«La représentation des familles en grande pauvreté auprès des institutions politiques»

Sylvie Daudet

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Sylvie Daudet, « «La représentation des familles en grande pauvreté auprès des institutions politiques» », Revue Quart Monde [Online], Dossiers & Documents (2002), Online since 18 October 2010, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4794

Volontaire permanente du Mouvement ATD Quart-Monde, je viens de passer sept ans en Grande-Bretagne. J’aimerais vous parler de ce que vivent aujourd’hui des familles en grande pauvreté ayant des enfants placés et adoptés. Vous allez vous rendre compte qu’il n’est pas facile de faire entendre leur voix au niveau politique. Leur expérience est cependant irremplaçable si nous voulons que la société progresse vers un plus grand respect des droits de l’homme, de l’égale dignité de tout homme et si nous voulons qu’elle s’engage durablement à combattre l’exclusion et la grande pauvreté. C’est un engagement qui demande beaucoup d’écoute, de temps et de persévérance.

Pour resituer cela dans un contexte historique, je voudrais d’abord vous parler brièvement de la déportation des enfants migrants qui semblaient appartenir dans leur grande majorité à des familles pauvres en grande difficulté.

« Le bien-être des enfants migrants »

Le 3ème rapport de la Commission Santé de la Chambre des Communes1, intitulé « Le bien-être des enfants migrants », a été présenté lors de la session 1997/1998 du Parlement britannique. Il révèle que les programmes de  migration d’enfants ont fait partie de la politique sociale britannique pendant de longues années.

La législation permettait en effet que des enfants à la charge d’organisations bénévoles soient envoyés dans les pays du Commonwealth. Selon les estimations, environ 150 000 enfants ont été ainsi contraints à « migrer » sur une période de trois siècles et demi. Dès 1618, par exemple, « des enfants migrants » ont quitté l’Angleterre pour aller dans sa colonie de Virginie. Ce système a duré jusqu’à la fin des années 1960. Entre 1868 et 1925, 80 000 filles et garçons britanniques ont été envoyés non accompagnés au Canada pour travailler en tant que domestiques et manœuvres agricoles. Ils avaient entre trois et quatorze ans et la majorité entre sept et dix ans. Le nombre exact des enfants partis en Australie et en Nouvelle-Zélande n’est pas connu. Mais pendant la dernière période de 1947 à 1967, on estime que sept à dix mille enfants ont été envoyés en Australie.

Placés dans de grandes institutions, pour la plupart isolées, ces enfants étaient  soumis à des régimes sévères, souvent intentionnellement brutaux. Les raisons de cette migration et les motivations étaient doubles. Il y avait un authentique désir philanthropique de sauver ces enfants de la misère et de la négligence dont ils souffraient en Angleterre et de leur donner une vie meilleure dans les colonies. En 1870, Thomas Barnardo écrivait : « Il faut sauver ces jeunes hommes et ces jeunes femmes d’un entourage où ils vivent entassés dans des maisons délabrées, abominables, sans la moindre décence». Mais la migration des enfants était aussi bénéfique pour les finances publiques de l’Angleterre qui évitait ainsi de devoir les prendre en charge. De même, pour les pays d’accueil, ces enfants étaient une main-d’œuvre bon marché.

« C’était barbare et terrible. Dans notre organisation quand nous jetons un regard sur cette période, c’est avec un sentiment de choc et d’horreur » fut le commentaire du directeur exécutif de Barnardo lors de son témoignage le 11 Juin 1998 sur ces programmes de migration d’enfants.

Dans un livre paru en 1989 sur le sujet2, les auteurs avouent que l’histoire de l’émigration des enfants en Australie est, pour de multiples raisons, une histoire de cruauté, de mensonge et de tromperie. Les agences qui ont organisé ces migrations étaient cependant convaincues d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Canon Fisher, du « Conseil du bien être de l’enfant catholique », dit pour sa part : « Je crois que la raison de fond des décisions professionnelles qui ont été prises à ce moment-là est toujours la même que celle que nous utilisons aujourd’hui à savoir si cette décision prend en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, et, personnellement, je m’en tiendrai là ».

Je trouve ce commentaire très intéressant car on est en droit de se demander si les décisions actuelles de placer et d’adopter des enfants de milieux pauvres sans le consentement de leurs parents ne relèvent pas non plus d’une mauvaise interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Et si ces décisions ne seront pas, elles aussi, jugées cruelles dans quelques années.

