviennent.

Il serait donc souhaitable que se crée une sorte de partenariat avec des représentants qualifiés d’entreprises pour que ces problèmes puissent être examinés et déboucher sur des évolutions positives.

M. Vacquin : Ces questions renvoient directement à la responsabilité des acteurs concernés, à cette tribune et dans la salle. Il y a donc là deux questions adressées, l’une directement à l’organisation taylorisée de la fonction publique dans son ensemble, puisqu’on entend des acteurs réclamer un guichet unique de consultation, l’autre aux acteurs patronaux régionaux. Vous avez oublié les interlocuteurs syndicaux, est-ce un oubli délibéré ou pas ?

M. Bacle : Non

M. Vacquin : Les interlocuteurs syndicaux peuvent intervenir puisque la demande les concerne aussi. Qui demande la parole ?

M. Cailliez : Je suis M. Cailliez, président régional de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises. J’ai découvert AJR il y a seulement quelques semaines. J’ai été surpris de découvrir presque une entreprise parce qu’on y fabrique des produits de qualité, avec des gens qui m’ont paru être des professionnels. Les coffrets qu’ils fabriquent, je les connaissais mais je ne savais pas qu’ils sortaient de cette structure. Les filles et les garçons que j’ai vu travailler dans cet atelier se comportaient comme des professionnels.

Cette expérience est-elle transposable ? Sûrement, mais il ne faut pas oublier que cela repose actuellement sur les épaules de quelques hommes et femmes qui ont foi en ce qu’ils font. A chaque fois qu’un voudra faire une structure comme celle-ci, il faut trouver des gens qui croient à ce qu’ils font. C’est possible, mais c’est difficile. Actuellement, les personnes qui s’occupent de l’AJR rencontrent de grosses difficultés. Maintenant, il faudrait mettre les moyens en place pour que ce genre de structure puisse travailler normalement sans être gênée par les problèmes administratifs et qu’il n’y ait pas de problèmes économiques non plus.

M. Vacquin : Vous n’avez pas de responsabilité dans le domaine administratif, mais vous en avez une comme patron. La foi chez quelques-uns d’entre vous ne pourrait-elle pas porter la réflexion avec eux sur ce que pourrait être une autre synergie entre la foi et une foi, le cas échéant un peu moins forte, mais avec un désir de faire ?

M. Cailliez : Les professionnels doivent s’engager. Ils peuvent apporter leur savoir : il peut y avoir des transferts de compétences, de savoirs. Ils peuvent aussi venir en tant que donneurs d’ordre et considérer ce genre de structure comme un partenaire à part entière.

Pour les jeunes qui ont fait leur parcours de trois ans, on peut les insérer dans le monde du travail, leur donner un statut de salarié. Là aussi, on peut intervenir. Je crois aussi que les professionnels, les chefs d’entreprises doivent aller à la rencontre de ces jeunes. C’est le souhait qu’ils ont exprimé, qu’on vienne les voir.

M. Vacquin : Puisque vous êtes là, cela veut dire que vous vous êtes vus un peu avant. Comme il est question qu’au-delà de cette séance de travail, il y ait dans deux ou trois mois une concrétisation effective, que pouvez-vous d’ores et déjà nous dire sur votre réflexion dans la perspective d’engager une collaboration avec eux ?

M. Cailliez : Nous ne nous sommes rencontrés qu’une fois. Pour le moment, nous n’en sommes qu’à la période de réflexion. On a prévu de se retrouver. Cet atelier a été une découverte ; l’AJR je l’ignorais totalement. La préparation de cette réunion a eu lieu à l’AJR. Là, on a compris qu’il y avait quelque chose à faire dans ce genre de structure. Maintenant, il faut continuer, parce qu’on nous a donné trois mois pour mettre quelque chose sur pied. On a des idées, pour le moment il faut qu’on en discute, ce n’est qu’un début.

M. Vacquin : Sur le terrain des entreprises, j’invite les responsables syndicaux à intervenir, et à réfléchir à un certain nombre de choses.

