Débat

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Débat », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1993), mis en ligne le 15 avril 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4505

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Jeunesse, Formation professionnelle

M. Vacquin : Je vous reconnais beaucoup de courage de parler de prix à propos de choses qui n’en ont sûrement pas. Y a-t-il des réactions ?

M. Prieur, Directeur de l’Institut Catholique des Arts et Métiers (Lille). – Le chiffre que vous venez de donner devrait venir en comparaison de la formation des ingénieurs et du coût que l’Etat porte à la formation supérieure. Vous verriez que 100 000 F, ce n’est pas, à mon sens, démesuré.

M. Grosjean : Certes, mais je parle des subventions pour le fonctionnement. Nous dépassons parfois 100 000 F dans quelques structures. Il se trouve que la direction du Budget et la direction de l’Artisanat, je dois le dire d’ailleurs, nous répondent : « Si vous avez une structure de production à ce coût, vous allez très au-delà du financement de la sous-productivité, et nous souhaiterions que par poste d’insertion équivalent temps plein, l’aide de l’Etat, sans compter l’aide possible des collectivités territoriales, ne dépasse pas 76 000 F par poste d’insertion équivalent temps plein. »

M. Vacquin : Qu’en est-il de la maîtrise que vous avez de  l’articulation qui s’opère entre votre ministère et le ministère du Travail, parce qu’il investit pas mal là-dessus ?

M. Grosjean : Je ne peux pas parler à la place du ministère du Travail. Je vous ai dit que nous financements globaux ont atteint cette années 200 millions de F., que nous payons dans le cours de l’exercice, alors que les financements du ministère du Travail sont à cheval sur deux exercices. Cela veut dire que lorsqu’il est annoncé 140 millions, la moitié est payée l’année considérée, en même temps que le reliquat de l’année précédente. L’année suivante, on paie la fin de la subvention à la production du bilan.

Le problème de nos relations internes et de la coordination des interventions du ministère du Travail et des Affaires Sociales a été résolu de façon simple. On estime que la subvention forfaitaire au poste d’insertion du ministère du Travail est censée combler la sous-production, et la subvention, qui n’est pas forfaitaire, du ministère des Affaires Sociales, est censée rémunérer l’effort d’accompagnement des personnes en insertion. Surtout, nous veillons tout particulièrement à ce que les entreprises qui se consacrent aux publics les plus en difficultés soient davantage aidées que celles qui touchent des publics relativement proches d’une situation de travail normale.

M. Dupuis, Directeur Régional du Travail et de l’Emploi : Si l’on aborde des problèmes financiers, je crois que l’on va compliquer un peu le débat. La meilleure chose, à mon sens, c’est que l’ensemble des acteurs, à la suite de cette réunion, se mettent autour d’une table.

Pour clarifier les choses, je voudrais rappeler l’économie de l’intervention du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, puisque le représentant de la Direction des Actions Sociales a pour son compte indiqué quel était le niveau d’intervention du ministère des Affaires Sociales, et rappeler - c’est important - qu’il y a eu des évolutions de caractère législatif. Ce sont les parlementaires qui ont fait évoluer une réglementation qui n’était pas très cadrée au préalable. La nouvelle réglementation, qui date d’un texte de loi de janvier 1991, a, effectivement, sur certains côtés, apporté une contrainte. C’était la volonté des parlementaires, mais aussi des organisations professionnelles, parce qu’on pouvait assister à une sorte de détournement du marché.

Il a été dit, à juste titre, que ce sont les professions du bâtiment, des travaux publics qui occupent le plus de personnes en difficulté. L’insertion par l’économique répond à un cadre juridique strict - il faut que l’entreprise ait spécifiquement cet objet -  alors que, antérieurement à la loi de 1991, des entreprises de secteur marchand de quinze ou trente salariés pouvaient dire qu’elles se réservaient un poste d’insertion par l’économique pour prendre une personne.

Pour répondre à la loi, il faut aussi faire admettre sur ces postes des personnes en plus grandes difficultés, puisque l’intervention financière de l’Etat pour le ministère du Travail, à hauteur de 36 000 F par an par poste d’insertion par l’économique, vient compenser une partie de sous-productivité.