Des assurances officielles furent pourtant données à cet effet lorsque la législation permettant l’émigration enfantine fut débattue au Parlement. Le chancelier affirma à la Chambre des Lords : « Le ministère de l’intérieur a l’intention de s’assurer que les enfants n’émigreront pas sans qu’on ait obtenu satisfaction que les arrangements nécessaires ont été pris pour que chaque enfant soit élevé et traité correctement ». Le rapport stipule que ces mots ne pouvaient être plus éloignés de la réalité. Certains des enfants concernés considèrent aujourd’hui qu’ils ont été volés, après qu’on leur ait fait miroiter une vie en Australie très différente de celle qui fut la leur. « The Child Migrants’ Trust » constate pour sa part que les enfants migrants ont été envoyés en Australie sans passeport, sans connaître l’histoire de leur famille et sans même le moindre document de base de leur identité.

Un enfant migrant d’Irlande du Nord témoigne : « On n’a jamais dit à ma mère ce qui se passait ».

Un homme rencontré à Melbourne a écrit : « Certains de savoir ce qui était mieux pour nous et pour nos parents, 87% de tous les enfants venant d’agences catholiques sont arrivés en Australie sans le consentement de leurs parents. 96 % avait un ou deux de leurs parents vivant. Canon Flint, l’intendant en charge proclamait que les enfants étaient des orphelins. Cela est manifestement faux ».

Le rapport spécifie qu’afin de permettre aux enfants migrants de prendre un nouveau départ, il était considéré comme avantageux de couper tous les liens familiaux et de ne donner du certificat de naissance qu’une copie abrégée, omettant les détails sur l’identité des parents.

L’usage délibéré de fausse information, l’omission d’information et la politique de séparation des enfants indiquent un abus de pouvoir et un manque de considération pour les sentiments des mères et des enfants. C’est ainsi que l’ont ressenti beaucoup d’anciens enfants migrants qui constatent que leur ressentiment et leur peine grandissent avec les années. En voyant grandir leurs propres enfants, les parents ressentent l’énormité de ce qu’ils ont subi : ils se sentent diminués car ils ne connaissent pas leur réelle identité et sont incapables de raconter l’histoire de leur vie, même à leurs propres enfants.

Comment éviter que de telles choses ne se reproduisent ? Comment de telles déportations ont-elles été possibles ? Etait-ce la prépondérance de l’image négative des parents ? La menace faite à l’intégrité des familles pauvres n’est-elle pas liée au regard porté sur elles ?

N’y a -t-il pas en Angleterre, en ce moment même, une volonté de résoudre les problèmes liés à la grande pauvreté par l’adoption, en donnant une chance aux enfants de se sortir de leur milieu tout en sacrifiant leurs parents ? N’est ce pas en contradiction avec l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui affirme que : « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État »3 ? L’État met-il effectivement tout en œuvre pour garantir aux enfants le droit d’être élevés par leurs parents, fussent-ils très démunis ?

Le livre blanc sur l’adoption

Confronté aux rapports traitant de cas d’abus sur les enfants dans des maisons de placement, notamment au Pays de Galles, le Gouvernement a voulu réagir vite et a produit en décembre 2000 un livre blanc sur l’adoption. Le projet de loi, soutenu par Tony Blair en personne - sans doute parce que son père avait été lui même adopté enfant -, devait être immédiatement voté sans concertation préalable avec les associations. Pour des questions de calendrier, il a dû finalement être reporté après la date des élections générales. Les organisations concernées par ces questions ont pu ainsi entre-temps se mobiliser. Seules les associations travaillant strictement dans le domaine de l’adoption ont été entendues oralement par le gouvernement. Le Mouvement ATD Quart Monde a cependant produit un rapport4 sur le sujet.