M. Buguet : Il m’a fallu un certain courage pour venir parmi vous aujourd’hui. Je m’explique. Je représente le secteur du bâtiment et plus particulièrement l’artisanat du bâtiment. Il y a à l’heure actuelle une discussion très large qui s’est instaurée dans notre milieu à laquelle M. Grosjean participe, il pourrait témoigner. Aujourd’hui, le bâtiment représente 12% du produit intérieur brut en France. Pour autant, les postes d’insertion dans l’économie se situent à plus de 40% dans le bâtiment. Cela interpelle notre secteur, et ce d’autant plus qu’actuellement, notre secteur traverse une crise, une de plus. Cycliquement, le bâtiment connaît des crises. Nous ne sommes pas tous d’accord au sein du bâtiment sur la nature de la crise et sur les mesures à mettre en œuvre pour y mettre fin. Entre les petites et les grandes entreprises, aujourd’hui il y a des divergences de vues très profondes.

Ceci étant, il ne faut pas perdre de vue, je dois le dire en préambule, que la mise en place des entreprises d’insertion est dans un premier temps assez mal vue par un certain nombre de nos entreprises. Pourquoi ? Tout simplement parce que 65% des entreprises du bâtiment ont moins de trois personnes. Mettre en place une structure qui va occuper quinze, vingt, trente personnes, avec des moyens matériels considérables eu égard à ce que l’on peut trouver dans un certain nombre d’ateliers, est de nature à effrayer, voire déstabiliser le secteur marchand traditionnel.

Nous avons pu constater parfois des dérapages qui ont été de nature à remettre en cause l’activité traditionnelle de secteur marchand. Ceci étant dit, il ne faut pas perdre de vue - c’est ce que nous nous efforçons de dire à nos collègues - que nous sommes en face d’un certain nombre de réalités. Or, s’insérer, pour nous, si j’ai bien compris, c’est trouver sa place dans un ensemble. L’inverse étant le rejet. Une société comme la nôtre peut-elle accepter que l’on rejette délibérément au motif de crise, de difficultés économiques, sociales, tout ou partie de la population ?

Personnellement, je fais partie de ceux qui ne le pensent pas. Ce n’est pas possible. Moyennant quoi il nous faut réfléchir à des moyens d’insérer. « Insérer », je n’aime pas beaucoup ce terme, dans la mesure où on lui donne une connotation péjorative. C’est comme si on voulait réparer quelque chose qui serait mal. Or traditionnellement, depuis des décennies, le secteur de l’artisanat n’a toujours fait qu’insérer les jeunes.

M. Brun a dit tout à l’heure : « Il n’y a que depuis dix ans qu’on connaît l’alternance. » Non, cela fait des décennies que nous pratiquons dans notre secteur l’alternance, qui permet justement à un jeune de s’insérer pleinement, à travers l’acquisition d’un métier,  non seulement professionnellement, mais aussi socialement, dans le monde économique.

De ce point de vue,  je dirai que nous avons un passé relativement riche, même s’il a été parfois dévoyé, même s’il est apparu aux yeux de certains comme un peu poussiéreux. Qu’à cela ne tienne, nous sommes prêts à dépoussiérer !

Je serai tenté de dire que nos petites entreprises ont une vocation naturelle à accueillir dans des conditions pertinentes un certain nombre de jeunes qui ont rencontré dans leur vie des difficultés. Je prends un exemple. Je ne voudrais pas trop contrarier M. le Recteur. Depuis vingt-cinq ans, les rejetés de l’Education Nationale viennent dans l’artisanat. A la sortie, 90% d’entre eux trouvent un emploi. Je ne voudrais pas comparer avec les statistiques de M. le Recteur pour ceux qui sortent de chez lui avec des diplômes bien supérieurs, mais je serai tenté de dire que la comparaison est plutôt flatteuse pour notre secteur.

Là aussi cela interpelle et cela nous amène à dire que peut-être dans ce secteur, il y a des choses à faire. Je ne suis pas là pour polémiquer. Aujourd’hui, il me semble qu’il y a un absent, le monde agricole ; je sais, cependant, qu’il est présent dans la salle. Je suis convaincu que lui aussi peut concourir à l’insertion des jeunes.

Des expériences très volontaristes que nous avons pu mener en Haute-Marne ont montré qu’un quart des jeunes qui sont en perdition peuvent être réinsérés très vite dans le monde du travail. Une fois que l’on a dit cela, cela signifie qu’il reste les trois quarts pour lesquels le problème est plus difficile.