Concernant l’atelier Avenir Jeunes Reims, on a un problème, je le découvre aujourd’hui. Il y a plusieurs activités : une activité de formation et une activité d’entreprise du secteur marchand. Il faudrait clarifier. Ce qui serait déplorable, c’est qu’à l’intérieur d’une structure d’insertion par l’économique, on ait des gens de plusieurs statuts. Les personnes qui sont admises sont bien des salariés avec des contrats de travail rémunérés au minimum au SMIC, ils sont au moins à égalité avec les personnes qui rentrent par ce type de statut. A partir du moment où, dans la même structure, il y a des gens qui sont en formation, sont-ils des stagiaires de la formation professionnelle - donc rémunérés - ou des stagiaires sous je ne sais quel statut ? Par rapport à d’autres qui sont aussi rémunérés, c’est un peu différent.

Si le chiffre est effectivement faible, entre 12 000 et 15 000, il faut dire qu’il a doublé entre 1990 et 1992, et que le budget général du ministère des Affaires Sociales et du Travail pour 1993 est de 1 milliard. Un certain nombre d’organismes ont pu apporter la preuve de leur bon fonctionnement avec des aides de l’Etat et d’autres collectivités ; cela pourrait faire développer le système.

C’est un peu comme les Contrats Emploi Solidarité : les gens qui entrent dans le système, moins ils y sont longtemps, moins ils s’implantent. Au bout de deux ans, on n’arrive plus à faire sortir quelqu’un de ces structures. La logique de l’insertion par l’économique correspond à des contrats à durée déterminée, d’une durée d’un an maximum quand la situation de la personne est compliquée, parce que se télescopent des problèmes à caractère social, donc accompagnement social plus insertion professionnelle. L’occupation dans la structure d’insertion par l’économique peut être portée à deux ans. Ce qui veut dire qu’on n’a peut-être pas le temps d’assurer une formation professionnelle au sens strict du terme. Mais l’essentiel, c’est déjà de faire sortir les gens de l’exclusion, du milieu où ils étaient, et puis peut-être de trouver les relais, notamment avec les secteurs professionnels, pour chercher une autre formule avec un contrat de travail sur une durée à déterminer, avec une formation pour laquelle l’entreprise peut bénéficier du fonds de la formation professionnelle ou d’autres dispositifs. Actuellement, il y aurait presque pléthore de dispositifs, notamment pour les jeunes par rapport aux autres.

M. Vacquin : Vous définissez une grande part du cahier des charges qui pourrait vous réunir dans la réflexion à déployer après ce colloque.

M. Fourdrignier, Institut du Travail Social de Champagne-Ardenne- Je voulais réagir par rapport à l’intervention de M. Grosjean. Vous avez parlé vous-même à plusieurs reprises de taylorisation de la fonction publique, il me semble que l’on vient d’en avoir un exemple. Je reprendrai trois points.

N’a-t-on pas le risque d’enfermer le débat a priori, de trop le restreindre, dans un cadre juridique et réglementaire pré-construit ? Je comprends M. Grosjean, qui défend la position du ministère des Affaires Sociales ; de ce point de vue, il parle de dispositifs mis en place par son ministère, mais n’y a-t-il pas un risque de dérive par rapport au tour qu’avait pris la discussion jusqu’à présent, un risque de l’enfermer ? Les chiffres qui ont été cités sont exacts, mais ils se réfèrent uniquement à un dispositif bien précis, et ceci réduit la question de l’insertion par l’économique aux entreprises d’insertion, aux associations intermédiaires et aux régies de quartier. Or, il me semble difficile d’enfermer d’entrée de jeu, la question de l’insertion économique des jeunes dans un dispositif. C’est trop souvent la manière dont on procède, à savoir de partir des dispositifs et ensuite de faire rentrer les gens dedans. L’un des intérêts de l’expérience de l’atelier Avenir Jeunes Reims, c’est le contraire. C’est justement de partir des réalités vécues par les jeunes, des situations d’exclusion dans lesquelles ils sont, et ensuite de vois dans quelle mesure les dispositifs actuels sont pertinents ou non.