Les services sociaux5 ont en charge 59000 enfants dont 5000 enfants qui attendent de trouver une famille d’accueil et moins de 5% d’enfants adoptés chaque année. De l’aveu même du gouvernement, le système de placement des enfants est un échec. La réponse selon lui est donc de promouvoir l’adoption comme solution permanente pour les enfants placés. Au lancement du livre blanc, Alan Milburn, ministre de la santé, a dit : « L’adoption doit devenir l’option privilégiée pour les enfants placés qui ne peuvent pas revenir à la maison ». Le gouvernement s’est donc donné comme objectif d’augmenter le nombre d'adoptions d’enfants placés d’au moins 40 % (de 2700 en 2000 à environ 4000 en 2004/2005)6 et d’accélérer le processus d’adoption. Ces propositions ont été reçues favorablement car le grand public dans son ensemble se plaignait de la grande difficulté, voire de l’impossibilité d’adopter un enfant. C’était aussi une manière pour le gouvernement de réaliser des économies budgétaires et d’en faire profiter les collectivités locales. Une autre politique n’était-elle pas envisageable pour, à l’inverse, soutenir les parents et leur donner les moyens d’élever leurs enfants comme ils le souhaitent ? N’y a-t-il pas nécessité, voire urgence, d’approfondir la réflexion sur le sujet et tenter de résoudre les véritables causes liées au problème du placement et de l’adoption ? Sinon, n’y aura-t-il pas encore des milliers d’enfants vivant en grande pauvreté en 2020 malgré l’engagement public pris par le gouvernement ?7

La loi sur l’adoption n’avait pas été modifiée depuis vingt-cinq ans malgré une grande évolution de la société et des circonstances dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les enfants susceptibles d’être adoptés. En effet, la majorité de ces enfants sont sous la responsabilité des autorités locales suite à des mesures de protection de l’enfance. Nous ne savons pas quelle sera la loi définitive sur les adoptions mais il est très probable qu’elle ne subira pas d’énormes modifications par rapport au livre blanc tel qu’il a été présenté par le gouvernement. Il est à craindre que les modifications proposées par les familles d’origine que nous avions consultées ne soient pas prises en compte et pourtant, elles aussi, ont en tête et au fond de leur cœur l’intérêt supérieur de leurs enfants.

L’intérêt supérieur de l’enfant

Beaucoup de familles vivant en grande pauvreté, que le Mouvement ATD Quart Monde rencontre, ont ou ont eu leurs enfants placés par les services sociaux et adoptés contre leur volonté. La grande majorité des enfants adoptés sont issus de famille pauvres ; il serait temps que le gouvernement reconnaisse que les conditions de vie de la famille sont des facteurs qui contribuent au placement des enfants et par voie de conséquence aussi à leur adoption. Beaucoup de programmes à la télévision montrent la vie d’enfants placés et interviewent des familles qui désirent adopter. Nulle part, il n’est question de la voix des milliers de parents désireux d’élever leurs enfants : des parents qui ont eu leurs enfants placés, qui attendent et espèrent toujours qu’un jour il(s) le leur soi(en)t rendu(s), mais aussi que des personnes s’engagent à leurs côtés pour qu’ils réussissent à garder leurs enfants.

Comment est-il possible que leurs voix soient, encore aujourd’hui, si peu entendues ? Cela ne tient-il pas au fait que les parents d’enfants placés qui vivent en grande pauvreté, sont au mieux considérés comme incapables d’élever leurs enfants et au pire comme des personnes cruelles et abusives. Cette condamnation entraîne la honte pour les parents qui ont perdu leurs enfants à cause d’un manque d’éducation, d’une instabilité dans le domaine du logement et de tous les effets dévastateurs d’une vie de dénuement et d’exclusion.

Il y a trop peu de reconnaissance de leurs luttes quotidiennes pour parvenir à garder leurs enfants et des terribles souffrances qu’ils endurent quand, malgré leurs efforts, ils leur sont « enlevés ». Un parent a dit : « Pour des gens comme nous, l’aide est toujours insuffisante et vient toujours trop tard. C’est toujours en réaction à quelque chose qui s’est passé, jamais ce dont nous avons besoin, quand nous en avons besoin ».

Voyant l’enjeu considérable que cela représentait pour les familles pauvres, l’équipe ATD Quart Monde de Londres s’est mobilisée pour que la voix des familles pauvres puisse être entendue lors du processus de consultation des associations. Nous avons essayé de faire entendre non seulement l’expérience mais aussi la pensée et les propositions des familles vivant la grande pauvreté que nous connaissions.

