Annexe 2

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Annexe 2 », Revue Quart Monde [Online], Dossiers & Documents (2002), Online since 18 October 2010, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4778

Mouvement ATD Quart Monde. Vers une europe de tous… janvier 2002

Précarité et grande pauvreté en Europe à l’horizon 2010 : une démarche prospective

- Les tendances lourdes en Europe à l’horizon 2010

On observe la permanence sur plusieurs décennies de certaines tendances dites « lourdes », mais pas immuables. Leur inertie est très variable selon les domaines : elle est grande dans le domaine démographique, plus faible dans d’autres. L’inventaire ci-dessous emprunte largement aux « Scénarios Europe 2010 » de la Cellule de Prospective de la Commission européenne (éditions Apogée, novembre 1999), et au rapport n° 38 de l’Institut de prospective technologique de Séville « Europe 2010 : futurs et scénarios », disponible sur Internet (http://www.jrc.es).

- Démographie (Europe)

Stagnation et vieillissement : la population de l’actuelle Union européenne se stabilisera vers 385 millions d’habitants en 2010, soit la moitié de la population du continent européen et 5,6% seulement de la population mondiale. Le vieillissement de la population entraînera des pressions accrues sur les systèmes de sécurité sociale et d’éducation : vers 2007, les travailleurs de 55-64 ans seront plus nombreux que les 20-29ans. Les entreprises ne pourront plus renouveler les compétences en remplaçant des travailleurs âgés par des plus jeunes. Il faudra réorienter les systèmes d’éducation et de formation vers la formation continue.

Élargissement : les pays candidats1 à l’entrée dans l’Union européenne totalisent environ 106 millions d’habitants. Presque tous voient leur population diminuer depuis quelques années.

- Démographie (Monde)

Accroissement de la population mondiale : actuellement proche de 6 milliards, elle devrait approcher 6,9 milliards de personnes en 2010. Sur dix naissances dans le monde d’ici 2010, neuf se produiront dans les pays en voie de développement. D’où une forte pression migratoire sur les pays riches, et déclin du poids démographique de l’Europe dans le monde. Aujourd’hui, les pays d’Europe pratiquent souvent une immigration sélective réservée aux plus qualifiés, et rejetant les autres.

- Mondialisation

Elle est caractérisée par l’accroissement des échanges internationaux (développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) du commerce mondial, des investissements étrangers, augmentation des mouvements de capitaux à la recherche d’une rentabilité financière) et l’absence d’une instance de régulation mondiale. La « triade » USA, Europe, Japon et pays d’Asie émergents réalise l’essentiel des investissements et des échanges.

Dans les pays industrialisés, on observe une élévation généralisée du niveau de vie, une augmentation sensible du niveau d’éducation, une protection sociale de plus en plus développée, mais la persistance de l’illettrisme et de la grande pauvreté à un niveau variable selon les pays, mais souvent élevé. En Europe de l’Est, on observe un accroissement massif de la pauvreté lié à la transition économique. Certains pays en développement, notamment en Asie, tirent parti du nouveau contexte et s’enrichissent. D’autres s’appauvrissent, notamment l’Afrique subsaharienne. Dans sa forme actuelle, la mondialisation a pour corollaire un accroissement du fossé entre pays riches et pays pauvres, et un accroissement des inégalités à l’intérieur même des pays. La concurrence fiscale que se livrent les pays a conduit à une diminution de l’imposition du capital et un accroissement de l’imposition du travail dans l’Union européenne.

- Technologie et productivité

L’accélération du progrès technologique depuis deux cents ans entraîne des difficultés d’adaptation à la rapidité du changement. L’explosion des NTIC et la révolution technologique dans la médecine et les biotechnologies modifient les comportements. Une médecine plus personnalisée devrait se développer, incluant une médication plus ciblée associée à des tests génétiques. Sur le marché du travail, les employeurs demandent une main d’œuvre de plus en plus qualifiée, ce qui a conduit à l’appauvrissement de la main d’œuvre la moins qualifiée des pays industrialisés.

