«La Charte des droits fondamentaux ; pauvreté et exclusion sociale au regard des politiques européennes»

Ieke Van den Burg

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Ieke Van den Burg, « «La Charte des droits fondamentaux ; pauvreté et exclusion sociale au regard des politiques européennes» », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 18 octobre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4789

J’étais l’un des membres de la Convention chargée de proposer le projet sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Je voudrais tout d'abord décrire le contexte, le statut et le contenu de cette Charte des droits fondamentaux.

La procédure a démarré avec Joschka Fischer (Ministre allemand des Affaires étrangères) au Sommet de Cologne en 1999. Ceci devrait mettre en évidence que l’Union européenne est basée sur des droits fondamentaux et des valeurs et aussi quels sont ces droits pour les citoyens de l'Union européenne. Je reviendrai sur cette question de la citoyenneté et des droits fondamentaux universels.

Le Sommet de Cologne n’a pas rédigé une conclusion claire quant au respect des statuts de cette Charte. D'une certaine façon, c'était un processus plutôt ouvert qui avait sa propre dynamique. À Cologne, le statut de cette Charte n'a pas été défini précisément ; nous ne savions pas s'il s'agirait d'un texte vraiment contraignant dans le traité ou d'une simple déclaration solennelle. Ceci était volontairement laissé ouvert au débat. Il n’était pas défini non plus s'il conviendrait d'en faire une sorte de déclaration universelle ou seulement une déclaration pour les citoyens européens - une charte des citoyens. Une autre question était de savoir comment cette Charte serait reliée aux autres droits fondamentaux. La déclaration de Cologne contient des références du Conseil de l'Europe, des Nations Unies et d’autres standards fondamentaux universels vis-à-vis desquels s’impliquent les États membres et aussi les constitutions des États membres eux-mêmes.

Au cours du processus de rédaction de la Charte, une question est devenue très importante et sujet à controverse, à savoir si ces droits fondamentaux n'allaient inclure que les droits fondamentaux classiques ou aussi les droits sociaux, économiques et culturels, ce qui est de plus en plus la position dominante, dans le cadre d'une discussion générale sur les droits fondamentaux dans le contexte des Nations Unies. De nombreuses personnes sont convaincues qu'il n'est plus possible de s’en tenir aux "droits à la liberté" classiques sans que ceux-ci ne soient aussi identifiés et liés aux droits sociaux et économiques, étant en relation et ne pouvant exister les uns sans les autres. Mais seuls quelques membres de la Convention sont conscients de cela. La majorité des participants présents à la Convention était seulement focalisée sur les droits fondamentaux classiques et principalement sur la Convention des droits de l'homme du Conseil de l'Europe qui était en fait le point principal de référence. La Charte finale est néanmoins beaucoup plus claire dans ses références que, par exemple, la Charte sociale européenne du Conseil de l'Europe et la Convention des Nations Unies des droits de l'enfant. Mais nous avons tenté, lors de la discussion sur cette convention, d'inclure également d'autres instruments internationaux, d'y faire référence et de même de veiller à ce que le contenu de la Charte de l'UE n'aille pas en deçà des normes déjà instituées sur son territoire.

Le caractère spécifique de la Charte n’était pas destiné en fait à fournir un nouvel instrument et de nouveaux droits aux citoyens ou aux habitants des pays européens, mais plutôt des droits fondamentaux auxquels chaque nation est liée, qui joueraient aussi un rôle dans la politique européenne et au niveau de la jurisprudence européenne. Tel était l'objectif de la Charte. Mais, il va de soi que dans le processus de rédaction de la Charte, des positions ont dû être prises quant à la manière de formuler ces droits fondamentaux dans lesquels aussi, de temps en temps, des innovations ont été apportées sur différents questions – de nouvelles formulations qui vont au-delà des droits internationaux existants. C'est pourquoi, de ce point de vue, nous pouvons dire qu’elle apporte aussi certaines innovations.

D'autre part, nous pouvons également dire que certaines questions sont restées en arrière. Je regrette que cette Charte ne contienne pas de manière exhaustive certains droits socio-économiques particuliers de la Charte sociale du Conseil de l’Europe ou de l’Organisation internationale du travail, par exemple la question de la  pauvreté et de l'exclusion sociale, clairement traitée par les instruments du Conseil de l'Europe. Dans cette Charte, il était très difficile de reprendre cette question et ce fut un effort de dernière minute qui a permis d’avoir au moins dans un article une référence à la sécurité sociale et à l'aide sociale. Il est finalement écrit que pour condamner l'exclusion sociale et la pauvreté, vous reconnaissez ces droits au niveau de l'aide sociale et du logement. Concernant le logement, nous avons eu une discussion similaire sur un sujet qui n’apparaissait pas auparavant dans le texte et qui a été inséré en dernière minute. Il existe donc quelques références, mais nous aurions bien sûr préféré voir un article précis sur la pauvreté et l'exclusion sociale, ce qui n’était pas possible.