Depuis cinq ans, l’équipe ATD Quart Monde à Londres organise en effet, chaque mois, des rencontres où l’on discute de politique. Dès la première réunion, il est apparu clairement à quel point les parents étaient concernés par cette nouvelle proposition de loi sur l’adoption et voulaient  intervenir dans le débat. C’était d’autant plus crucial et vital pour eux que c’était l’avenir même de leurs enfants qui était en jeu. Un groupe inter-parlementaire sur la pauvreté a donc été organisé sur ce sujet. Cette réunion a rassemblé des parlementaires intéressés par ces questions, des personnes ayant l’expérience de la pauvreté et des organisations les représentant pour leur permettre ainsi d’exprimer leurs points de vue et inquiétudes sur le sujet. Lors de cette rencontre, il a notamment été question « d’adoption ouverte », mesure qui autorise le maintien d’éventuels contacts avec les parents d’origine. Les parents peuvent écrire à leur enfant sans toujours savoir si le courrier lui sera effectivement remis ou s’ils seront autorisés à lui rendre une ou deux visites par an.

Les parents d’origine que nous avons consultés recommandent une adoption totalement ouverte8 permettant des droits de visite et de sortie non surveillés par les services sociaux mais soutenus par d’autres agences si nécessaire. Ils souhaitent une correspondance illimitée avec la possibilité d’expédier des cadeaux ou d’échanger des photos. Selon eux, les contacts ne devraient pas être limités aux frères et sœurs mais devraient inclure la famille élargie (grand-parents, oncles, tantes, etc.) et les personnes importantes pour l’enfant, en accord avec les désirs changeants de l’enfant. Dans le cas d’un enfant adopté pour cause d’abus sexuel dans sa famille d’origine, tous les membres de sa famille, hormis l’abuseur, devraient être autorisés à garder des contacts.

Une député est intervenue en insistant sur le fait que des pays comme l’Australie qui pratiquent l’adoption ouverte ont vu le nombre de familles adoptives considérablement diminuer. Elle a signalé que, dans toute l’Australie l’an dernier, seules cinq cents personnes ont souhaité adopter : les familles potentielles n’étant pas à l’aise avec le maintien d’un contact avec la famille d’origine. Elle a conclu en disant que : « La situation doit être dans l’intérêt supérieur des enfants ».

Cette déclaration n’a fait que renforcer l’inquiétude des parents d’origine. Ils ont eu confirmation que l’adoption ouverte n’était pas considérée avec le sérieux qu’elle mérite à cause d’une prise en compte trop grande de l’intérêt des parents adoptifs : « Si ceux ci sont réticents à l’idée de tout contact ou information, ils adoptent l’enfant pour eux-mêmes parce qu’ils veulent l’amour exclusif de cet enfant plutôt que ce qui serait bénéfique à l’enfant ».

Nous avons aussi reçu une universitaire chargée de recueillir le point de vue et l’expérience des parents d’origine9. Le fait de pouvoir être écoutés par une personne mandatée sur le sujet, a incité des parents, n’ayant jamais participé aux réunions précédentes, à se déplacer. Nous avons réfléchi ensemble sur notre participation à d’autres travaux et elle nous a encouragés à apporter aussi notre contribution écrite. Ce fut un travail considérable pour un petit comité de personnes parmi les plus motivées et disponibles. De nombreuses réunions ont été nécessaires pour recueillir les propositions des participants, pour formuler et rédiger sans omettre aucune des idées et suggestions des parents et enfin pour se mettre d’accord sur le rapport transmis au « National Adoptions Standards10 ». Nous avons aussi organisé des interviews pour permettre l’apport des personnes les plus déprimées, démunies qui ne pouvaient pas participer régulièrement aux réunions. Lors de ces interviews, j’ai été frappée par le nombre important de personnes ayant reconnues avoir consenti à l’adoption de leurs enfants sous la pression.

Une maman raconte :« La mère nourricière me disait : « Qu’est-ce que vous faites ici ? ». Je lui ai dit : « C’est mon jour de visite ». Alors elle m’a répondu: « Oh non, vous ne savez pas qu’ils vous les ont réduits. Vous pouvez seulement le voir ce jour là ». (…) Et puis cela n’a plus été qu’une heure… Il y avait tellement de pression pour que je signe. On ne m’a pas donné un mois, ou deux mois pour que je réfléchisse si c’est cela que je veux. C’était plutôt : « Oh, vous devez signer. Voilà ce qui va se passer. Vous devez signer ».

Une autre personne nous a dit qu’elle s’est sentie forcée de signer les papiers en présence de son avocat et d’un travailleur social : « Je ne me suis pas senti d’autre choix que de signer la perte de mes enfants ».

Quelqu’un d’autre a dit : « À quoi bon lutter puisque tu ne gagneras pas. Ils ont plus de pouvoir sur toi que tu n’en as sur eux ».