La deuxième remarque que je voulais faire par rapport à ce qu’à indiqué M. Grosjean concerne la comparaison entre la philosophie générale des entreprises d’insertion et l’expérience qui nous a été présentée ce matin. Il a affirmé leur similitude en disant que les trois fonctions présentées tout à l’heure se retrouvent bien dans la philosophie des entreprises d’insertion. Au niveau philosophique, c’est vrai. Néanmoins, M. Grosjean a précisé : « Que ces trois activités soient faites dans la même structure, ou dans une structure différente - vous ne l’avez pas dit, je le prends à mon compte -, qu’elles soient faites ou non par les mêmes personnes, peu importe ». Je serais tenté de dire, justement, non ce n’est pas « peu importe. » La différence est là, dans la parcellisation actuelle. Je forme des travailleurs sociaux à longueur de journée, je prends tout à fait à mon compte d’être producteur de la parcellisation, mais on ne peut pas évacuer la question d’un revers de manche en disant : « C’est pareil, et donc on fait la même chose. » Il me semble qu’il faut repenser cette notion de parcellisation.

Le troisième élément, toujours à propos des travailleurs sociaux : historiquement, il est vrai que ces derniers ont eu un rôle important dans les entreprises d’insertion. Ils ont été les premiers initiateurs au début des années 1980, mais n’y aurait-il pas à réfléchir par rapport au travail mené ? Aujourd’hui, en est-on encore là ? En particulier, l’élément nouveau aujourd’hui, dans le débat sur l’insertion par l’économique, est la place de plus en plus importante accordée à la relation avec les entreprises (on a mis le temps pour s’en rendre compte). De ce point de vue, les travailleurs sociaux sont-ils les mieux placés, ou les plus capables, pour développer la relation avec les entreprises ?

De grâce, n’enfermons pas le débat sur l’insertion par l’économique dans des dispositifs estampillés - non pas qu’ils soient à rejeter ; j’aurais du mal à scier la branche sur laquelle je suis et à dire : « A priori, ce n’est pas de la compétence des travailleurs sociaux » - mais ne construisons pas trop a priori, prenons plutôt le problème tel qu’il se pose dans la réalité et voyons ensuite de qui c’est la compétence.

M. Vacquin : En effet, on pourrait s’en tirer par une boutade, je n’entends d’ailleurs pas grand chose du fait de mon ignorance des textes juridiques et administratifs de cette taylorisation entre l’économique et le social dont vous faites un plat ici. Ce plat que vous faites, je vois bien où il s’établit. Il s’établit sur des règles et des textes qui établissent les modalités d’attribution. Vous venez de mettre l’accent sur quelque chose de fondamental. Monsieur. Il s’agit de partir des problèmes pour ouvrir entre vous un champ dérogatoire de réflexions sur l’a priori des textes, pour essayer de commencer par l’analyse, la nature des problèmes à résoudre, et puis, peut-être, ouvrir un espace dérogatoire sous contrôle des acteurs.

Est-ce forcément quelque chose qui ne pourrait pas permettre d’avancer des concepts dont le législatif pourrait venir s’inspirer ? C’est ce que j’avais entendu quand j’avais vu pour  la première fois les gens qui font que nous sommes réunis ici, c’est-à-dire ceux qui sont sur le terrain. C'est ce que j’avais entendu comme désir de leur part.

M. Larouzée : Sociologue – Nous sommes réunis ici pour nous poser la question : comment réaliser l’insertion de ces jeunes extrêmement défavorisés, et non pour disserter sur le pourquoi nous n’y arrivons pas.

Nous venons d’entendre que les jeunes étaient une charge, que les jeunes représentaient des coûts, on a des statistiques très précises. Pour la plupart d’entre nous, la jeunesse est derrière nous. Si la jeunesse est aujourd’hui une charge, je crains que bientôt la vieillesse en soit une. La vieillesse est devant nous. S’occuper des jeunes, créer ce lien social, est un devoir social. Peut-on parler en coût quand on traverse des quartiers qui sont « à risques » pour les nantis que nous sommes ?

Bientôt certaines zones du territoire seront de plus en plus « à risques ». Si on ne le fait pas par devoir et humanisme, je cois qu’il faudra le faire par raison. Il faudrait qu’on se recentre sur la question qui était la nôtre, c’est-à-dire comment inscrire des actions durables ? Comment se rencontrer à nouveau ? Si on se rencontre dans deux ou trois mois, ce sera pour parler de quoi ? Sera-ce encore pour parler du fait que l’AJR représente trois statuts en une seule entreprise et qu’il faudrait qu’elle éclate en trois lieux ? Il faut considérer que l’AJR est comme cela. En stratèges que nous sommes, nous devons considérer ce qui est, et non pas ce qui pourrait être de l’ordre de nos rêves.

