Introduction

Emmanuel Decaux

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Emmanuel Decaux, « Introduction », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 18 octobre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4785

Une même problématique ressort des interventions en plénière pour introduire notre première journée d’étude prospective. Nous parlons beaucoup de Communauté européenne en oubliant le sens du mot « communauté ». La Communauté est depuis longtemps une communauté économique mais c’est aussi une communauté de valeurs, avec des droits pour l’homme ou pour les hommes. C’est un des aspects de notre atelier : comment, à partir du constat de certaines situations intolérables, de certaines injustices ou de certains dysfonctionnements - pour employer un terme trop froid -, les instruments juridiques peuvent-ils être utiles pour faire progresser les choses ?

En tant que juriste, même sans se faire d’illusion sur la portée du droit – il n’y a pas seulement les règles qui comptent, il y a aussi les mentalités – je voudrais vous rappeler l’idée suivante, apparue chez certains écrivains français au 19ème siècle, comme Lamenais : « entre le faible et le fort, c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime ». Dans notre période du libéralisme tous azimuts, nous oublions ce rôle protecteur de la loi, surtout dans le domaine social. Encore faut-il que les lois soient adaptées et appliquées, au lieu d'être plaquées, de haut et de loin, sur la réalité pour mieux la camoufler. C'est sur le terrain que tout se joue, à l'échelle humaine.

Deux grands volets correspondent aux deux demi-journées que nous allons consacrer à notre atelier :

Le premier volet nous permet de signaler les carences, les lacunes, les dysfonctionnements des instruments juridiques et de recenser les efforts pour renforcer ces dispositifs. C'est d'abord le cas au niveau national, dans la mesure où certains pays ont des lois pour lutter contre l’exclusion. C'est aussi une problématique qui apparaît désormais au niveau européen avec tout ce qui s’est fait récemment, de manière un peu théorique, lors du débat sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et, de manière plus concrète, avec les mesures de lutte contre la pauvreté fixées par les Plans d’action dans les différents pays européens. La réflexion est également engagée dans le cadre des Nations Unies, même si à l’échelle universelle - Laurent Meillan en parlera, je pense - un grand malentendu existe sur la notion de « pauvreté ». Les pays du Tiers-monde, par exemple - malgré les excellents travaux menés au sein des Nations Unies par Léandro Despouy puis par Anne-Marie Lizin - ne comprennent pas toujours ce que veut dire pour nous l’extrême pauvreté ou la lutte contre la pauvreté. Parfois, ils pensent qu’il y a contradiction entre le développement collectif et la lutte contre la pauvreté ou que nous voulons leur retirer quelque chose, en opposant « Tiers monde » et « Quart monde ». Il semblerait pourtant que ces deux combats soient tout à fait complémentaires : le développement ne doit pas se faire en creusant les inégalités et en multipliant les injustices dans une « société à deux vitesses » mais dans le respect de la dignité de tous, à commencer par les plus pauvres.

Le deuxième volet de nos travaux prendra en compte l’importance du dialogue social. Il faut noter que le Comité économique et social européen, qui nous accueille dans ses locaux pour ces journées, est une structure intéressante de dialogue. Pour autant, en relisant ses brochures, vous pouvez constater que c’est tout de même une vision qui remonte au traité de la CECA avec les vieux corps de métiers, hérités de la société du XIX° siècle, etc. Pour trouver les notions de "citoyenneté" ou de « solidarité », il faut vraiment chercher dans les paragraphes concernant les sous-commissions. Quelqu’un a dit fort justement ce matin que : « les sans-abri, les sans-travail, les sans-papiers », tous les exclus, n’étaient pas représentés en tant que tels. Le Comité économique et social est probablement ouvert à ces nouvelles problématiques - comme en témoigne son accueil aujourd'hui - même si, structurellement, il correspond à cette vision très économique dans un cadre fixé une fois pour toute d'un dialogue social entre patronat et syndicat. Peut-être que des réformes de structure ou des propositions seraient à faire à ce sujet dans un dialogue social rénové, beaucoup plus large, avec la « société civile ».

Emmanuel Decaux

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