D. Droit à des moyens convenables d’existence

Rédaction de la Revue Quart Monde

Citer cet article

Référence électronique

Rédaction de la Revue Quart Monde, « D. Droit à des moyens convenables d’existence », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1998), mis en ligne le 20 septembre 2010, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4758

Présentation : Les dispositions de la loi d’orientation contre les exclusions visent à éviter que l’endettement des personnes, d’une part ne leur laisse pratiquement aucune ressource pour vivre, d’autre part ne les poursuive toute leur vie alors que manifestement il ne leur sera jamais possible de tout rembourser. Elles tendent à limiter les discriminations dont pourraient faire preuve certaines banques à l’égard des clients pauvres en instituant le principe du droit à un compte bancaire. Elles visent enfin à assurer le maintien du pouvoir d’achat des bénéficiaires de minima sociaux par une indexation de ces derniers sur les prix.

Si ces dispositions sont positives, elles ne permettent cependant pas de rendre effectif le droit à des moyens convenables d’existence inscrit dans la Constitution, ce qui demanderait une augmentation conséquente des minima sociaux. La crainte parfois exprimée qu’une telle augmentation n’incite pas à la reprise du travail est moins fondée qu’auparavant du fait des possibilités de cumul des minima sociaux et des revenus du travail prévues à l’article 9. En outre, le fait d’avoir des revenus trop faibles est un frein à la reprise d’un travail, dans la mesure où la nécessité d’assurer la survie quotidienne ne favorise pas l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet d’insertion professionnelle à plus long terme.1

Protection contre le surendettement

  • 1. Il est illégal de proposer contre argent ses services à une personne surendettée (article 85)

Est nulle de plein droit toute convention passée entre une personne endettée et un intermédiaire qui propose à celle-ci, moyennant rémunération, de l’aider dans la procédure de surendettement. L’intermédiaire n’est donc en droit de réclamer aucun argent à la personne endettée.

  • 2. Les plans de redressement et les saisies sur salaire doivent laisser aux ménages des revenus suffisants pour faire face aux dépenses courantes (articles 87, 88 et 103)

Pour le calcul de ce « reste à vivre » que le plan de redressement élaboré par la commission de surendettement doit obligatoirement laisser aux familles endettées, les règles qui existent déjà pour les saisies sur salaire sont appliquées. Par exemple :

* on ne peut saisir à une personne qui gagne 4000 francs par mois plus de 420 francs (335 francs s’il y a 1 personne à charge, 270 francs s’il y en a 2) ;

* on ne peut saisir à une personne qui gagne 3000 francs par mois plus de 225 francs (195 francs s’il y a 1 personne à charge, 170 francs s’il y en a 2).

En outre, ce revenu qui est laissé aux familles -- que ce soit après établissement d’un plan de redressement par la commission de surendettement ou après saisie sur salaire - ne peut en aucun cas être inférieur au RMI pour une personne seule (2 429 francs)2

Enfin, cette règle du maintien d’un « reste à vivre » s’applique aussi, le cas échéant, aux personnes physiques qui se sont portées caution de la personne ou famille surendettée et qui à ce titre sont sollicitées pour rembourser ses dettes.

  • 3. Renforcement des droits des débiteurs face à la commission de surendettement et aux créanciers (articles 89 et 90)

Une fois que la personne ou famille endettée a déclaré ses dettes devant la commission de surendettement, les créanciers disposent de 30 jours pour manifester leur éventuel désaccord et c’est alors eux qui doivent apporter la preuve de leur créance (auparavant, c’était parfois au débiteur qu'il incombait, en cas de contestation de la part des créanciers, d'établir la réalité de sa situation d'endettement, ce qui ne faisait qu’ajouter à ses difficultés) La commission dresse ensuite un état des créances. À partir de cet état, le débiteur dispose encore de 20 jours pour contester le montant des sommes réclamées par les créanciers et pour demander, si besoin est, à la commission de saisir le juge de l’exécution afin qu’il fasse les vérifications nécessaires. Cette demande ne peut lui être refusée.

