Est-il possible de vivre en famille en Europe ?

Université populaire Quart Monde

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Université populaire Quart Monde, « Est-il possible de vivre en famille en Europe ? », Revue Quart Monde [En ligne], 214 | 2010/2, mis en ligne le 05 novembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4730

De qui et de quoi un enfant a-t-il besoin pour grandir ? En divers pays d’Europe, des parents dont la vie est très dure ont préparé des témoignages pour échanger sur cette question lors de l’Université populaire Quart Monde européenne réunie à Pierrelaye (France) le 5 décembre 2009. Nul mieux que ces pères et mères ne peut dire les conséquences des lois et donc de la politique sur la vie familiale. Nul mieux qu’eux ne peut dire aussi l’importance d’être écouté et soutenu. Voici quelques-uns de ces témoignages sur le logement, les conditions de vie et l’école.

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Union européenne

Irlande : Avoir à bouger sans arrêt

Sur nos quinze ans de vie commune avec mon partenaire, nous en avons vécu dix à la rue. Le premier jour où on s’est retrouvé à la rue, j’étais terrifiée quand on nous a dit qu’on devait aller dans des lieux séparés. J’ai été dans un hôtel pour femmes avec nos trois enfants. Darren a été dans un hôtel pour hommes où il dormait par terre. C’était horrible d’être séparés. Darren essayait malgré tout d’être un père pour ses enfants, sans avoir un endroit pour vivre !

Le matin, il venait prendre Natacha pour l’amener à l’école. C’était loin mais on voulait lui donner une sécurité en la laissant dans la même école.

C’était très dur d’avoir à bouger sans arrêt.

Notre plus grande crainte, c’était qu’on nous prenne nos enfants.

La meilleure chose que nous ayons faite, c’est de rester en couple avec nos enfants. Nous nous aidions l’un l’autre. C’est pour nos enfants que nous l’avons fait. C’est eux qui nous maintenaient en vie.

J’ai demandé à avoir une assistante sociale. Celle que nous avons eue était exceptionnelle, comme un ange envoyé du ciel ! C’était comme si elle nous avait toujours connus. Elle m’a aidée ainsi que Darren alors qu’elle n’était pas supposée travailler avec lui. Après quelques mois, elle a vu qu’on se débrouillait bien avec nos enfants, elle a réussi à nous trouver un petit appartement supervisé, puis elle m’a trouvé une formation et elle s’est retirée. Les enfants allaient à la crèche. Ça allait mieux pour nous.

Notre assistante sociale a fermé notre dossier, elle nous a dit qu’on n’avait plus besoin de son aide.

Grâce à Dieu, aujourd’hui nous avons notre maison. Mais à Dublin, la vie à la rue continue à séparer des familles. C’est un scandale. Chaque famille devrait avoir un endroit convenable pour vivre. Aucune ne devrait être séparée, à aucun prix.

Belgique : Rayée de la commune

Une famille n’arrive plus à tout payer et il y a des retards dans le paiement du loyer. Le propriétaire menace de la dénoncer, notamment d’en référer au service d’aide à la jeunesse où elle a déjà un dossier. Prenant peur, cette famille choisit de quitter le logement. N’ayant plus de domicile, elle est rayée de la commune. Ceci a pour conséquences un arrêt du versement des allocations de chômage et des allocations familiales.

La famille a trouvé refuge chez des amis qui l’hébergent provisoirement sans pouvoir indiquer là son domicile. En effet, la famille qui l’héberge dépend du centre public d’aide sociale (CPAS). Si elle dit qu’elle héberge une autre famille, elle pourrait avoir des ennuis.

Luxembourg : Papa, pourquoi ?

Ils ont placé ma fille en Allemagne quand elle avait quatre ans. Aujourd’hui, elle en a douze. J’ai le droit de la visiter une fois par mois pendant une heure et demie. Pour ça, je dois faire dix heures de train aller et retour. Je ne la vois jamais seule, il y a toujours un éducateur avec nous. Elle me demande : « Papa, pourquoi je ne peux pas rentrer à la maison ? » Je n’ai pas de réponse.

Elle est de plus en plus agressive avec ses éducateurs.

