Des journalistes à l’écoute des enfants

Vololoniaina Prisca Randrianaridriana

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Vololoniaina Prisca Randrianaridriana, « Des journalistes à l’écoute des enfants », Revue Quart Monde [En ligne], 213 | 2010/1, mis en ligne le 05 août 2010, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4692

Comment mieux faire comprendre à des journalistes la vie des familles dans les quartiers les plus exclus qu’en donnant la parole à des enfants ? Audace réussie à Madagascar.

Index de mots-clés

Journalisme, Médias, Enfance

Index géographique

Madagascar

Des centaines de familles dormaient le long d’une voie ferrée à Tananarive. Là, elles revendaient des objets de récupération. Suite à leur déplacement par les pouvoirs publics pour la réhabilitation de la voie ferrée, de nombreux articles de presse ont eu des propos plus que méprisants voire insultants à leur égard. Ces propos humiliaient tous les très pauvres. Réunies dans une Plate Forme de la Société Civile, plusieurs associations (Terre des hommes, Enfants du Soleil, ENDA, ATO, Manaode, Groupe développement, ATD Quart Monde) ont cherché comment sensibiliser la presse à une meilleure connaissance de la vie de ces familles.

Plusieurs rencontres ont été programmées avec des journalistes volontaires, sous forme de petit-déjeuner de travail. La première rencontre a été préparée avec des enfants de divers quartiers.

En novembre 2006, chaque association a donc préparé une forme de communication : des sketchs, poèmes, montage vidéo…) afin d’expliquer tout ce qu’ils voulaient dire aux journalistes.

ATD Quart monde a choisi la création d’un mini journal. Les enfants ont joué le rôle de journalistes par des interviews et un reportage photo dans leur quartier.

Vingt-deux enfants âgés de 10 à 14 ans se sont réunis deux fois par mois pour partager ce qu’ils voulaient dire de la vie dans les bas quartiers.

Sept d’entre eux ont été délégués porte-parole du groupe lors de l’atelier avec les journalistes en février.

Ils ont d’abord cherché à savoir comment les journalistes font une interview. Puis ils ont rassemblé les idées dont ils voulaient discuter avec les journalistes. Ils se sont questionnés mutuellement sur la vie des familles et celle de la société. Ils ont choisi de présenter le travail de leurs parents dans le quartier.

Et tout ce travail a permis de composer un mini journal pour présenter aux journalistes les idées des enfants.

L’important, c’est le respect

Lors de l’atelier en février, avant la présentation de leur journal les enfants ont joué un petit sketch pour montrer qu’il n’y avait pas que des mauvaises choses dans les bas quartiers. ; que les parents s’efforcent de travailler et de vivre comme tous les Malgaches. Les enfants n’acceptent pas qu’on dise que les pauvres sont paresseux. Mais la réalité c’est qu’ils n’arrivent pas à vivre avec les salaires qu’ils gagnent. A Tana, il est difficile de trouver un bon travail, surtout sans diplôme. Alors les seuls travaux possibles pour nourrir la famille sont gardien de nuit, porteur d’eau, petit commerce sur le trottoir, nettoyage du canal, lessive... Les enfants, comme tous les enfants, veulent apprendre mais ils sont obligés de ne pas aller à l’école si les parents n’ont pas les moyens de les y envoyer.

Les enfants de l’association Manaode ont aussi montré comment ils refusent d’être appelés selon leur travail comme les vendeurs de pistaches à la sauvette, souvent appelés « pistache, pistache ! » ou les vendeurs de sachet en plastique, « sachet, sachet ! ». Chaque enfant a son nom qui doit être respecté. Aucun enfant n’a choisi de faire ce travail mais à cause de la misère, chacun doit aider ses parents. Terre des Hommes a dénoncé l’habitude de donner des surnoms donnés aux gens de la rue : « katmi »1

Un journaliste a demandé ce que les enfants n’aiment pas dans les reportages, s’ils ont déjà regardé la télévision ou écouté la radio. Un garçon a répondu : « Oui, je regarde la télé, mais ce que je n’aime pas c’est les journalistes menteurs. » L’animatrice était gênée et lui a demandé des détails. « Oui, le journaliste a dit que Jean-Claude Van Damme allait venir à Madagascar mais il n’est pas venu ! » Un journaliste s’est alors rappelé qu’en effet, cette information était fausse. Les enfants n’avaient pas peur de dire la vérité.

Apprendre à suivre les enfants

Les journalistes ont été d’accord pour aller plus loin. Des rencontres ont été prévues tous les deux mois entre enfants et journalistes mais aussi les parents.

Une journaliste m’a demandé davantage d’explications concernant le Mouvement ATD Quart Monde. Elle a écrit ensuite un article sur les Bibliothèques de rue et a aussi fait elle-même une recherche sur internet pour relater la vie du père Joseph Wresinski.

Une autre journaliste a interviewé deux enfants, Tanjona et Brigitte. Tanjona a bien parlé de son rêve d’être un médecin militaire pour faire sortir ses parents de la misère. Brigitte dit qu’elle va étudier pour être commerçante : quand elle sera grande, elle nourrira sa grand-mère parce que maintenant, c’est sa grand-mère qui l’élève avec son dur travail de lessiveuse.

En rentrant le soir, tous les enfants étaient vraiment très contents. La plupart n’étaient encore jamais rentrés dans un grand hôtel-restaurant comme celui qui a accueilli la réunion (un restaurant de formation pour des apprentis cuisiniers.) Pour Sendra, c’est un grand jour d’être entrée dans cet hôtel et de s’être installée à côté de journalistes professionnels, elle n’avait jamais imaginé ça ! Volantiana était contente de l’échange avec les journalistes et de la décision de le continuer. Brigitte était heureuse d’avoir réussi à écrire elle-même dans le journal fait auparavant. Les enfants sont fiers d’avoir osé exposer leurs idées devant les journalistes. Ils espèrent que cela contribuera à changer la vie de la société.

1 Abréviation reprenant  la première lettre de 4 verbes accusateurs (jouer aux jeux d’argent, voler, vendre son corps et être paresseux).
1 Abréviation reprenant  la première lettre de 4 verbes accusateurs (jouer aux jeux d’argent, voler, vendre son corps et être paresseux).

Vololoniaina Prisca Randrianaridriana

Institutrice, Vololoniaina Prisca Randrianaridriana est malgache. Elle a animé la Bibliothèque de rue et est mariée à Henri Rambelo, connu sous le nom de d'Ange en tant qu'artiste peintre. Ils sont tous deux volontaires d’ATD Quart Monde depuis 2004

CC BY-NC-ND