Ceci m’amène à la question du caractère de cette Charte. S'agit-il d'un véritable instrument juridique ou fait-elle partie d'un processus politique ? Ces exemples indiquent qu'au départ, il s'agissait bel et bien d'un processus politique. Qu’elle acquiert un statut juridique plus fort serait un élément à examiner dans le futur. L’objectif de lui donner un statut contraignant dans le Traité a été reporté lors du Sommet de Nice à la nouvelle Convention. À Nice, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé de proclamer officiellement la Charte, sans beaucoup de débats, en décembre 2000 – pour autant, une déclaration n'a pas été réellement donnée sur les statuts de la Charte. Ceci fera partie de la discussion sur l’avenir de l’Union européenne par la nouvelle Convention qui débutera fin février 2002. Cette Convention fera des propositions - non pas des décisions, des propositions – car alors, en 2004, il y aura une conférence intergouvernementale des Chefs d’États et de gouvernement qui prendra des décisions.

Toutefois, l'importance politique de la Charte, qu'elle soit contraignante ou non, est à présent clairement établie et confirmée. L'UE doit se conformer dans ses politiques aux droits fondamentaux. Ces derniers avaient une moindre portée avant que ne soit rédigée la Charte. L’article 6.2 du Traité de l’Union européenne, qui se réfère aux droits fondamentaux internationaux, et les constitutions des États membres indiquent en général que l'Union européenne doit respecter ces droits fondamentaux. Il n’est pas spécifié exactement quels droits doivent être respectés. Alors que dans le Traité, bien sûr, de nombreuses compétences sont soulignées pour l’Union européenne et ses institutions. Donc, il est important que les différentes politiques, pour lesquelles l’Union européenne détient des compétences sur les bases du Traité, soient liées à ce respect des droits fondamentaux. Les principaux effets de la nouvelle Charte de l'UE sont qu'à présent dans toutes ses politiques, internes et externes, l'Union doit se conformer aux droits écrits à présent dans la Charte.

En ce qui concerne les droits de l'enfant, la Charte de l’Union européenne possède deux articles. Dans la première partie de la Charte débutant sur la dignité définie comme valeur majeure, les Droits de l’Enfant sont inclus, avec une référence à la Convention des Nations Unies. Puis, ensuite, dans le chapitre sur la solidarité, le refus du travail des enfants et la protection des jeunes travailleurs sont insérés comme deuxième élément.

Dans les objectifs de l’Union européenne écrits dans le Traité, nous trouvons aussi l’exclusion sociale. Sur cette base, par exemple, un programme a récemment été décidé, avec des fonds de l'Union européenne, pour la lutte contre l’exclusion sociale. Il fournit un cadre d'échange d'informations d’organisations telles que le Mouvement ATD Quart Monde ou d’autres d'ONG pour travailler en réseau dans ce domaine. Il procure aussi une base pour développer des indicateurs et des statistiques en matière d'exclusion sociale qui pourraient aider à augmenter la prise de conscience et à la transmettre auprès des décideurs politiques. Le Conseil des Ministres des Affaires sociales a décidé de démarrer un processus de rapports et de coordination sur ces objectifs.

Au comité des affaires sociales du Parlement européen, nous avons voté un rapport pour le prochain sommet socio-économique de Barcelone en mars prochain, dans lequel nous avons demandé des objectifs précis en matière de pauvreté pour 2010. Nous avons aussi demandé une définition européenne car il s’agit d'un des problèmes en cours dans la discussion sur la pauvreté et l'exclusion sociale ; les définitions et les significations sont très différentes dans les États membres. Cette problématique s’est introduite dans une procédure qui s'est développée au cours des ans, non pas particulièrement du point de vue législatif, mais plutôt sous la forme d'une coopération entre les États membres, d’un échange d'informations premièrement en matière d'emploi, mais qui s'est aussi ensuite davantage axé, depuis le sommet de Lisbonne en mars 2000, dans le domaine de la pauvreté et de l'exclusion sociale.

Lorsque l'UE n'a pas de compétences définies, les États membres pourraient décider de coopérer étroitement. Des objectifs et des cibles communs dans la sphère de la politique sociale sont fixés. C'est un élément important de la coopération en Europe que de rééquilibrer la coopération économique, qui s'est développée au cours des années, et de renforcer la dimension sociale de l’intégration européenne.

C’est un point parfaitement en ligne avec les effets de la formulation des droits sociaux et économiques dans la Charte des droits fondamentaux. Car, en fin de compte, il fournit aussi une base pour une approche plus concrète et plus coopérative sur les questions sociales dans l'Union européenne. Donc, bien que sans base juridique définie pour le moment, avec de nouvelles compétences comme vous avez pu le lire dans le dernier article de la Charte, et sans pour autant donner de nouveaux pouvoirs à l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux pourrait établir un meilleur équilibre dans les objectifs et les champs politiques de l’Union européenne.

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