Compte rendu des travaux de groupe

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Compte rendu des travaux de groupe », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 02 novembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4876

Atelier 1 : « Quels nouveaux instruments juridiques requiert l’éradication de la grande pauvreté en Europe ? »

François Vandamme, Responsable des relations internationales au Ministère fédéral du travail en Belgique

Notre atelier a identifié plusieurs raisons de ne pas créer des instruments juridiques supplémentaires dans l’ordre international mais aussi de très bonnes raisons de poursuivre le combat juridique engagé et peut-être de développer des instruments.

Parmi les raisons évoquées, il y avait tout d’abord la reconnaissance de l’importance de l’utilisation des droits de l’homme dans la stratégie générale du Mouvement ATD Quart Monde. Considérer que la misère est un déni des droits de l’homme reste un angle d’attaque tout à fait pertinent et, semble-t-il, efficace sur les plans politique et juridique.

D’une part, on constate que les droits de l’homme ont une vocation universelle et donc il n’y a pas tellement de raisons de développer des instruments pour des catégories particulières dès lors qu’existe cette universalité.

D’autre part, on constate dans de nombreuses circonstances que le droit international est bien venu en aide à des législations insuffisantes ou ayant des effets d’exclusion (par exemple, tout ce qui a pu se faire, se dire sur la non-discrimination). Il y a aussi des interprétations par des tribunaux qui ont été favorables aux causes du Quart Monde et de la lutte contre la pauvreté (par exemple, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la protection des enfants adoptés ou sur le droit de vivre en famille, qui s’est imposé contre la législation britannique).

Au niveau européen, on a reconnu l’intérêt de la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice en 2000, même si c’est un instrument supplémentaire, parce qu’elle fait référence aux autres instruments internationaux auxquels elle ne déroge pas. Elle contient une clause de non-régression par rapport à ces textes internationaux.

Mais une série de bons arguments nous permet de considérer que le combat juridique doit se poursuivre ou être plus créatif. Nous avons relevé, par exemple, le fait que les instruments internationaux restent encore insuffisamment utilisés et sont parfois très mal connus, même dans les milieux de la magistrature. Ces interprétations qui ont été favorables dans certaines circonstances, ne le sont pas dans d’autres. Nous avons tout de même remarqué des interprétations traditionnelles donnant l’impression de vouloir clore le débat. Des pays s’acharnent à ne pas vouloir appliquer des conventions internationales.

S’agissant de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, nous considérons avant tout qu’elle manque d’intérêt juridique, dans la mesure où elle n’est, dans l’état actuel, qu’une déclaration.

D’autre part, nous avons mis en évidence le manque d’effectivité de la mise en œuvre de ces textes (traités ou législations), ce qui peut parfois avoir, dans certains pays du Tiers Monde, des conséquences énormes. Beaucoup de personnes continuent à être victimes de discriminations diverses.

Plusieurs intervenants, avisant le Mouvement ATD Quart Monde de la nécessité de développer des droits justiciables, ont reconnu que ce serait peut-être en définitive la méthode la plus efficace : le droit à l’eau, le droit au logement, le droit de vivre en famille, le droit à l’alimentation… Ceux-ci ont quand même un fondement, un point d’ancrage, dans le pacte de l’ONU, sur les droits économiques, sociaux et culturels.

Par rapport à ces situations particulières de personnes qui continuent à être victimes de discrimination, nous nous sommes aussi posés la question de savoir s’il ne fallait pas ajouter dans l’ordre international un texte particulier visant à l’élimination de la misère.

Je vous ai parlé des facteurs qui ont influencé nos réponses dans notre démarche prospective. Nous avons réfléchi à partir du concept de citoyenneté.

Nous pouvons sentir par intuition que le concept de citoyenneté est un concept porteur et qu’à l’intérieur de l’Union européenne, il pourrait être prometteur dans la lutte contre la misère. Le droit européen donne déjà un certain contenu à ce concept avec des droits propres. Malgré tout, nous restons perplexes car nous pourrions faire beaucoup plus : n’y aurait-il pas à entreprendre une éducation à la citoyenneté à travers les démarches et les préoccupations qui sont les nôtres ?

Par ailleurs, notre atelier, composé de professionnels en service actif ou à la retraite et de représentants du Mouvement ATD Quart Monde ou d’autres clubs de réflexion politique, a été amené à réfléchir aussi à partir de situations concrètes. Nous avons raisonné sur l’effectivité du droit international à partir des enfants qui ne disposent pas de droit propre comme les adultes, qui sont parfois au centre de conflits d’intérêt. Ainsi, des enfants désireux de vivre auprès de leurs parents en résidant dans un pays dont ils n’ont pas la nationalité, se retrouvent en situation irrégulière. Nous constatons alors que certaines lois n’ont pas envisagé jusqu’au bout ces situations. Pourquoi le droit et les institutions sont-ils amenés à faire cette distinction par rapport aux enfants ? Le concept de la dignité humaine, évoqué à plusieurs reprises dans notre atelier, a donc été mis en cause. Nous pensons que c’est un principe éthique qui probablement domine la législation mais qu’est-ce qui fait que le droit relativise trop souvent ce concept dans certaines situations ?