Mon rêve très simple : c’est soit vous me le cachez, ces jeunes voyous, soit vous vous arrangez pour que je n’en aie plus. Comme vous n’arrivez pas à me les cacher, il va falloir que je les supporte ; autant alors recréer ce lien social qui va faire que je vais pouvoir me regarder dans la glace avec la tête haute. Ce n’est pas en me rangeant derrière le coût d’un jeune que je vais pouvoir me regarder dans la glace, d’autant que bientôt je serai vieux, et si ceux qui nous succèderont à ces tables rondes tiennent les mêmes propos sur les vieux, je ne serais pas toujours à l’aise.

M. Vacquin : Merci de cette tranche de sincérité. Cela dit, il faut apporter un petit correctif. Dans trois mois d’ici, rendez-vous est pris pour conclure des travaux qui vont commencer demain matin. Il y a dans la salle des acteurs de la fonction publique qui ne se sont pas exprimés. On m’a dit qu’il y avait des observateurs syndicaux dans la salle, les unions locales, départementales, régionales, existent-elles ?

M. Dupuis : Je ne vais pas créer de polémique, je répondrai simplement sur l’aspect de l’insertion par l’économique. Les partenaires sociaux présents ici pourraient dire qu’il y a des accords des partenaires sociaux sur la formation en alternance, les contrats de qualification, les contrats d’adaptation, d’orientation, qui ont succédé aux Stages d’Insertion dans la Vie Professionnelle (SIVP). On pourrait dire beaucoup de choses là-dessus à propos du résultat quasi zéro de la mise en place des contrats d’orientation qui ont succédé aux SIVP et qui ont eu leur heure de gloire, et se poser la question : pourquoi un échec aujourd’hui ? Pourquoi le démarrage est-il aussi difficile ?

M. Vacquin : Monsieur Tulet, vous qui êtes dans un organisme interministériel, donc un lieu censé être un lieu de consolidation, vous n’avez rien à nous dire là-dessus ?

M. Tulet, Ministère du Travail et de l’Emploi, Délégation Interministérielle à l’insertion des Jeunes. – Je croyais que l’objectif de cette journée, lorsque nous en avions discuté, était de voir les dispositions à prendre au niveau des acteurs locaux pour régler, comme le disait Monsieur le Préfet tout à l’heure, des propositions un peu exceptionnelles. Or, nous sommes aujourd’hui face à la situation de l’AJR qui pose un problème aux acteurs locaux.

Personne aujourd’hui ne conteste le bien fondé de l’action entreprise. Simplement, les représentants des ministères ont apporté leur lumière en matière de financement. Il me semble que c’est tout à fait intéressant pour les partenaires - beaucoup le savaient déjà - de savoir quelle est la part du ministère des Affaires Sociales et quelle est la part du ministère du Travail en la matière. Là-dessus, je pense que le ministère du Travail et le directeur régional du Travail sont beaucoup plus compétents que moi pour répondre.

Je pense qu’en effet, à partir de demain matin, les acteurs concernés qui sont tous autour de la table pourront - tout le monde l’espère - trouver la solution au problème que vous évoquiez tout à l’heure, messieurs, lorsque vous avez présenté votre mode de fonctionnement. Si vous m’y invitez dans la journée, je m’exprimerai très volontiers.

M. Brun : A propos de l’intervention de M. Dupuis, je crois que la spécificité de l’AJR par rapport à des entreprises d’insertion, c’est justement de juxtaposer deux fonctions qui ne le sont pas habituellement dans les entreprises d’insertion. C’est d’une part l’insertion proprement dite, c’est-à-dire l’apprentissage des qualifications sociales, de la socialisation professionnelle, et d’autre part la formation, c’est-à-dire le processus de qualification.

Or, ceci n’est pas recouvert par l’insertion par l’économique. C’est bien là le problème. C’est là où il faut déroger, ou utiliser des dispositifs de droit commun, et je pense que c’est là où il ne faut pas couper les choses.