- Environnement

La croissance économique actuelle repose sur une exploitation des ressources naturelles à un rythme insoutenable, qui se manifeste par le réchauffement de la planète, la pollution, la diminution des forêts tropicales et des terres cultivables en Tiers Monde, le déclin de la biodiversité, la raréfaction des ressources en eau … On observe l’émergence récente d’une approche internationale concertée pour lutter contre la dégradation de l’environnement et le réchauffement de la planète (protocole de Kyoto). Le problème du partage des coûts entre pays industrialisés et pays en voie de développement est épineux.

- Valeurs vécues

On observe sur plusieurs décennies un renforcement de « l’individualisme universaliste » caractérisé par le refus de subordonner l’individu au groupe, le déclin des autorités traditionnelles (politiques, administratives, religieuses) la perte de prestige de la science, de la technologie, de la rationalité, l’importance plus grande accordée à la liberté de choix de l’individu et à l’égalité des droits entre tous (développement d’un courant des Droits de l’homme). Dans le domaine religieux, on constate le déclin des pratiques traditionnelles et la recherche de spiritualités « à la carte ». La famille demeure le point d’ancrage le plus important dans la vie, mais sa structure et ses pratiques ont beaucoup changé (plus grande autonomie de la femme, plus de familles monoparentales, etc.). Le travail est de plus en plus perçu comme un moyen d’accomplissement personnel.

- Sécurité et nouvelles menaces

Le contexte géopolitique a été fortement modifié par l’augmentation importante du nombre d’États reconnus (44 en 1850, 191 en 1995), la fin de la guerre froide, les changements dans la nature des conflits et des menaces (de l’inter-étatique à l’intra-étatique à composante ethnique), le renforcement des nationalismes exclusifs, l’apparition du « terrorisme de masse » organisé par des groupes privés. Le crime organisé s’internationalise  et utilise les nouvelles technologies pour le trafic d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes, le blanchiment de l’argent etc. On observe l’émergence récente d’une approche internationale concertée pour lutter contre le crime organisé.

- Élargissement de l’Europe

Les populations d’Europe centrale et orientale ont beaucoup souffert de la transition de l’économie dirigée à l’économie de marché. L’effondrement des systèmes de protection sociale a provoqué « un accroissement sans précédent de la pauvreté dans la région… Il y a un noyau dur de population très pauvre qui a toutes les chances d’être laissé pour compte, même d’une forte croissance économique2 ». Les valeurs spécifiques vécues dans ces pays doivent être prises en compte par l’Union européenne, qui devra leur exporter sa stabilité ou importer leur instabilité.

- Démocratie et gouvernance

La démocratie représentative est en crise, et de nouveaux acteurs (ONG) émergent, recherchant des formes de démocratie plus participatives. L’élargissement de l’Union européenne pose la question de la réforme de ses institutions : le sommet européen de Laeken a confié à une Convention le rôle de faire des propositions. La nécessité de rechercher de nouvelles formes de gouvernance mondiale est de plus en plus reconnue.

Quelques questions clefs pour la lutte contre la grande pauvreté et la précarité

Le développement consiste à accroître la liberté et les capacités de chacun (Amartya Sen, prix Nobel d’économie). Comment créer les conditions d’un développement durable pour tous, respectueux des droits de l’homme ? Comment faire de l’éradication de la misère un objectif prioritaire de l’Union européenne, dans les textes et dans les actes ? Quels instruments juridiques, quelles alliances sont nécessaires ?

Le sommet de Lisbonne a fixé à l’Union européenne l’objectif de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » Comment vont s’organiser la production, la reconnaissance et l’utilisation des compétences de chacun ? Les savoirs de vie seront-ils reconnus ?

- Renforcement et soutien des solidarités familiales

« Quand on nous retire des enfants, c’est comme si nous perdions la vie» « Il est temps qu’on commence à nous écouter » disent des mères de famille françaises et anglaises dont les enfants ont été placés3, et l’estime de soi brisée. Au cours du 20ème siècle, des politiques de dislocation des familles très pauvres ont été menées dans tous les pays d’Europe : stérilisations forcées dans les pays nordiques, « génocide culturel » des familles tsiganes en Suisse, déportation pendant plus de trois siècles d’enfants britanniques dans les colonies de l’empire4, etc. Comment changer le regard porté sur les familles très défavorisées, et les politiques familiales, pour renforcer leur capacité de résistance à la misère ?