Nous avons pris un temps de réflexion sur les populations gitanes et avons constaté qu’elles incarnent ou rendent « visibles » des groupes de personnes qui sont encore victimes de discrimination sur des thèmes que des législations pourtant condamnent.

Alors face à tout cela, quel est le rôle des acteurs ? Nous avons cherché à identifier les possibilités d’intervention.

Plusieurs moyens sont susceptibles d’affronter ces insuffisances juridiques. Il y a encore un espace pour l’action juridique, pour une jurisprudence plus innovante, plus créative, là où les textes se contredisent, là où des interprétations ne nous satisfont pas.

Nous constatons la grande disponibilité du système de l’ONU, du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Le Commissariat général aux droits de l’homme de l’ONU, qui était représenté dans l’atelier, nous a amené à raisonner sur l’effectivité des droits fondamentaux par rapport à l’extrême pauvreté et à la misère : des textes sont en cours de discussion mais le dialogue est difficile avec les gouvernements, qui semblent même réticents pour aller au-delà. Pour autant, des débats sont proposés et des appels aux organisations syndicales sont lancés pour qu’elles s’engagent aussi dans la lutte contre l’exclusion sociale sans limiter leurs interventions auprès de leurs seuls membres. Les États, pour leur part, doivent faire encore des efforts pour ratifier certains textes aux plans européen et national.

L’Union européenne est un acteur en tant que tel. Elle a aussi un domaine de compétence, un champ d’intervention où beaucoup peut être fait pour le respect des droits.

On affirme par ailleurs, au fur et à mesure de la révision des traités, que l’Union européenne est une communauté de droits ; en fait, on s’aperçoit que la Communauté européenne devrait mieux équilibrer sa politique économique et sociale. Un intervenant a illustré cette idée en proposant un cinquième critère en référence aux critères de convergence déjà reconnus, mais cette proposition peut faire l’objet de controverse. Pour autant, la Communauté européenne, dans son action politique, pourrait prendre des initiatives, qui d’ailleurs s’esquissent tout doucement, pour mesurer l’impact de toutes ces propositions sur la lutte contre la pauvreté. Les travaux dans lesquels elle s’est engagée sur les indicateurs de lutte contre la pauvreté, pourraient être intéressants pour développer un langage commun sur la pauvreté. Plusieurs intervenants ont mis en avant, comme condition, que ces indicateurs ne soient pas spécifiquement quantitatifs, la pauvreté n’étant pas quantifiable. Il ne faudrait surtout pas se satisfaire d’un objectif quantitatif qui, une fois atteint, n’en resterait pas moins toujours intolérable. Je signale au passage que le Conseil de l’Europe compte aussi travailler sur les indicateurs de cohésion sociale.

Il ne faut pas oublier les objectifs de lutte contre la pauvreté définis au Conseil européen de Nice : c’est un acquis fondamental puisqu’il modèle, pour l’instant, la structuration et la coopération de l’Union européenne avec ses États membres et qu’il insiste pour que les ONG interviennent dans ce dialogue.

Nous avons aussi reconnu le rôle extrêmement utile des ONG, comme le Mouvement ATD Quart Monde, qui interpellent, qui proposent, qui ont une capacité d’écoute des personnes très pauvres et leur donnent une capacité d’agir.

Deux témoignages nous ont montré que le Mouvement ATD Quart Monde était parvenu à initier en Angleterre, mais aussi en France, un dialogue avec les pouvoirs publics.

En Angleterre, par exemple, le dialogue a démarré avec les autorités à l’occasion d’une réforme de la loi sur l’adoption forcée des enfants. La démonstration a été faite que la volonté institutionnelle ou politique, tout en partant de bonnes intentions, ne rejoint pas forcément la volonté profonde des parents de garder leurs enfants.

Mr Ludo Horemans, du Réseau européen de lutte contre la pauvreté, a parlé du dialogue civil structuré qui se fait actuellement dans l’Union européenne. Il a évoqué l’expérience belge actuelle du Rapport général sur la pauvreté, écrit conjointement par le gouvernement et les ONG, qui prouve qu’il y a des possibilités de coopération. Mais le dialogue, entre les ONG et les gouvernements, butte sur des questions de vocabulaire, de véritable compréhension. Les institutionnels prennent-ils suffisamment le temps de se mettre à l’écoute du Quart Monde ? Les conclusions du programme "Quart Monde partenaire" ont donné quelques pistes méthodologiques très utiles sur la question du croisement des savoirs.

