Le projet d’entreprise de l’U.R.E.I

Jean-Claude Carle

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Jean-Claude Carle, « Le projet d’entreprise de l’U.R.E.I », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1992), mis en ligne le 19 avril 2010, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4549

Quelqu’un a dit que nous sommes en train de passer de la civilisation de la peine à la civilisation de la panne… Nous n’aurons pas de mal à sortir de la peine car nous savons robotiser les grands flux de production et, comme pour la passe des machines, nous pouvons faire de la maintenance pour pallier à cela. Reste donc la panne des personnes, des jeunes et des adultes...

En insertion, nous recevons de plus ne plus d’adultes qui sont temporairement en panne d’emploi, qui sont exclus.

Dans le domaine de l’insertion depuis dix ans, un certain nombre de personnes – généralement des éducateurs – ont choisi l’économique, l’entreprise pour faire de l’insertion. C’est donc un moyen permettant de se remettre en contact avec la société et d’adopter un certain nombre de règles qui permettent de vivre dans la communauté.

Les premières entreprises sont des entreprises standard qui sont très répandues dans notre économie touchant au bâtiment etc... De ce fait, elles se sont mises en concurrence avec les entreprises traditionnelles et on a cru que cela était de la concurrence déloyale alors qu’en fait, ces nouveaux entrepreneurs sociaux avaient un double problème : ils avaient à pénétrer un marché et en même temps à manager des personnes en difficulté.

On a également cru qu’ils étaient à l’abri et qu’ils n’avaient qu’à demander pour toucher des subventions alors que la conquête d’une subvention réclame autant d’énergie que celle d’un marché et qu’il faut six mois ou un an avant qu’elles n’arrivent, ce qui pose d’importants problèmes de trésorerie.

Ces entreprises étaient dans l’ombre voici quelques années et je veux toujours leur rendre hommage car elles ont tenu dans des périodes difficiles. Aujourd’hui grâce à la Région, au Contrat Etat-Région, à notre Préfet de Région et du Président Charles Millon, nous avons eu une convention et il nous a été alloué six millions de Francs

Nous avons affiché sur une plaquette l’engagement que nous prenions à l’égard des élus qui nous faisaient confiance : un engagement ferme qui consistait à créer 300 postes avant 1992. Or, depuis le 25 avril 1991, nous avons dépassé cet objectif un an avant son terme puisque nous en sommes déjà à plus de 400 postes. Nous devions recevoir 600 personnes et je crois que ce sont 1 200 ou 1 800 personnes qui ont été accueillies.

Donc, tout va  bien au niveau des scores : il y a 40 entreprises d’insertion dans la région Rhône-Alpes et nous pourrions en créer le double. Pour cela, il s’agit de passer de l’insertion artisanale à l’insertion « industrielle. »

Faisons de l’insertion industrielle puisqu’il y a une demande très importante et que le marché existe. En effet, il y a une constellation de métiers et d’entreprises pour créer ; ainsi, nous voulons engager les gens à créer des entreprises pour créer leur emploi lorsqu’il n’y en a pas dans les entreprises existantes.

Nous avons donc fait un projet d’entreprise à l’U.R.E.I. et nous nous sommes donnés un certain nombre d’axes et de priorités car, vis-à-vis des élus, nous tenons à préciser nos étapes, ce que  nous voulons faire et les objectifs sur lesquels nous nous engageons.

Nous avons arrêté une dizaine d’objectifs :

* La promotion de l'insertion : nous avons proposé au Président du Conseil Régional et aux élus de réaliser les premiers trophées de l’insertion en Rhône-Alpes. Rhône-Alpes étant une région leader en France, nous voudrions inviter toutes les entreprises d’insertion de France à venir en 1992 pour présenter ce qu’elles ont fait. Nous ferions monter tous les patrons de l’insertion sur le podium, pour présenter la variété des activités, des métiers et des entreprises.

Comme vous le verrez, il y a une constellation d’entreprises très différentes dans tous les domaines : il y a de l’électronique, des matériaux composites aux côtés de métiers plus traditionnels tels que la confection, la restauration, les travaux de bâtiment…

Nous voudrions qu’il y ait une mémoire de l’insertion afin d’éviter certaines expériences, certains échecs et d’en tirer des formules à reproduire de sorte que les jeunes qui désirent lancer une entreprise puissent en profiter pour démarrer ; ce serait une forme « d’assurance » au démarrage. Les trophées 92 se dérouleraient vers le mois de juin et se passeraient dans la Région Rhône-Alpes.