Le 4 mai 2001, ATD Quart Monde a aussi soumis un rapport11 sur le projet de loi sur l’adoption au Comité spécial, composé exclusivement de députés du Parlement. Dans ce rapport, nous sommes revenus longuement sur toutes ces questions de consentement à l’adoption qui semblent cruciales.

Je voudrais insister encore sur deux points en citant deux témoignages.

Il est toujours possible actuellement de se dispenser du consentement des parents pour le placement comme pour l’adoption, en considérant uniquement le bien-être de l’enfant et le risque effectif ou probable que court l’enfant.

Des parents nous ont dit : « Nous avons perdu notre enfant par l’adoption et nous n’avions jamais fait de mal à cette enfant. En fait, ils avaient déjà décidé de nous la retirer avant qu’elle ne soit née, et c’est absolument inacceptable. D’après le « Children act de 1989 », les circonstances de vie de l’enfant doivent être soumises à investigation avant que l’enfant ne soit enlevé ».

Il est important que la société soit vigilante sur le risque d’une recomposition sociale au moyen de l’adoption des enfants de familles vivant en grande pauvreté par des familles adoptives de classe moyenne. Les statistiques12 mettent en évidence cette tendance notamment sur la répartition du type de travail ou, en vérité, de non travail des parents d’origine comparé à celui des parents adoptifs : 89 % des mères d’origine et 68 % des pères d’origine sont sans emploi ; moins de 2 % des parents d’origine occupent des postes techniques ou de direction alors que 57 % des parents adoptifs sont employés dans de tels postes. Des mesures adéquates devraient être prises pour éviter ce risque car une telle recomposition sociale serait une atteinte à la Convention européenne des droits de l’homme ; en référence à l’article 14 qui protège contre la discrimination (que ce soit à cause de l’origine sociale, de la propriété, de la naissance ou de toute autre condition) et à l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale.13

Voici le deuxième témoignage, celui d’une mère de famille : « Mes enfants m’ont été retirées alors qu’elles étaient à l’école et chez la nourrice. Une note a été glissée sous ma porte. Plus tard j’ai découvert par mes enfants que le travailleur social leur avait déjà dit - elles n’avaient que quatre et six ans - qu’elles allaient être adoptées alors que nous n’avions pas encore été au tribunal. Ce n’est pas une audition faite sur des bases justes. Les services sociaux ont mis quatre ans à trouver quelqu’un pour elles. Pendant ce temps-là, ces enfants sont oubliées entre deux familles pendant quatre ans, sans possibilité de contact avec leur propre famille et sans être non plus adoptées ».14

Là encore, l’expérience des parents d’origine nous apprend qu’en pratique l’adoption est décidée bien avant le jugement au tribunal. Les services sociaux réduisent la longueur des visites et éventuellement arrêtent les contacts pour préparer l’enfant placé à l’adoption. Le soutien donné à la famille d’origine est réduit lorsque les travailleurs sociaux s’orientent vers l’adoption. De telles décisions sur les contacts ou non des enfants avec leurs parents devraient être prises équitablement devant un tribunal pour être en accord avec l’article 6 sur le droit à la justice de la Convention européenne des droits de l’homme.15

Face aux objectifs de croissance du nombre et de rapidité des adoptions, de nombreux parents ont aussi exprimé leur crainte de voir augmenter les risques de placer des enfants de manière inappropriée et injuste pouvant aller aussi contre l’intérêt de l’enfant. Une étude, réalisée par Barnardo16, a démontré qu’il était possible d’aider les familles d’origine à récupérer leurs enfants avec un soutien et des moyens adéquats : le taux de réussite a été de 78 %. Cependant, les expériences ont mis en évidence que les parents avaient besoin d’autant de soutien que celui accordé aux familles adoptives. Ces programmes ont nécessité un engagement sincère à réunifier la famille ainsi que des moyens appropriés en termes de logement, d’éducation, d’aides financières et de soutien aux personnes.

De vraies mesures de succès d’une législation devraient permettre d’améliorer le bien être des enfants. Elles devraient cibler des objectifs tels que la réduction du nombre d’enfants à risque grâce à la mise en place d’un ensemble de mesures de soutien à la famille en fonction des besoins de chaque enfant.17.