Il faudrait par exemple réfléchir sur l’utilisation des contrats de qualification qui ont précisément pour objet de lier deux choses : d’une part un statut de salarié, d’autre part une formation. Les contrats de qualification jusqu’ici ne sont pas appliqués aux entreprises d’insertion - bien que M. Grosjean ait tout de même évoqué un certain nombre de contrats de qualification dans des entreprises d’insertion - parce qu’à terme, les entreprises d’insertion n’ont pas vocation à garder les salariés.

On pourrait imaginer, puisqu’une partie des gens qui passent par l’AJR sont embauchés à la fin par des entreprises, que l’AJR soit un sas d’insertion dans l’entreprise et que le contrat de qualification dans cette perspective s’applique. Je ne sais pas, c’est une voie possible.

Toute solution doit arriver à conjoindre l’effort d’insertion et l’effort de qualification. C’est ce qu’aujourd’hui, nous n’arrivons pas à faire, d’où la multiplicité des statuts qui est en soi catastrophique comme vous l’avez dit, et comme l’AJR le pense aussi.

M. Castoldi, Chargé de Mission, Préfecture de Région. - Monsieur le Préfet vous a dit tout à l’heure qu’il allait prendre connaissance avec beaucoup d’intérêt des actes de ce colloque. J’ai bien noté qu’une demande précise et particulière était faite pour réunir autour de la même table un certain nombre de services publics ici représentés.

Cette proposition lui sera faite, je serais très étonné qu’il ne l’accepte pas. Je ne crois pas trahir sa pensée en disant que ce type de réunion pourra être organisé. A ma connaissance, c’est la première fois que ceci est demandé. Il n’y a pas de temps perdu à cet égard.

M. Tassin, Membre du Conseil Economique et Social de Champagne-Ardenne (CGT).

Si nous ne sommes pas intervenus, c’est que vous aviez un peu modifié la règle du jeu ; il n’était pas prévu que l’on intervienne lorsque l’on n’était pas intervenant désigné à l’origine.

Je souhaiterais mettre un petit pavé dans la mare parce qu’il y a quelques petites choses qui me gênent dans la façon dont les choses se disent aujourd’hui. On a limité le débat, peut-être sans le vouloir, à l’entreprise d’insertion. Il y a un problème important qui se pose ; on souhaite insérer, mais insérer dans quoi, et pourquoi y a-t-il besoin d’insérer ? Il y a à la fois des origines et des problèmes qui se posent. M. Buguet a souligné tout à l’heure le problème du bâtiment. M. Pouthas disait : « S’il y a problème aujourd’hui, c’est parce qu’il y a évolution technologique. » Il y a effectivement ce problème, mais il y en a un autre qui est notamment posé dans le bâtiment - mais on pourrait élargir - c’est le problème économique.

Quand on veut insérer des jeunes, on les insère à la place de qui, pourquoi et sur quel poste de travail ? Il existe beaucoup de mesures, il n’y a quand même pas que les entreprises d’insertion qui existent, que l’on qualifie d’insertion. Les Contrats Emploi Solidarité, pour prendre un exemple, sont a priori destinés à insérer des jeunes, des bénéficiaires du RMI. Ce ne sont pas des mesures nouvelles. Il y a des expériences, des gens qui font des efforts, on en connaît, mais le résultat concret de l’insertion, comment évolue-t-il ? Il s’aggrave. Le chômage augmente.

M. Vacquin : Cette analyse, on peut vous la prêter avant même que vous ne l’exprimiez, puisque le discours de la CGT là-dessus est connu, et je dirai, pertinent. Mais la question plus précise que je voudrais vous adresser, même si on sort de l’ordonnancement qui était prévu, c’est que se pose un problème de reconnaissance de qualification de ces jeunes acteurs.

C’est vrai que dans les conventions collectives, les acteur syndicaux (notamment ici si vous ouvrez un champ dérogatoire) pourraient s’investir pour définir les qualifications qui pourraient ouvrir la voie à une reconnaissance collective de ces jeunes acteurs.

Cette main tendue du syndicalisme à ces jeunes acteurs aurait peut-être de l’intérêt, quelles sont les réserves à vous investir là-dedans ?