En outre, le débiteur peut à tout moment être entendu à sa demande par la commission de surendettement alors qu’auparavant il n’était auditionné que quand la commission le jugeait nécessaire.

Les personnes et familles concernées sont donc davantage considérées comme interlocuteurs, ce qui devrait favoriser la recherche d’une solution adaptée à leur situation.

  • 4. Suspension possible de l’exécution des saisies provoquées par le surendettement (article 91)

Si le surendettement a entraîné la mise en route par les créanciers d’une procédure de saisie, le débiteur ou certains des membres de la commission de surendettement peuvent demander en urgence la suspension de la procédure auprès du juge qui en est responsable. Cette suspension est acquise de droit jusqu’à ce qu’un plan de redressement ait été fixé. Elle ne peut cependant dépasser un an.

  • 5. La durée du plan de redressement peut aller jusqu’à 8 ans et les taux d’intérêt appliqués ne peuvent être supérieurs au taux légal (article 92)

Le plan de redressement (qui est élaboré soit suite à une conciliation entre débiteur et créanciers, soit à défaut sur recommandation de la commission de surendettement et validation par le juge de l’exécution) pouvait auparavant avoir une durée maximale de 5 ans. Cette durée peut maintenant être allongée mais elle ne peut dépasser 8 ans ou la moitié de la durée de remboursement restant à courir pour les emprunts en cours (dans le cas où la dette ne provient pas d’emprunts non remboursés, c’est donc la seule limite de 8 ans qui joue)

En outre, le taux des intérêts versés aux créanciers en raison du rééchelonnement ou du paiement différé de la dette ne peut être supérieur au taux légal (qui paraît chaque année au journal officiel et que l’on peut demander auprès de la commission de surendettement).

  • 6. Le paiement des dettes peut être suspendu pendant 3 ans et, si la personne endettée demeure insolvable au bout de cette durée, l’effacement total ou partiel des dettes peut être prononcé (articles 93, 94, 95, 96 et 97).

Si le débiteur ne dispose d’aucune ressource (au-delà du « reste à vivre » qui doit obligatoirement lui être laissé) pour apurer au moins une partie de sa dette, la commission de surendettement peut recommander que le paiement de la dette soit suspendu pour une durée de 3 ans maximum. A l’issue de cette durée, si la personne ou famille concernée demeure insolvable, la commission peut recommander l’effacement total ou partiel des dettes. A chaque fois, les recommandations de la commission prennent force exécutoire après vérification de leur régularité par le juge de l’exécution, sauf s’il y a contestation de la part des créanciers ou du débiteur, auquel cas c’est le juge qui décide finalement du plan de redressement.

La suspension ou l’effacement des dettes ne peut porter ni sur les dettes alimentaires (restaurant scolaire, forfait hospitalier...), ni sur les dettes fiscales qui peuvent faire l’objet de remises totales ou partielles de la part des services fiscaux selon une autre procédure.

Une inscription au fichier national des incidents de paiement tenu par la Banque de France est réalisée dès que le débiteur engage la procédure auprès de la commission de surendettement. Toutes les mesures prises par la commission y sont mentionnées au fil du temps (plan de redressement, moratoire, effacement des dettes...) Chaque mesure reste inscrite au fichier pendant toute la durée de son exécution. L’inscription peut en outre être prolongée après la fin de la mesure, mais sans que la durée totale d’inscription excède 8 ans. Dans le cas où la mesure est un effacement des dettes, la durée d’inscription au fichier est fixée exactement à 8 ans.

Seuls les établissements de crédit et les services financiers de la Poste peuvent consulter ce fichier et il leur est interdit de divulguer à quiconque les informations qu’ils y trouvent.

  • 7. Les personnes surendettées ont droit à une réduction des frais d’huissiers (article 98)

Les personnes surendettées (c’est-à-dire reconnues par la commission de surendettement comme étant dans l’impossibilité de faire face à l’ensemble de leurs dettes) bénéficient d’une réduction de la tarification des rémunérations dues aux huissiers de justice. C’est à elles d’informer l’huissier de leur situation afin qu’il en tienne compte dans le calcul des frais qui lui sont dus.