- L’éducation et la culture pour tous

« Savoir lire et écrire, c’est se libérer de la honte5»

«J’ai rencontré trois types d’enseignants : ceux qui ont décidé qu’avec des gens comme nous, il n’y a rien à faire ; ceux qui ont cru qu’on pouvait faire quelque chose avec nos enfants, mais pas avec nous, les parents ; ceux qui ont voulu se battre avec nous pour l’avenir de nos enfants. Ces derniers sont les seuls qui ont donné le goût d’apprendre à mes filles » observe une maman de milieu très défavorisé6. Comment faire pour que l’école et les différents organismes d’éducation populaire deviennent davantage des « organisations apprenantes » avec les plus défavorisés ? Comment rendre les NTIC accessibles aux plus pauvres, à l’Est et à l’Ouest de l’Europe, mais aussi au Sud ?

- Un emploi décent et une protection sociale convenable pour chacun

« On ne stoppera pas la misère si on continue à considérer les plus défavorisés comme des bouche-trous, si on ne leur donne que des petits boulots précaires et sous-payés. Nous demandons que tous ces sous-emplois deviennent de vrais emplois, qui donnent les mêmes droits qu’aux autres travailleurs. Pour y arriver, nous demandons le soutien des partenaires sociaux, qui ont le pouvoir de faire changer la réglementation7 »

Un « sous-droit » de l’insertion se développe depuis vingt ans dans les pays de l’Union européenne, tandis que la précarité des emplois augmente. L’adaptation du droit social est un enjeu fondamental pour concilier performances économiques et développement humain8. Comment articuler mobilité, formation professionnelle des moins qualifiés, protection des acquis et continuité des droits sociaux ?

- Concilier sécurité et liberté

Les pays d’Europe dont la protection sociale est la plus généreuse imposent souvent un contrôle social dur et tatillon aux populations défavorisées, comme s’il n’était pas envisageable de leur garantir à la fois sécurité et liberté. Les politiques sécuritaires se répandent en Europe9, ainsi que des formes atténuées de formation ou de travail forcé (Workfare, « activation » des allocations sociales) La libéralisation des pratiques d’euthanasie pourrait avoir des effets pervers sur les groupes les plus déconsidérés, en facilitant leur « élimination douce » « Pour souffrir de racisme, il n’y a pas besoin d’être étranger. Quand on est pauvre, on n’est pas considéré comme tout le monde, on est considéré comme rien du tout » Comment permettre aux populations les plus pauvres d’accéder aux droits fondamentaux sans attenter à leur liberté ?

Le rôle de l’Union européenne dans le monde : protectionnisme  ou solidarité ?

Immigration : les politiques migratoires très sélectives des pays membres de l’union européenne contribuent au « drainage des cerveaux » des pays du Sud, et relèguent dans la clandestinité et le non-droit un grand nombre de personnes, menacées de paupérisation, qui constituent une « main d’œuvre délocalisée sur place »

Coopération au développement : au cours de la dernière décennie, l’aide publique des pays industrialisés au développement a chuté de 29%. En 2000, les quinze pays de l’Union européenne y consacrent une moyenne de 0,32 % de leur Produit National Brut, au lieu des 0,7 % auxquels ils se sont engagés depuis plus de trente ans10. L’aide n’a pas réussi à rendre les populations concernées acteurs de leur propre développement. La dette du tiers monde continue de peser d’un poids insupportable sur les populations les plus démunies. Au cours des décennies passées, les Institutions financières internationales ont imposé aux pays les plus pauvres des « programmes d’ajustement structurel » rebaptisés « programmes d’appauvrissement structurel » par les ONG de ces pays.

Commerce et environnement : les pays riches ont imposé l’échange inégal en prélevant des taxes douanières importantes sur les importations en provenance des pays pauvres, et en inondant leurs marchés avec des produits, notamment agricoles, largement subventionnés au Nord, contribuant ainsi à détruire l’agriculture des pays du Sud. Le réchauffement climatique de la planète, particulièrement menaçant pour les pays les plus pauvres, est largement dû aux émissions polluantes des pays les plus riches.

Quel rôle pourrait jouer l’Union européenne pour que la croissance des pays riches ne se fasse pas au détriment des pays pauvres11 ?