M. Tassin : Nous faisons des propositions sur les problèmes de grilles de classification, nous sommes pour la réorganisation complète de ces grilles pour tenir compte aussi des jeunes. Mais si, sous prétexte de la réinsertion, il nous fallait prévoir des places inférieures dans les grilles de classification, nous ne le prendrons pas en compte. Nous considérons que c’est de nature à aggraver encore le problème.

Vous m’avez coupé sur le problème des CES. Il me semble que c’est assez démonstratif des problèmes que l’on connaît aujourd’hui, y compris le problème des grilles de classification. On a modifié récemment la réglementation à la suite des mesures pour les chômeurs de longue durée. On a dit que l’on ne prenait si possible que des bénéficiaires du RMI ou des chômeurs de longue durée. Le chiffre de Monsieur le Recteur me laisse rêveur : 93 % de niveau V. Avec ou sans ces qualifications, je rappelle qu’il y a de plus en plus de gens avec des qualifications qui sont au chômage. Je ne sais pas comment on va les réinsérer, ceux-là. Il n’en reste pas moins que l’on est en train de « désinsérer » les jeunes qui, avant, trouvaient des places dans les CES, parce qu’ils n’en trouvent plus. Je ne défends pas la mesure CES, mais je fais un constat.

Aujourd’hui, on dit qu’il faut réinsérer un certain nombre de gens, notamment des bénéficiaires du RMI, des chômeurs de longue durée, des personnes âgées, par le biais du CES. A la limite, si cela effectivement débouchait sur un emploi, ce ne serait pas mal. Le problème, c’est que par ce biais-là, on amplifie le problème de la désinsertion des jeunes.

M. Vacquin : Les interlocuteurs syndicaux vont-ils s’impliquer dans ce champ de travail effectif sur les deux mois qui viennent ?

Mme Crisinel (CFDT). – Pour notre organisation, il est clair que c’est de notre responsabilité que de penser à l’insertion des jeunes exclus, mais pas seulement des jeunes, d’ailleurs, cela concerne aussi tous les adultes. Le système économique faisant qu’il y a de plus en plus d’exclus, notre responsabilité est non pas de regarder les choses se faire mais de bien voir quels moyens on va mettre en œuvre pour arriver à arrêter cette exclusion.

M. Ferry (Société Ferry Capitain).- Si on veut trouver des postes de travail, il faudrait pouvoir en dégager par ailleurs. On pourrait peut-être le faire en partie pour les postes de travail peu intéressants pour les femmes. Dans la métallurgie, il y a encore beaucoup de postes peu intéressants pour les femmes. Les femmes travaillent souvent là parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement, parce que les familles ont besoin d’un double salaire.

On pourrait imaginer dans la métallurgie qu’une partie de ce que l’on verse aux bénéficiaires du RMI soit versée aux mères de familles qui travailleraient à mi-temps ou qui ne travailleraient plus du tout, et cela permettrait de dégager beaucoup de postes de travail. Dans la métallurgie, c’est évident. Je ne dis pas qu’on renverrait les femmes à leurs fourneaux, mais on pourrait envisager pour elles des travaux à mi-temps. Puisque le chômage augmente, il faut donc bien se poser le problème. On aura de plus en plus de mal à réinsérer les gens. Si on veut les réinsérer, il faut trouver de grandes solutions.

On nous a expliqué tout à l’heure qu’on avait des petites solutions. Actuellement, les grandes solutions, c’est de diminuer le travail inintéressant des femmes de milieu modeste qui ne travaillent que parce qu’elles ont besoin d’avoir un double salaire. Elles font un double travail, elles travaillent chez elles et en plus à l’entreprise. Je préférerais payer mes impôts pour des gens comme ceux-là que pour des gens qui ne sont pas réinsérés.

M. Vacquin : Avec de débat sur la femme au foyer, on est d’emblée rétro. Cela me renvoie à une étude que j’ai lue la semaine dernière aux Etats-Unis. Savez-vous ce qu’est  l’équivalent du prix du travail d’une femme à la maison aux Etats-Unis chez les cadres moyens ? C’est estimé à 23 000 F, si on convertit tout le travail que la femme fait en temps de travail qui serait facturé de l’extérieur.

Il y a des tas d’idées de ce style que l’on rejette un peu vite, mais cela mériterait peut-être d’y réfléchir.