L’expérience d'ATD Quart Monde démontre, du moins c’est ce que je retiens, qu’il n’y a pas d’exclusion de façon rédhibitoire. Tout est question de temps et de moyens à mettre en œuvre. A partir de ce moment, le sentiment qu’on retient, c’est que les entreprises, à quelque niveau qu’elles se situent, dans quelque secteur d’activité qu’elles soient, ont certainement un rôle à jouer. Mais en association avec d’autres structures, compte-rendu des contraintes de la productivité de l’entreprise. L’entreprise ne peut pas se permettre de faire tout et n’importe quoi, faute de quoi, elle disparaît. En revanche, elle pourrait, dans un cadre partenarial, en s’appuyant sur des structures complémentaires, offrir des postes d’insertion, ce qui éviterait d’ailleurs une concurrence par rapport au secteur marchand.

Je crois que c’est sous cet angle là qu’il conviendrait d’aborder le problème.

M. Vacquin : A cette idée de créer des postes d’insertion dans les entreprises que j’appellerais « normales », quels sont les freins ?

M. Buguet : Les freins sont de nature administrative. Il n’y as pas de doute que s’occuper d’un jeune, ne serait-ce qu’en apprentissage, compte tenu de la population qui est celle que nous accueillons, former un jeune demande beaucoup de temps et d’investissement. Un jeune accueilli en apprentissage normal, traditionnel, coûte au chef d’entreprise pendant sa formation et même l’année suivante. Il n’y a pratiquement qu’au bout de trois ans que le jeune commence à devenir rentable pour l’entreprise. Compte tenu du caractère particulier de la population que nous accueillons, il n’y a pas de doute que si on veut vraiment s’occuper du jeune, c’est une charge.

Comment cette charge peut-elle être prise en compte, compensée ?

M. Vacquin : Vous avez interpellé l’Education Nationale. M le Recteur, il est difficile de rester silencieux...

M. Varinard : On a interpellé l’Education Nationale, en laissant entendre qu’elle fabrique ces exclus puisqu’elle n’a pas été capable de donner la formation minimale. Je ne veux pas assurer la défense de l’Education Nationale dans le temps qui nous est imparti, mais je crois qu’il y a deux façons d’envisager cette difficulté.

Il y a le problème des flux et des stocks. Sur le problème des flux, des efforts et des progrès considérables sont réalisés par l’Education Nationale. Il me serait assez facile de le montrer avec des exemples très récents comme le rapport de M. Didier Pineau-Valencienne publié il y a quelques jours. Celui-ci montre que 93% de jeunes arrivent au niveau V, c’est-à-dire au niveau CAP, BEP.

C’est vrai qu'aujourd’hui encore des jeunes sortent sans qualification, notamment en Champagne-Ardenne. Je n’en suis pas particulièrement fier, puisque nous sommes les champions des sorties du système scolaire sans qualification. Nous avons tout de même 18% de sorties sans qualification. Il va bien falloir que nous nous attaquions très sérieusement à ce problème.

Ces jeunes sans qualification constituent des stocks. L’expérience de l’AJR qui est très intéressante, montre en même temps ses limites : lancée en 1985, elle concerne trente personnes.

Si je passe directement à l’aspect pratique des choses, on observe que la validation des acquis soulève une réelle difficulté. Chacun sait bien que le système d’enseignement est basé sur le diplôme. Pourquoi a-t-on tant de mal à réformer les lycées ? Parce qu’on a le baccalauréat, qu’on sait comment il se passe et que les enseignants sont peu enclins à changer leur système d’enseignement, en disant : « Attention, le système de mesure existe à la sortie, comment va-t-on faire ?

Toute proportion gardée, c’est exactement la même chose ici. Voilà un système dont on nous a montré qu’il était aux antipodes du système de l’Education Nationale. Dans ce dernier, il est vrai, nous partons souvent  de la déduction, ici au contraire il s’agit d’un système parfaitement inductif. Il est pratiquement impossible d’évaluer les mêmes contenus que ceux d’un CAP classique, traditionnel.