L’opinion de l’enfant devrait être aussi de première importance. Un jeune homme de seize ans, adopté à l’âge de huit ans, a dit : « Être enlevé à vos parents et se retrouver dans un nouveau cadre sans eux, c’est quelque chose qui pour nous n’avait pas de sens. On s’en est débrouillé même si on a grandi avec un sentiment de colère et d’amertume envers le système ».18

Une mère témoigne : « Est-ce que vous savez ce que c’est que de perdre ses enfants à la naissance ? Quel droit a-t-on de faire cela ? C’est inhumain !  Est-ce que vous savez combien nous souffrons ? Cela nous déchire à l’intérieur… Les enfants sont le plus beau cadeau qu’un couple puisse avoir. Ils disent toujours que c’est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. J’ai pris l’habitude de me demander : « Est-ce bien dans l’intérêt supérieur de l’enfant ? »… J’ai été dévastée quand, après avoir rencontré une de mes filles, j’ai découvert qu’elle avait été violée pendant un certain nombre d’années par un des fils adoptifs et que la mère adoptive ne l’avait pas crue. Elle a été alcoolique à l’âge de quatorze ans et s’est tailladée les bras parce qu’elle était déprimée par ce qui lui arrivait et qu’elle n’avait personne pour la protéger. Si mon enfant était restée avec moi, cela ne serait jamais arrivé. »19

Dans le rapport sur la migration des enfants, il y a aussi de nombreux témoignages d’abus physiques et sexuels qui ont laissé de nombreux anciens enfants migrants traumatisés. L’un d’entre eux dit : « La plupart d’entre nous ont été laissés avec des cœurs et des vies brisés ». Ils ressentent aussi très fort le sentiment de perte d’identité.

Comment éviter que de telles choses se reproduisent ? N’est-il n’est pas nécessaire d’établir un parallèle entre cette histoire du passé et les mesures prises de nos jours ? Des enfants sont adoptés alors qu’ils ont déjà dix ans. Il leur est demandé de faire table rase de tout ce qui a fait leur vie jusqu’alors pour recommencer à zéro. Que fait-on pour qu’ils soient en paix avec leur passé ? Celui-ci ne va-t-il pas toujours revenir les hanter ?

Le droit à l’identité est une question absolument centrale dans l’ensemble du débat sur le bien être de l’enfant adopté. Nombre de parents ont d’abord partagé leurs expériences pour ensuite se mettre d’accord et oser mettre en avant les propositions par écrit. Avant de terminer, je vous en livre quelques extraits : « Tout enfant a besoin de savoir d’où il vient pour se construire… Ne pas avoir accès à ses origines entraîne souvent des difficultés psychologiques et un manque d’estime de soi… Connaître ses origines ne diminue pas non plus l’amour de l’enfant pour ses parents adoptifs ».

Nous pensons qu’un enfant adopté ne devrait pas recevoir un nouveau certificat de naissance mais devrait recevoir un certificat d’adoption qui répondrait davantage à l’application de l’article 7.1 de la Convention des droits de l’enfant : « L’enfant devrait être déclaré immédiatement après sa naissance et devrait avoir le droit à un nom et une nationalité dès sa naissance et autant que possible avoir le droit de connaître et d’être élevé par son ou ses parents. »20

Pourquoi ne pas aider la famille d’origine à résoudre ses difficultés et permettre ainsi aux enfants de rester ensemble ? Les parents sont abandonnés, laissés sans soutien et sans possibilité de faire le deuil ni de mieux comprendre ce qui leur est arrivé pour tenter d’y remédier. De nombreux parents ont fait des tentatives de suicide : ils ont expliqué qu’ils se considéraient à moitié morts depuis qu’ils ont été séparés de leurs enfants. Peut-on tolérer la multiplication de telles situations ?

Une autre raison enfin, pour laquelle les parents en grande pauvreté ne sont pas écoutés, me semble être le fait qu’ils mettent en cause l’efficacité des projets conçus pour eux ou - au mieux - avec eux. Ils mettent en échec l’organisation des services sociaux. Ils nous obligent à nous questionner sur le fonctionnement de nos démocraties et de nos sociétés qui les condamnent durablement au silence et à l’exclusion. Pourtant, ces parents veulent rompre le silence car ils sont persuadés que si les citoyens de leur pays comprenaient vraiment ce qu’ils vivent, ils ne pourraient plus l’accepter. C’est pourquoi il est tellement vital pour nos démocraties de les écouter et de les prendre comme interlocuteurs privilégiés.