Ainsi, nous pouvons dire que les acteurs institutionnels ont encore de l’espace pour poursuivre cette lutte contre la pauvreté afin de promouvoir une plus grande effectivité des droits fondamentaux.

Atelier 2 : « Performances économiques et développement humain : quelles convergences, quels conflits ? »

Animé par Marjorie Jouen, Conseillère au Groupement d’études et de recherches « Notre Europe »

Notre atelier avait pour thème « L’entreprise et l’insertion des personnes les plus défavorisées dans le monde du travail. »

Plusieurs projets innovateurs au sein d’entreprises nous ont été présentés : des expériences de réinsertion professionnelle des plus pauvres en Belgique et aux Pays-Bas suivies par Gustave Bruyndonckx et Stan Leyers, le projet d’insertion de Tefal présenté par Paul Rivier, les stratégies de partenariat local mises en place par l’entreprise Ondeo, fournisseur d’eau potable dans plusieurs pays du Sud présentées par Gérard Payen. Nous avons écouté aussi Jana Lednichka de Slovaquie dont le centre CEPAC soutient des chômeurs ayant des idées novatrices pour leur permettre de créer leur propre entreprise.

Les débats qui ont suivi ces interventions ont été très riches. Nous avons appliqué la démarche prospective proposée. Nous avons ainsi déterminé des tendances négatives ou positives et les acteurs potentiels. Nous avons essayé ensuite d’en déduire quelques recommandations ou pistes pour l’avenir.

1. Les tendances négatives

Dans l’entreprise, nous voyons apparaître de plus en plus la standardisation des procédures, le travail temporaire et les emplois de courte durée. Les décisions de fusion, d’acquisition, de fermeture et de licenciement s’accélèrent. La pression financière s’est accrue et la demande de rentabilité devient de plus en plus forte. Une entreprise dont le dirigeant et le personnel ont pour projet d’accueillir favorablement et d’insérer dans le temps une personne en difficulté ou particulièrement défavorisée, doit pouvoir compter sur de bons résultats financiers. Elle pourra ainsi définir une stratégie à moyen et long terme pour ce projet sans devoir subir en même temps une pression constante de la part de ses actionnaires. Nous avons donc considéré qu’il s’agit d’une condition nécessaire pour la réussite d’un projet d’insertion au sein d’une entreprise.

L’éloignement géographique des centres de décision nous semble aussi une tendance négative. Car, dans les sièges sociaux, les dirigeants des multinationales prennent des décisions qui ne sont pas toujours comprises par ceux qui en subissent les conséquences et travaillent à des kilomètres de là.

Nous avons constaté que la désindustrialisation avait pour conséquence la diminution des emplois non ou faiblement qualifiés dans l’industrie, et donc l’offre de postes pour des personnes en difficulté. En parallèle, de nouveaux emplois apparaissent dans le secteur des services, mais des diplômes à haut niveau sont de plus en plus requis lors de l’embauche.

De manière aggravante, les conditions de travail sont plus stressantes et on note une moindre tolérance pour accompagner les personnes plus lentes à s’adapter à leur nouvel emploi. Une plus grande mobilité est demandée aux travailleurs. Face à cette exigence, les personnes qui ont du mal à s’insérer dans la société ou qui ont besoin d’un temps d’adaptation plus long rencontrent davantage de difficultés pour changer d’emploi fréquemment et pour devenir polyvalentes.

Dans l’environnement de l’entreprise, le chômage massif qui semble à nouveau revenir, de manière conjoncturelle nous l’espérons, est aussi une tendance négative. En effet, cette évolution réduit les opportunités d’emploi offertes aux plus défavorisés. Ces personnes sont souvent les premières visées par les mesures de licenciement. La concurrence entre les chômeurs augmente et les plus motivés ou les plus qualifiés auront davantage de chance d’obtenir les postes vacants.

Des conditions sociales difficiles comme la persistance de logements insalubres ou la pénurie de logements sociaux ne facilitent pas non plus l’intégration des personnes dans le monde du travail.

L’individualisme croissant qui caractérise de plus en plus nos sociétés nous semble également être une tendance négative : l’individu n’est plus entouré par une communauté qui le motiverait tant vers le travail que vers l’insertion dans la vie locale. Or, nous avons remarqué que l’accompagnement collectif joue un rôle très important. La socialisation se fait de plus en plus hors du travail, ce qui ne facilite pas les parcours d’insertion notamment dans les milieux urbains. Nous avons constaté que jusqu’à présent cette question était très peu discutée ou, du moins, que nous ne savions pas encore quelle stratégie mettre en place pour répondre à cette évolution problématique car elle aggrave l’exclusion sociale.