Autres dispositions pour le droit à des moyens convenables d’existence

L’ASS et l’AI (qui est accordée à certaines catégories de personnes comme les sortants de prison, les rapatriés, les titulaires du statut de réfugié... sous conditions de ressources et pour une durée maximale de 1 an) sont insaisissables. Même si les bénéficiaires de l’ASS ou de l’AI voient le compte en banque sur lequel est versée leur allocation bloqué (par exemple en raison d'un découvert important), ils doivent pouvoir quand même retirer chaque mois le montant de son allocation.

Par ailleurs, l’ASS et l’AI sont dorénavant indexées sur les prix.

  • 9. Limitation de la saisie des prestations familiales à 20 % de leur montant (article 129)

Les prestations familiales sont en principe insaisissables. Cependant certaines prestations (l’allocation pour jeune enfant, les allocations familiales, le complément familial et l’allocation de rentrée scolaire) peuvent être saisies pour le paiement de dettes alimentaires (restauration scolaire, forfait hospitalier...) ou pour l’exécution de la contribution aux charges du mariage et aux frais d’entretien des enfants (par exemple lorsqu'une personne divorcée cesse de verser la pension alimentaire à son ex-conjoint.)

Auparavant, dans ces situations, la totalité des prestations familiales concernées pouvait être retenue ; désormais, la saisie est limitée à 20 % du montant mensuel des prestations.

  • 10. Insaisissabilité des prestations versées par l’assurance-maladie (article 130 - I)

Les prestations d’assurance-maladie recouvrent les remboursements des frais de médecin, d’hôpital, de pharmacie... mais aussi, par exemple, les indemnités journalières versées aux personnes qui sont en congé maladie. Elles sont désormais insaisissables sauf si elles ont été versées de manière indue en raison d’une manœuvre frauduleuse ou d’une fausse déclaration de l’assuré. Ceci signifie en particulier qu’en cas de trop perçu dû à une erreur de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, cette dernière n’a pas le droit de se rembourser en effectuant des prélèvements sur les prestations à venir de l’assuré.

Comme pour l’ASS et de l’A. I, le blocage du compte en banque ne doit en aucun cas empêcher l’assuré d’en retirer ses prestations d’assurance-maladie.

  • 11. Accès favorisé à l’eau, l’électricité, le gaz et les services téléphoniques (article 136)

Cet article élargit aux services téléphoniques le principe du droit à une aide pour accéder ou préserver l’accès à une fourniture d’eau, de gaz ou d’électricité qui avait été établi par la loi sur le RMI. En outre, en ce qui concerne l’eau et l’énergie, il ne peut désormais y avoir coupure en cas de non-paiement des factures, tant que le dispositif d’aide qui doit exister dans chaque département n’est pas intervenu (il s’agit des « conventions pauvreté-précarité » passées notamment entre l’État, EDF, GDF, les distributeurs d’eau, les collectivités territoriales et éventuellement les Centres Communaux d’Action Sociale et les associations de solidarité)

  • 12. Droit à un compte bancaire (article 137-7 premiers alinéas)

Toute personne - même si elle est sous le coup d’un interdit bancaire3 - a le droit d’ouvrir un compte lui permettant de déposer et de retirer de l’argent auprès de la banque de son choix, de la Poste ou du Trésor Public4. En cas de refus de la part de la banque choisie, la personne peut saisir la Banque de France qui lui désigne alors, pour l’ouverture de son compte une banque, la Poste ou le Trésor Public. La Banque de France a en effet le pouvoir d’imposer à une banque d’ouvrir un compte, même s’il s’agit d’une banque privée (ce n’est pas nouveau : elle avait déjà ce pouvoir auparavant) Ce qu’ajoute la loi d’orientation contre les exclusions, c’est que les services auxquels donne droit cette ouverture de compte ainsi que les tarifs de ces services seront fixés par décret : auparavant, lorsqu’il arrivait à la Banque de France d’imposer un client à une banque, cette dernière pouvait soumettre le client concerné à un « tarif de droit au compte » qui rendait notamment l’accès au crédit plus cher que pour les autres clients.