1 Voir article de la Revue Quart Monde, N° 178, Mai 2001, p.43- 45.
2 Philip Bean and Joy Melville, Lost children of the empire (London, 1989), p.11
3 Cité p.34 et 35 dans le Rapport final de l’ON sur les Droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Léandro Despouy, Commission des Droits de l’Homme
4 Memorandum of Evidence - House of Commons Special Select Committee on the Adoption and Children Bill, 4th May 2001. Copie disponible ainsi que le
5 « Les députés britanniques autorisent l’adoption par des couples homosexuels », article de Jean Pierre Langellier, Le Monde, mai 2002
6 Department of Health (2001) Local authority Circular LAC (2001) 33 : Adoption, London : Department of Health ; National Statistics and Department of
7 Cf. « Poverty: slow progress on child poverty begs questions of policy and targets », Communitycare, 25 April – 1 May 2002, http://www.
8 Cité dans le document « Memorandum of Evidence » du 4 Mai 2001 p. 5 en note 4.
9 Pour le compte de BAAF, chargée de faire une étude sur le sujet
10 National Adoption Standards : A Consultation Response by ATD Fourth World, 23 mars 2001.
11 ATD Fourth World - Memorandum of Evidence - House of Commons Special Select Committee on the Adoption and Children Bill 4th May 2001
12 A comprehensive analysis of local authority adoptions, BAAF Surveying Adoption, 1998/1999.
13 Memorandum of Evidence, p. 2 (sur le consentement).
14 Cité in focus : « Adoption. Consent: cause for concern», Dignity Fourth World Journal, Summer 2001, p. 6.
15 Memorandum of Evidence, p. 2 (sur le Consentement).
16 « Still Screaming : Birth parents compulsory separated from their children. After Adoption », 1998, p. 114.
17 Cf. Idem p.3 sur le Consentement.
18 National Adoption Standards, children section, p. 6.
19 Actes de la session Justice Quart Monde sur le droit de vivre en famille, Revue Droit en Quart Monde, à paraîttre fin 2002.
20 Memorandum of evidence, p.4.
1 Voir article de la Revue Quart Monde, N° 178, Mai 2001, p.43- 45.
2 Philip Bean and Joy Melville, Lost children of the empire (London, 1989), p.11
3 Cité p.34 et 35 dans le Rapport final de l’ON sur les Droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Léandro Despouy, Commission des Droits de l’Homme, New York 28 Juin 1996.
4 Memorandum of Evidence - House of Commons Special Select Committee on the Adoption and Children Bill, 4th May 2001. Copie disponible ainsi que le dossier spécial sur l’adoption publié dans « Dignity », Fourth World Journal, Summer 2001.
5 « Les députés britanniques autorisent l’adoption par des couples homosexuels », article de Jean Pierre Langellier, Le Monde, mai 2002
6 Department of Health (2001) Local authority Circular LAC (2001) 33 : Adoption, London : Department of Health ; National Statistics and Department of Health (2001) Children Adopted in England year ending 31 March 2001, London Department of Health
7 Cf. « Poverty: slow progress on child poverty begs questions of policy and targets », Communitycare, 25 April – 1 May 2002, http://www.community-care.co.uk
8 Cité dans le document « Memorandum of Evidence » du 4 Mai 2001 p. 5 en note 4.
9 Pour le compte de BAAF, chargée de faire une étude sur le sujet
10 National Adoption Standards : A Consultation Response by ATD Fourth World, 23 mars 2001.
11 ATD Fourth World - Memorandum of Evidence - House of Commons Special Select Committee on the Adoption and Children Bill 4th May 2001
12 A comprehensive analysis of local authority adoptions, BAAF Surveying Adoption, 1998/1999.
13 Memorandum of Evidence, p. 2 (sur le consentement).
14 Cité in focus : « Adoption. Consent: cause for concern», Dignity Fourth World Journal, Summer 2001, p. 6.
15 Memorandum of Evidence, p. 2 (sur le Consentement).
16 « Still Screaming : Birth parents compulsory separated from their children. After Adoption », 1998, p. 114.
17 Cf. Idem p.3 sur le Consentement.
18 National Adoption Standards, children section, p. 6.
19 Actes de la session Justice Quart Monde sur le droit de vivre en famille, Revue Droit en Quart Monde, à paraîttre fin 2002.
20 Memorandum of evidence, p.4.

Sylvie Daudet

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