* Il y a un axe innovation : nous nous sommes aperçus que si on ne voulait pas « agacer » les entreprises classiques qui sont sur le terrain, il fallait innover, découvrir des opportunités d’activités, réinventer à nouveau des métiers ou une nouvelle forme de pratique, d’offre ou de commercialisation de ces métiers car lorsque l’on n’a rien, on a une capacité d’invention assez extraordinaire.

Il fallait même aller plus loin : une entreprise d’insertion a repéré un brevet au Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble et a failli en faire une opération assez exceptionnelle sur le plan de l’insertion. Il s’agissait d'un  produit nouveau qui ne faisait concurrence à personne sauf à un produit ancien qui était disqualifié sur le plan des règles d’hygiène. Le produit étant tellement intéressant, c’est une société anglaise qui l’a racheté. Ainsi, l’entreprise d’insertion ne se trompait pas en faisant cela…; comme quoi, ces dernières peuvent aller très loin…

L’innovation consistera donc à se mettre en veille sur des opportunités, des brevets… adossés à des entreprises plus importantes telle que Saint Gobain ou autres, qui nous aident à lancer des entreprises pour de l’insertion.

* Le troisième point concerne les marchés : à ce niveau, nous recherchons une bonne adéquation entre des attentes, des marchés potentiels latents et des projets de création partant de la demande d’insertion.

Il s’agit d’avoir une démarche un peu plus « marketing » c’est-à-dire de créer des entreprises d’adéquation entre une offre et une demande substantielle qui ne vont pas répondre à l’objectif de « volume », de « capacité. »

* Il y a ensuite le problème du financement : il est vrai que les entreprises d’insertion n’ont pas de capitaux propres à l’origine, elles ont démarré avec de la volonté. Il faut donc trouver des moyens de financer ces entreprises. Lorsqu’une entreprise d’insertion se trouve devant le banquier, cela donne un sketch assez original mais pas beaucoup de crédits ; il faut donc toujours expliquer pourquoi l’argent n’arrive pas…

Pour donner de la solidité à une entreprise d’insertion, il y a plusieurs projets de société de capital risque comme en Savoie, en Isère et dans le Rhône. C’est un fonds de garantie qui va permettre aux entreprises - toujours grâce aux efforts de l’Etat et de la Région qui avancent un million de francs ce qui permet alors de prêter environ sept à huit fois plus, soit huit millions de francs - de potentialiser une aide de façon à distribuer beaucoup plus. C’est le principe du capital risque : apporter une garantie après audit du projet, bien voir ce qui va être créé pour éviter l’échec, sécuriser afin de limiter le taux de défaillance et ensuite de pousser ces entreprises en avant…

On peut aller plus loin : aujourd’hui, un certain nombre de personnes arrivant à la retraite, lassées « du loto et du bingo », pourraient investir dans des entreprises d’insertion, pour y rencontrer des jeunes d’aujourd’hui avec leur projet d’action. C’est un meilleur placement que le yen car dans cinq à dix ou quinze ans, ces jeunes d’aujourd’hui seront devenus des agents économiques.

Il faudrait peut-être créer un lieu qui serait comme une bourse de l’investissement dans l’insertion. Ce serait un moyen de rencontrer les jeunes ailleurs que dans des quartiers difficiles. Ici, au Conseil Régional, ce serait très bien pour créer la première bourse régionale publique et populaire pour dynamiser l’insertion.

* Ce point concerne le partenariat : nous sommes allés humblement rencontrer les syndicats professionnels en nous excusant d’avoir quelquefois « marché sur les pieds » de certains et en expliquant que nous voulions travailler ensemble. En effet, eux ont à nous apprendre des traditions, des méthodes, des techniques, des savoir-faire et nous essayons de nous situer soit en amont soit en aval. Les entreprises d’insertion ont ceci de particulier qu’elles forment des personnes pour qu’elles aillent dans d’autres entreprises. Ainsi, lorsque l’on pense qu’il est aisé de manager une entreprise d’insertion, il faut penser que tous les dix-huit mois, elle a un turn-over de 100% et les patrons d’entreprises classiques savent ce que cela signifie…

Aujourd’hui, il y a un paradoxe avec des postes et des emplois qui ne trouvent pas de candidats et des candidats qui ne trouvent pas d’emploi. L’entreprise d’insertion essaie de redécouvrir les aptitudes des personnes sans a priori sur les niveaux de formation. Ainsi, tel candidat pas doué en orthographe et en arithmétique, avec une bonne intelligence dans la main, qui aime les plantes et les fleurs, connaît les saisons, peut s’intégrer à l’équipe espaces verts.