Nous avons réfléchi à la manière dont nous pourrions faire évoluer les choses dans ce domaine. Un premier pas a été franchi avec les unités capitalisables : les acquis professionnels sont directement susceptibles d’être valorisés, intégrés dans un diplôme. Mais on voudrait aller plus loin et faire reconnaître la validation des autres acquis.

Comment et quoi reconnaître ? Par exemple, en construisant des répertoires de connaissances sociales. Cela permettrait à l’employeur de mieux appréhender le profil du jeune qui est en face de lui. On pourrait ensuite passer de ce répertoire de connaissances à un référentiel de CAP, par exemple, et progressivement, aider à la définition d’un parcours de formation complémentaire.

On nous l’a bien montré tout à l’heure, trois jeunes ont réussi à avoir le CAP. Les autres en ont une partie et l’on pourrait ensuite les aider à acquérir, dans le cadre du Crédit Formation Individualisé, par exemple, ce qui leur manque dans ce CAP.Par ailleurs, il faut élaborer un véritable certificat de travail qui donne la possibilité d’être intégré dans l’emprise, même sans le diplôme, mais qui serait cautionné par les partenaires.

On a parlé tout à l’heure du Certificat de Formation Générale. Il y a déjà une évolution pour passer ce certificat. On peut sans doute aller plus loin et voir comment l’on pourrait valoriser, puisqu’il s’agit d’une formation par l’économique, les capacités à s’insérer dans l’économique et le social, toujours par le biais des unités capitalisables et en tenant compte des itinéraires personnels.

Voilà le premier exemple. Nous pensons véritablement avec tous ceux qui dans l’Education Nationale s’occupent de ce genre de problème, à la Délégation Académique, à la Formation Continue, à la Mission de formation des personnels de l’Education Nationale, dans les sections d’éducation spécialisée, dès lors qu’il s’agit d’un public assez voisin de celui que rencontre l’AJR, nous pourrions faire un groupe de travail pour formaliser très rapidement un projet, avec toutes les limites que nous connaissons, puisque les diplômes sont nationaux, c’est une des forces de notre système, c’est une faiblesse dans ce cas précis. Nous avons un certain nombre de possibilités que nous voudrions faire jouer.

Deuxième point, dans le domaine de la formation initiale, nous pourrions peut-être travailler avec les enseignants des sections d’éducations spécialisées. Une action pourrait être envisagée pour préparer en quelque sorte vers ce type d’atelier, qu’il s’agisse de l’AJR, puisque c’est l’exemple expérimental, ou d’autres qui pourraient être initiés et nous permettre d’aller plus loin dans cette voie d’insertion.

M. Vacquin : Là-dessus, on pourrait vous poser beaucoup de questions, y compris celle du transfert pédagogique de l’expérience qui nous a été présentée vers les instances comme les vôtres. Dans ce groupe de travail que vous allez sûrement élaborer en commun, autour de cette dimension du transfert il y aurait sûrement des terrains à développer.

Vous nous aviez adressé une deuxième nature de questions, c’est celle qui interroge la taylorisation de la fonction publique, c’est-à-dire en gros les cloisonnements excessifs M. Grosjean, que pourriez-vous nous dire à partir du suivi des investissements et des coûts que vous exercez, de la manière dont ils sont optimisés dans la démarche qui vient d’être présentée ?

M. Grosjean : Je croyais que l’objet de la table ronde était comment créer et soutenir une structure alliant dans la durée du travail et formation ? Cela devrait être le schéma d’ensemble de cette table ronde, on a peut-être évoqué pêle-mêle diverses choses, je me demande si l’on parle bien de ce qui était initialement prévu.

M. Vacquin : Faites-le pour nous.

M. Grosjean : On a donné des chiffres tout à l’heure. Il ne faut pas trop se faire d’illusion sur l’insertion par l’économique, bien qu’elle ait été initiée un peu dans notre ministère. Ce sont de petits chiffres : à côté des centaines et des centaines de milliers de Contrats Emploi Solidarité, à côté des centaines et des centaines de milliers de bénéficiaires du RMI, le nombre de personnes en insertion en poste équivalent temps plein s’élève à la dizaine de mille, quinze mille selon certaines évaluations. Il faut être clair, on travaille largement dans le symbolique.

M. Vacquin : Vous venez de dire qu’en ce qui concerne l’insertion, quel que soit l’énorme investissement fait par ailleurs, à peine une dizaine de milliers de personnes sont concernées ?