L’État du Luxembourg éloigne l’enfant de ses parents dans un pays étranger, il a pris sa parole, il a pris sa langue. Les enfants ne parlent plus leur langue maternelle, l’enfant ne peut plus s’adresser à ses parents, à la justice de son pays sans l’intermédiaire d’un traducteur. C’est la pire des choses de ne plus pouvoir communiquer avec la langue de sa famille d’origine.

Le courage que ça demande aux parents de garder le lien et de vouloir continuer à donner de l’amour ! ! !

L’État du Luxembourg investit plus dans les placements que dans l’aide apportée aux parents et ça, il faut vraiment que ça change.

Belgique : Pourquoi la rue ?

Nous avons lu cette semaine dans la presse que de nombreuses familles ont été expulsées des habitations qu’elles louaient : soixante familles par jour rien qu’en Flandre, tant en ville qu’à la campagne ! Pour dettes, défaut de salaire ou autres raisons d’ordre financier. Le minimum socio-vital (726 € pour une personne seule) se situe en Belgique sous le seuil européen de la pauvreté (860 € pour une personne seule). Villes et communes tirent elles-mêmes la sonnette d’alarme.

Nous sommes inquiets que ce soient les enfants qui souffrent le plus de cette situation. Les parents cherchent à s’en sortir mais souvent les enfants n’arrivent pas à comprendre. « Pourquoi faut-il que nous couchions à la rue ? Pourquoi n’allons-nous pas en famille, tous ensemble, au refuge, au lieu que papa et maman y soient séparés ? ».

L’accueil d’urgence pour familles entières existe à peine en Belgique. Le manque d’habitations sociales est considérable. Les loyers des habitations privées ont fait un bond énorme ces dernières années.

Pays-Bas : L’école impossible

« On a du quitter tôt l’école parce que nous étions nécessaires pour aider à la maison. » Hélas c’est encore ce qui se passe aujourd’hui. Quand tu es d’une famille de neuf enfants, si tu es le plus âgé, tu as la responsabilité de faire en sorte qu’il y ait des revenus et d’aider tes frères et sœurs.

Tu dois partir bien trop tôt de l’école. A cause de cela, tu n’as pas le nécessaire pour ton développement et du coup, tu as moins de chances de trouver un travail et de sortir de ta situation. Je trouve qu’un enfant de douze ans a le droit de pouvoir jouer avec ses amis et ne doit pas avoir à travailler pour augmenter le revenu de la famille.

Irlande : Soutenu, soudain capable

Un de mes fils a quitté l’école primaire sans savoir lire et écrire. Il s’est ensuite retrouvé complètement en dehors du système scolaire pendant dix-huit mois. Personne n’est venu me voir et c’était comme si il n’existait pas pour le ministère de l’Éducation. C’est ainsi que tant d’enfants se retrouvent à la rue et dans la délinquance. Quand cela arrive, cela affecte l’ensemble de la famille.

C’est très dur pour une maman de se sentir ainsi coincée dans une situation qu’elle ne peut pas changer … Je ne savais pas quoi faire ni vers qui me tourner. Quand vous êtes dans votre coin, seule, quand vous savez qu’on va vous reprocher ce qui arrive, que les gens vont vous rendre responsable, vous gardez la tête baissée.

Vous espérez que quelqu’un va venir vous trouver et vous soutenir. Finalement, on m’a parlé d’un groupe de femmes qui m’a beaucoup soutenue, moi et ma famille. Je suis parvenue à faire accepter mon fils au « Life Center », un centre d’apprentissage pour des enfants exclus du système scolaire.

Une fois qu’il a eu du soutien, tout a changé pour lui. Il a été capable d’apprendre à lire et écrire et ça allait bien à l’école. Il a passé son examen de la mi-secondaire et il a continué à apprendre. Maintenant, il espère trouver un travail. Avec le soutien du groupe de femmes, je suis retournée moi-même à l’école, et toute la famille a ensuite repris le chemin de l’Éducation.

A Dublin, beaucoup d’enfants des communautés pauvres, et surtout des gens du voyage, n’apprennent pas et quittent l’école très jeunes. Leurs parents ne savent pas quoi faire.

Ils ont le droit à l’éducation et à un avenir. Mais qui défend leur droit ?

Université populaire Quart Monde

Des participants à l’Université populaire Quart Monde européenne

CC BY-NC-ND