Nous désirerions aller plus loin avec les entreprises et syndicats professionnels partenaires et avoir une démarche plus marketing, c’est-à-dire trouver de nouvelles opportunités de marchés pour travailler avec elles sur ce point. L’entreprise d’insertion est parfois bien placée  pour toucher des grands groupes qui peuvent sous-traiter des volumes d’activités assez importants que l’on pourrait partager avec les entreprises classiques pour des échanges qui peuvent être bonifiant pour les deux.

* Au niveau du lancement de nouvelles entreprises, nous voudrions attirer des jeunes cadres en reconversion ou des éducateurs attirés par l’entreprise comme outil pédagogique. L’Union Régionale serait non pas un censeur, un audit  - ce qui était un peu le cas lorsque les entreprises d’insertion ont démarré à l’époque où c’était nécessaire -  mais plutôt une organisation tournée vers le développement qui essaie de trouver de nouveaux relais, de nouveaux patrons d’entreprises d’insertion qui vont créer de nouveaux emplois.

Nous savons pertinemment que les handicaps d’une petite entreprise qui se lance sont les coûts de structure (la moquette, la secrétaire, le téléphone, le commercial, un télécopieur etc…)

Il faut donc que l’U.R.E.I. devienne un levier de développement et aussi un lieu où il y ait du commercial, de la comptabilité, du secrétariat pour toutes les micro-entreprises pendant un an ou deux comme une société loue une adresse de domiciliation. Cela serait fait de manière à ce que ces nouvelles entreprises et micro-entreprises (entreprises avec une seule personne) puissent être et travailler sur le terrain, vendre des produits ou des services.

Nous nous sommes aperçus en interrogeant des personnes que là résidait le frein : la personne a envie de travailler seule, de ne pas s’intégrer dans une structure. C’est donc un premier pas mais il faudrait la débarrasser de ces structures qui pèsent mais n’apportent guère. Nous pourrions donc jouer ce rôle.

* Au niveau du management : on a trouvé que les partenaires d’insertion qui venaient d’un domaine social, qui avaient été des éducateurs seraient les bienvenus dans des troisièmes cycles  de l’Institut d’Administration des Entreprises (I.A.E) ou de l’Institut de Formation à la Gestion (I.F.G.)

Nous entreprenons donc un contact avec les instituts afin d'adapter un troisième cycle de repositionnement tel que le CAAE ( Certificat d’Aptitude à l’Administration des Entreprises) et de lui donner un volet « insertion. » Cela permet en même temps de trouver dans ce milieu-là des patrons qui ont envie de créer des entreprises  et de « donner » un troisième cycle bien mérité aux personnes qui ont été pendant dix ans des patrons d’insertion venant du social.

De plus, il serait bon d’animer des parties de formation à l’I.A.E. et à l’I.F.G. ce qui apporterait un surplus, une dimension sociale à côté des dimensions « métalliques » et financières – cela dit très respectueusement et amicalement.

* Pour la formation, nous recherchons plus de souplesse afin que l’on puisse consommer la connaissance et apprendre en fonction de ses aptitudes et de l’opportunité d’emploi.

Je pense à une société de H.L.M en région parisienne qui a développé un système expert et une banque d’images pour transmettre à de nouveaux venus le métier de la maintenance qui est un métier du futur. En effet, on a beaucoup construit et maintenant il faut gérer et entretenir. C’est donc aussi un métier d’ingénierie de la connaissance, de transmission du savoir-faire, de partage. Il s’agit de filmer, d’enregistrer et de stocker des savoir-faire afin de permettre d’apprendre quand on en a besoin, au moment où on en a besoin, là où on en a besoin…

Il existe donc une piste de ce côté-là qui permet de sortir encore de ces protocoles de formation, de pouvoir consommer la connaissance, voir sur une banque d’images de quelle manière procèdent les professionnels… Ainsi, une personne ayant deux ans d’ancienneté aura pour ainsi dire quinze ans « d’expérience » parce qu’elle va profiter du savoir-faire légué par les anciens.

* Le dernier objectif consisterait à décentraliser l'U.R.E.I. (Union Régionale des Entreprises d’Insertion) de manière à ce que des responsables qui se trouvent dans des villes de départements de la Région Rhône-Alpes puissent obtenir des aides auprès de leur Conseil Général, les réinjectent dans des opérations d’actions pour créer de l’emploi. Par ailleurs, cela permettrait que le niveau départemental se développe et stimule à son tour le niveau communal.

Ainsi, aux niveaux régional, départemental et communal, on aurait des relais d’action pour être plus proches des instances administratives, des élus et bien sûr plus près des jeunes et des adultes en difficulté car c’est là note mission…

Jean-Claude Carle

Président de l’U.R.E.I

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