M. Grosjean : Oui, vous aviez à fin décembre 1991, 356 entreprises d’insertion financées par le ministère du Travail, ou par le ministère des Affaires Sociales ou par les deux ministères ensemble. Les bénéficiaires de contrats en entreprise d’insertion ne dépassaient pas les dix mille personnes, à quoi il faut ajouter un nombre équivalent de bénéficiaires de contrats dits aidés, c’est-à-dire les contrats d’adaptation, de qualification, et peut-être aussi des stagiaires en formation, c’est là tout le problème.

Au sujet de l’insertion par l’économique, M. Bacle disait tout à l’heure : « Nous faisons trois choses : de l’insertion par l’économique, de la formation, de l’accompagnement social. » Dans notre esprit, l’insertion par l’économique, c’est cela ensemble. C’est la mise en situation professionnelle avec de la formation et nécessairement un accompagnement social, qu’il soit fait dans la structure, par divers services, ou par des gens différents.

L’insertion par l’économique est née à la fin des années 70 quand des travailleurs sociaux ont voulu faire sortir des gens en très grande précarité des dispositifs d’aide sociale  qui, en permanence, en faisaient des assistés.

L’insertion par l’économique, c’est dépasser l’assistance, c’est faire que les gens se prennent en charge un peu. On leur met le pied à l’étrier durant un parcours d’insertion. L’insertion par l’économique n’est pas nécessairement un dispositif d’emploi qui fait accéder quelqu’un immédiatement à l’emploi. Parce que s’il y avait des emplois, je pense qu’on parlerait moins d’insertion. S’il y a des entreprises d’insertion, peut-être y a-t-il des structures de production qui excluent.

M. Vacquin : La question qui vous a été adressée était celle du suivi des coûts.

M. Grosjean : Tout à l’heure, on disait que l’on manquait  de médiateurs, ce sont les éducateurs de rue qui ont fait les premières entreprises d’insertion. Ces gens étaient très caractéristiques, en général ils faisaient 1m85. Cela a existé. Le problème est que ces gens ne se trouvent pas à tous les coins de rue. Créer une structure d’insertion, que ce soit une entreprise d’insertion, une association intermédiaire, une régie de quartier ou d’autres structures, cela nécessite des porteurs de projets.

Ces porteurs de projets viennent de milieux très précis, soit des grands réseaux associatifs du type ATD Quart Monde ou autre, soit de catégories de travailleurs sociaux, de formateurs ou même de sociologues. Il faut d’abord ces porteurs. Voilà pourquoi l’on ne peut industrialiser immédiatement tous les dispositifs d’insertion. On en est encore au stade artisanal.

Malgré cela, c’est fort coûteux, il faut parler quand même de chiffres. Je m’occupe des budgets qui concernent les crédits d’insertion de mon ministère. Je dois rendre hommage à nos amis d’AJR qui ont glissé d’une aile d’oiseau sur le soutien qu’ils attendaient ou qui leur avait été apporté par les différentes administrations qui sont ici. Il est évident que lorsque l’on a son financeur dans une réunion, on ne luit dit pas des choses désagréables. Si l’on fait  un petit bilan de ce que nous coûtent  nos structures d’insertion, nous y consacrons, rien que pour mon seul ministère, à peu près 200 millions de crédits qui financent à peu près 425 structures d’insertion. Chaque structure d’insertion reçoit en moyenne 470 000 F.

D’autre part, l’ensemble de nos structures comportent sept mille postes équivalent temps plein d’insertion, cela veut dire qu’en moyenne chaque structure d’insertion emploie seize personnes en équivalent temps plein.

Pour mon seul ministère, chaque poste équivalent temps plein tourne autour de 30 000 F par an. Le poste équivalent temps plein par structure d’insertion varie de 30 000 à 120 000 F en financement public annuel. Cela a-t-il un sens lorsque l’on doit accompagner, former, mettre en situation professionnelle quelqu’un ? Peut-on consacrer 100 000 F par personne en temps plein ?

Il me semble que c’est un peu cher. J’en arrive à votre problème : quel est le coût acceptable pour la communauté de ces structures ?

Rédaction de la Revue Quart Monde

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