M. Tulet : Dans son introduction M. Pouthas a brossé le contexte économique dans lequel nous sommes aujourd’hui. Je ne pense pas que l’objectif de ce colloque soit de résoudre le problème du chômage qui est grave, ni même celui du traitement social du chômage, et plus particulièrement le chômage des jeunes. En effet, des questions se posent sur les Contrats Emploi Solidarité, sur les problèmes de formation, etc. Je crains fort que les jeunes en extrême difficulté - c’est bien de ceux-là qu’il s’agit aujourd’hui - risquent d’être déçus si on transforme progressivement ce colloque en un débat sur le problème du chômage en général, le problème du travail, ou même le problème de l’utilisation des Contrats Emploi Solidarité.

Dès que l’on essaie de faire des choses particulièrement innovantes, je rejoins ce qu’à dit M Brun ce matin sur la manière dont on aborde les jeunes en difficulté - là, nous parlons des jeunes en extrême difficulté -, on voit bien que chaque fois que l’on essaie de poser un acte, on risque tout de suite de déraper dans des phénomènes d’exclusion à l’intérieur même des mesures les plus adaptées - ou que l’on pense les plus adaptées - à ce type de public.

Aujourd’hui, gardons-nous de tomber dans ce travers, car si nous continuons ainsi, nous allons aborder le problème de l’évolution de la situation économique. Il y a des problèmes urgents à résoudre. Si demain, l’AJR a une solution qui préserve son originalité, sans déroger de manière grave aux règles qui régissent le financement de telle ou telle forme d’entreprise, ce sera un grand pas. Il n’a été dans le propos de qui que ce soit ce matin de réduire le problème des jeunes en difficulté à ce qu’on appelle l’insertion par l’économique.

L’insertion par l’économique, les entreprises d’insertion, les associations intermédiaires et les règles de quartier, sont forcément limités à un petit nombre de jeunes. Encore faut-il que cela fonctionne bien, avec le public concerné. On voit bien que cela doit être une mesure « exceptionnelle », même si on peut l’étendre un peu pour des jeunes qui sont en extrême difficulté.

Comme vous l’avez dit, Monsieur le Directeur, tout à l’heure, il n’est pas question d’appliquer à l’ensemble des jeunes qui ont des difficultés des stratégies aussi lourdes que celles que l’on développe dans les stratégies d’insertion. On voit bien les blocages, cela ne passerait pas le cap. Cela ne peut être limité qu’à quelques dizaines de milliers de jeunes en extrême difficulté.

Je souhaiterais que l’on concentre aujourd’hui toute notre matière grise à voir comment on peut au niveau d’une région, au plan local, trouver des choses nouvelles pour avancer.

M. Pouthas : Je ne vais pas conclure le débat, mais préciser que nous avons pris l’initiative en tant que Conseil Economique de nous réunir pour progresser sur cette réflexion. Ceci, je le reprécise dans le cadre de trois champs, celui abordé normalement à cette table ronde concerne plus particulièrement la problématique des PME et des artisans ; c’est la raison pour laquelle ils sont autour de la table et qu’on leur demande de réagir.

Au lendemain de cette journée, nous continuerons pendant un certain temps à prendre des initiatives pour que cette action se prolonge. Cela fait partie du projet, et de la responsabilité d’un Conseil Economique dynamique dans une région.

Nous réunirons un groupe de travail avec les PME, les artisans, puisqu’ils s’y sont engagés, et avec les partenaires sociaux qui le souhaiteront. Une feuille en reprend l’idée dans le dossier qui vous a été remis (cf Annexes). Nous avons pris note qu’un certain nombre d’organismes, notamment publics, les collectivités qui le souhaiteront, pourront regarder comment réfléchir ensemble aux questions posées par l’AJR, et surtout comment l’on peut rationaliser cette situation de façon à en proposer une transférabilité dans un champ expérimental nouveau, pour le restituer à la collectivité sous forme de méthodologie qu’elle puisse s’approprier.

C’est sur ce cahier des charges que nous allons réunir un petit groupe de travail en prolongement de cette table ronde.

(NDLR : voir également introduction de M.Pouthas à la deuxième table ronde).

Rédaction de la Revue Quart Monde

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