Une fois le compte ouvert, si l’établissement de crédit désigné par la Banque de France décide de le refermer, il doit en informer le titulaire du compte ainsi que la Banque de France par une lettre qui explique les motifs de cette décision. En outre, la fermeture effective du compte ne peut intervenir moins de 45 jours après la décision par la banque de clôturer le compte.

Ceci limite les risques d’abus de la part de banques qui ne voudraient pas de ces clients imposés par la Banque de France et s’empresseraient de refermer leurs comptes sans motif valable.

  • 13. Dispositions pouvant permettre une réduction des frais bancaires pour les personnes qui ont émis des chèques sans provision (article 137 - dernier alinéa)

Le porteur d’un chèque sans provision peut se présenter autant de fois qu’il le veut à la banque pour se le faire payer, et à chaque fois, des frais supplémentaires sont facturés par la banque à l’émetteur du chèque. Un chèque sans provision peut ainsi finir par avoir un coût démesuré pour la personne qui l’a émis.

Auparavant, lorsque de l’argent était versé sur le compte de l’émetteur du chèque sans provision, rien n’empêchait la banque d’y prélever le montant des frais dus aux présentations successives du chèque, ce qui pouvait retarder le rassemblement de la somme nécessaire pour payer ce dernier et induire ainsi de nouveaux frais.

Désormais, tant que le chèque n’a pas été payé au porteur, tout argent versé par l’émetteur sur son compte est affecté en priorité à la constitution d’une provision pour payer le chèque. La banque n’a donc plus le droit d’y prélever ses frais tant qu’une somme suffisante pour payer le chèque n’a pas été réunie.

Par ailleurs, 30 jours après la première présentation du chèque, si celui-ci n’a pas été payé dans l’intervalle, le porteur peut demander à la banque un certificat de non-paiement.

Si cette dernière disposition peut mettre fin aux présentations du chèque par le porteur et donc faire cesser l’accumulation des frais bancaires, elle peut aussi se révéler dangereuse pour l’émetteur du chèque. En effet, dès que le porteur du chèque dispose du certificat de non-paiement, il peut faire délivrer par huissier un commandement de payer et, si l’émetteur du chèque ne paye pas dans les quinze jours qui suivent, ses biens peuvent être saisis.

1 Les dispositions de la loi d’orientation contre les exclusions dans le domaine des moyens d’existence sont présentées dans les paragraphes suivants
2 La rédaction de la loi ne précise en effet pas qu'il doit être tenu compte du barème du RMI en fonction du nombre de personnes à charge dans le
3 C’est-à-dire qu’elle est interdite de chéquier et de carte bancaire.
4 Cette ouverture d’un compte auprès du Trésor public est peu opérationnelle mais est prévue en dernier recours, pour assurer qu’une personne peut
1 Les dispositions de la loi d’orientation contre les exclusions dans le domaine des moyens d’existence sont présentées dans les paragraphes suivants pour celles qui sont de l'ordre des droits à exercer.
2 La rédaction de la loi ne précise en effet pas qu'il doit être tenu compte du barème du RMI en fonction du nombre de personnes à charge dans le calcul de ce revenu minimum laissé aux familles. Il semble donc que, même pour une famille nombreuse, seul le montant du RMI individuel soit obligatoirement préservé.
3 C’est-à-dire qu’elle est interdite de chéquier et de carte bancaire.
4 Cette ouverture d’un compte auprès du Trésor public est peu opérationnelle mais est prévue en dernier recours, pour assurer qu’une personne peut toujours ouvrir un compte, même si elle a eu par le passé des problèmes avec les banques et la poste qui rendent difficile une nouvelle démarche auprès de celles-ci.

Rédaction de la Revue Quart Monde

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND