Exposé des motifs de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Exposé des motifs de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions », Revue Quart Monde [Online], Dossiers & Documents (1998), Online since 20 September 2010, connection on 25 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4751

Après un rappel de l’action du gouvernement, l’exposé des motifs du projet de loi d’orientation contre les exclusions soumis par le gouvernement au Parlement le 25 mars 1998, est ainsi rédigé :

« (...) Les phénomènes de précarité et d'exclusion touchent un nombre de plus en plus grand de personnes dans notre pays. Le lien social et la cohésion de la société sont menacés. Quelques chiffres en attestent : 10 % des ménages disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté ; environ 2 millions de personnes ne vivent que grâce au RMI et 6 millions dépendent des minima sociaux ; 3 millions de personnes connaissent le chômage qui, pour plus d'un million d'entre elles, est de longue durée.

Cette précarité prend des formes multiples et tous les domaines sont concernés : plus de 50 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans qualification ; un quart de la population renonce à se faire soigner pour des raisons financières ; l'accès à la culture et au sport, comme le départ en vacances, est réservé aux plus favorisés. Quant au droit au logement, on estime que 200 000 personnes sont sans-abri et que 2 millions sont mal logées.

Cette situation n'est plus acceptable : ces chiffres, dans leur sécheresse, ne doivent pas dissimuler la réalité de la vie quotidienne de milliers de femmes et d'hommes, leurs difficultés financières et personnelles, leur inquiétude et leur désespoir.

Il n'est pas admissible que la pauvreté réduise la capacité des individus à faire valoir leurs droits. C'est l'une des motivations essentielles de ce projet de loi et, bien au-delà, du programme proposé par le Gouvernement qui repose sur une forte mobilisation et, surtout, sur un changement d'approche et d'échelle dans la mise en œuvre des politiques publiques en faveur de la prévention et de la lutte contre l'exclusion. Ce changement repose sur quatre orientations nouvelles.

En premier lieu, si la solidarité nationale permet une politique d'assistance pour nos concitoyens qui traversent des périodes difficiles, l'objectif des politiques publiques est de les en sortir, à chaque fois que c'est possible et dans les plus brefs délais.

C'est dans cet esprit que l'objectif du programme est d'abord de garantir l'accès aux droits fondamentaux : il est vain de songer à mener une véritable politique de cohésion si l'accès à l'emploi, si l'obtention d'un logement décent ou encore la prévention et les soins demeurent des principes théoriques et sans véritable efficacité. Cet accès aux droits fondamentaux doit être le tremplin vers la réinsertion sociale.

Dans ce domaine, un équilibre doit être trouvé entre, d'une part, la mise en place de solutions spécifiques et des formes de discriminations positives en faveur des plus démunis, et, d'autre part, l'inscription de ces actions dans le droit commun, afin d'éviter la formation d'un droit des exclus qui pourrait être stigmatisant et synonyme d'un droit de seconde classe. Dans certains domaines pourtant, la reconnaissance de l'échec des politiques mises en œuvre rend nécessaires certains moyens d'exception permettant le plus rapidement possible le retour dans le droit commun.

Mais au-delà, le Gouvernement entend prévenir les exclusions. Il faut traiter les problèmes en amont, avant que l'urgence n'apparaisse. La prévention concerne aussi bien la politique du logement que le traitement du surendettement. Le programme vise ainsi à améliorer la situation de ceux qui sont déjà blessés par l'exclusion sous toutes ses formes mais il s'adresse aussi à toutes les personnes qui se sentent menacées par ces risques. Cette politique n'a de sens que si elle est élaborée avec les plus démunis, qui doivent être considérés comme des partenaires à part entière. Il nous appartient donc à tous de créer les conditions de leur participation à la définition des politiques publiques.

Enfin, l’État doit être capable, lorsque c'est nécessaire et lorsque les autres réponses ont échoué, de prendre en compte avec efficacité les situations d'urgence qui appellent des réponses spécifiques.

En définitive, il est clair que l'objectif n'est pas d'afficher des droits nouveaux, mais de donner une réalité à ceux qui existent déjà dans notre arsenal juridique. De plus, le respect de la dignité des plus démunis impose, chaque fois que cela est possible, des solutions de droit commun, plutôt que des dispositifs d'exception toujours stigmatisants.

Le Gouvernement a souhaité une large mobilisation autour de ce projet de loi et de son programme d'action. La part prise par la concertation avec tous les acteurs du combat contre les exclusions doit être soulignée.

Au niveau national, le Conseil économique et social, le Conseil national de l'insertion par l'activité économique, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le Conseil supérieur du travail social sont à l'origine de plusieurs des orientations que le Gouvernement a souhaité retenir. Dans le même esprit, les associations et les syndicats ont été associés, étape par étape, à cette réflexion et à la préparation du programme d'action et du projet de loi.

Au niveau international, la France s'est également engagée, aux côtés d'autres partenaires de l'Organisation des Nations unies, lors du Sommet mondial de Copenhague sur le développement social de mars 1995, à œuvrer à l'élimination de la pauvreté dans le monde grâce à des actions nationales menées avec détermination. De même, c'est sous présidence française que le Conseil de l'Europe s'est impliqué, en octobre 1997, dans la lutte contre les exclusions. Enfin, le Sommet sur l'emploi de Luxembourg en juin 1997 a marqué, sous l'impulsion de la France, une nouvelle étape de la politique sociale et pour l'emploi dans l'Union européenne.

Le programme d'action et le projet de loi sont indissociables d'une action économique et sociale beaucoup plus large au sein de laquelle l'emploi occupe une place privilégiée. L'emploi est en effet le vecteur essentiel de l'intégration sociale et la priorité de la politique souhaitée par les Français et menée par le Gouvernement depuis juin 1997. Le plan "Nouveaux emplois, nouveaux services" pour les jeunes (50 000 jeunes ont déjà pu bénéficier du dispositif), la réduction du temps de travail demain et plusieurs décisions clairement redistributrices (allocation de rentrée scolaire, politique fiscale, accès aux cantines scolaires...) s'inscrivent dans cette approche d'ensemble du problème de l'exclusion.

Notre programme de prévention et de lutte contre les exclusions comprend un ensemble de mesures qui vont, pour certaines, entrer en vigueur dans les semaines qui viennent et, pour d'autres, passer par d'autres textes.

Le programme gouvernemental est en effet très large et comprend :

1- La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions qui reprend l'approche qui vient d'être décrite : elle a pour objectif d'améliorer l'accès aux droits fondamentaux, tels que l'emploi, le logement, la santé, le savoir et la culture ; elle comprend un important volet préventif et elle vise enfin à rendre plus efficaces les acteurs de cette politique.

2- D'autres textes législatifs qui donneront une ampleur plus grande à cette action : la loi sur l'égal accès à la prévention et aux soins présentée à l'automne au Parlement ; la loi sur l'accès au droit.

3- Des programmes spécifiques à chaque ministère, avec des mesures réglementaires d'application et des actions pour lesquelles des moyens administratifs, humains et financiers seront mobilisés.

Ce projet de loi marque un tournant significatif dans la mise en œuvre des politiques publiques contre l'exclusion. D'abord parce qu'il s'agit de la première loi d'orientation en matière de lutte contre les exclusions et parce qu'il s'inscrit dans la durée. Il fixe en effet un cadre d'intervention sur trois ans (1998-2000), suffisamment long pour répondre à l'objectif de prévention mais aussi pour permettre une évaluation de ces orientations. Ensuite, parce qu'il induit un engagement financier de l’État sans précédent. Enfin, parce qu'il rappelle la responsabilité de l’État, garant de la cohésion nationale et de la mise en cohérence de tous les acteurs publics et privés. »

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