Prendre les populations les plus défavorisées comme partenaires de démocratie

Premiers experts de la misère, car ils en ont l’expérience vécue, les plus défavorisés sont aussi experts en humanité. Comment créer les conditions nécessaires pour qu’ils soient associés comme partenaires dans l’élaboration de la connaissance12 et dans la définition des actions à entreprendre13 au niveau local, dans les écoles, les quartiers, etc., au niveau régional et national, pour élaborer et évaluer les politiques, au niveau européen et international, pour démocratiser les institutions et garantir que les intérêts de tous seront  pris en compte ?

1 Soit dix pays d’Europe centrale et orientale et deux pays méditerranéens (Chypre et Malte)
2« Making transition work for everyone. Poverty and inequality in Europe and Central Asia » World Bank, 2000.
3 « Enfants placés », Revue Quart Monde, n° 178, Editions Quart Monde, mai 2001, p. 6 et 16. Voir aussi, «In focus : adoption», Dignity, Fourth World
4 Sur ce sujet, voir «Exclusion, de l’aveuglement à la clairvoyance» de Xavier Godinot, revue Futuribles, p. 5-18, mai 1999.
5 « Tous, nous sommes acteurs des droits de l’homme », Actes de la 6ème session européenne des Universités populaires du Quart Monde au Comité
6 « Passions d’apprendre », Revue Quart Monde, n° 174, juin 2000, p. 27.
7 «Droit au travail et sécurité d’existence», Revue Quart Monde, n° 172, décembre 1999, p. 22-23.
8 Sur ce sujet, voir «Sortir de l’inactivité forcée», Dossiers et documents de la revue Quart Monde, Editions Quart Monde, septembre 1998, 81p.
9 Loïc Wacquant, « Les prisons de la misère » Editions Raisons d’Agir, 1999, 190 p.
10 «L’aide : toujours en parler, ne jamais y penser», Stephen Smith, Le Monde, 23-24 décembre 2001.
11 « Mondialisation et pauvreté », revue Quart Monde, n° 175, septembre 2000.
12 « Le croisement des savoirs. Quand le Quart Monde et l’Université pensent ensemble », groupe de recherche Quart Monde Université, Editions de l’
13 «Artisans de démocratie», Jona Rosenfeld et Bruno Tardieu, Ed. de l’Atelier et Ed. Quart Monde, 1998, 304 p.
1 Soit dix pays d’Europe centrale et orientale et deux pays méditerranéens (Chypre et Malte)
2« Making transition work for everyone. Poverty and inequality in Europe and Central Asia » World Bank, 2000.
3 « Enfants placés », Revue Quart Monde, n° 178, Editions Quart Monde, mai 2001, p. 6 et 16. Voir aussi, «In focus : adoption», Dignity, Fourth World Journal, Summer 2001.  
4 Sur ce sujet, voir «Exclusion, de l’aveuglement à la clairvoyance» de Xavier Godinot, revue Futuribles, p. 5-18, mai 1999.
5 « Tous, nous sommes acteurs des droits de l’homme », Actes de la 6ème session européenne des Universités populaires du Quart Monde au Comité économique et social européen, Bruxelles, Editions Quart Monde, 1999.
6 « Passions d’apprendre », Revue Quart Monde, n° 174, juin 2000, p. 27.
7 «Droit au travail et sécurité d’existence», Revue Quart Monde, n° 172, décembre 1999, p. 22-23.
8 Sur ce sujet, voir «Sortir de l’inactivité forcée», Dossiers et documents de la revue Quart Monde, Editions Quart Monde, septembre 1998, 81p.
9 Loïc Wacquant, « Les prisons de la misère » Editions Raisons d’Agir, 1999, 190 p.
10 «L’aide : toujours en parler, ne jamais y penser», Stephen Smith, Le Monde, 23-24 décembre 2001.
11 « Mondialisation et pauvreté », revue Quart Monde, n° 175, septembre 2000.
12 « Le croisement des savoirs. Quand le Quart Monde et l’Université pensent ensemble », groupe de recherche Quart Monde Université, Editions de l’Atelier et Editions Quart Monde, 1999, 550 pages.
13 «Artisans de démocratie», Jona Rosenfeld et Bruno Tardieu, Ed. de l’Atelier et Ed. Quart Monde, 1998, 304 p.

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