2 . Les tendances positives

Dans l’entreprise, une gestion plus fine du personnel voit le jour. Les dirigeants sont plus ouverts aujourd’hui aux données prévisionnelles : ils admettent qu’il faut anticiper le remplacement du personnel vieillissant et la formation des agents en lien avec les perspectives futures du secteur. Ils prennent parfois de véritables paris pour l’entreprise comme la décision de s’engager dans l’accompagnement et l’insertion de personnes en grande difficulté. La diversification des parcours de formation explique ce développement nouveau.

Le travail en équipe, sur le principe du « toyotisme », se développe et favorise la mise en place de projets d’insertion à petite échelle au sein de l’entreprise.

Les entreprises tiennent compte de plus en plus des facteurs humains et de la diversité des cultures ou des formations qui s’avèrent être un atout supplémentaire pour la performance de l’entreprise et pour lui permettre d’innover.

Les choix stratégiques deviennent plus pragmatiques que par le passé. Par exemple, Ondeo a décidé de confier un travail de sous-traitance à des associations locales employant des chômeurs. Cette volonté de travailler avec les associations et les communautés de quartier, s’est révélée particulièrement pertinente en termes d’efficacité et de rentabilité. En fournissant du travail par des intermédiaires locaux, Ondeo a permis à ses clients de garantir le paiement de leurs factures d’eau.

Dans l’environnement de l’entreprise, il peut paraître surprenant de citer la mondialisation dans les tendances positives. Pourtant, nous pouvons dire que nous avons basculé dans une nouvelle phase de la mondialisation. L’idée est maintenant de plus en plus reconnue qu’une régulation de la mondialisation est nécessaire et possible. Ainsi, certains thèmes relatifs à la qualité de vie et aux droits sociaux ainsi que la réflexion en matière de charte sociale viennent à l’ordre du jour.

De manière tout aussi provocante, nous avons inscrit le chômage massif. Certes, et sans aucun doute c’est d’abord un problème, mais, dans un second temps, il faut reconnaître que la montée du chômage de manière conjoncturelle a un effet révélateur positif. Elle nous fait perdre l’illusion que tous les problèmes peuvent être réglés grâce à une croissance économique forte. Or, la croissance ne parvient pas à résoudre tous les problèmes rencontrés par les personnes défavorisées face à l’accès à l’emploi. L’augmentation du chômage attire à nouveau l’attention sur ceux qui n’ont pas bénéficié de l’embellie des dernières années et oblige à recentrer les actions sur ces personnes les plus défavorisées avec des programmes mieux adaptés à cette population. De ce point de vue, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un chantier inachevé et sur lequel il faudra revenir dans les prochains mois et années. Cependant, la pratique en matière de lutte contre le chômage a progressé au cours des dix dernières années et le traitement individuel des chômeurs s’est répandu. Il devrait se généraliser encore à l’avenir et permettre à davantage de personnes de se réinsérer.

Les entreprises exercent de moins en moins leurs activités de manière isolée ; elles participent à des réseaux et comparent leurs performances, y compris sociales. Au niveau national ou local, ou par secteur, des chartes sont élaborées et appliquées. Nous sommes mieux sensibilisés au bénéfice que l’on peut retirer autour du partage des expériences.

3. Les acteurs

Nous aurions pu croire qu’il était facile de répondre à la question en citant seulement les entreprises. En fait, nous avons relevé beaucoup d’acteurs autour et à l’intérieur de celles-ci. On peut énumérer notamment la direction de l’entreprise, son personnel, le comité d’entreprise, le conseil d’administration et les actionnaires, les syndicats, les associations d’entreprises, les entreprises de travail temporaire, les jeunes cadres, les instituts de formation, les communautés et les autorités publiques locales, les médias, les organisations internationales (OMC, BIT, etc.) et l’Union européenne.

Les communautés et les autorités publiques locales nous semblent être des acteurs majeurs en matière de lutte contre l’exclusion. L’intégration et l’ancrage local sont déterminants pour définir non seulement une stratégie de réinsertion professionnelle mais aussi une stratégie plus large de négociation entre l’entreprise et ceux qui soutiennent les personnes les plus défavorisées, parfois hors de leur travail.

Concernant le personnel de l’entreprise, les témoignages ont beaucoup insisté sur le fait qu’il devait être préparé à accueillir des personnes ayant une productivité plus faible. Une formation s’avère nécessaire tant pour l’accompagnement de la personne sur le lieu de travail que pour un suivi à l’extérieur de l’entreprise.

4. Quelques pistes et recommandations

Il nous paraît évident qu’il faut renverser les tendances négatives et promouvoir les tendances positives. De manière plus opérationnelle, deux options sont possibles : soit changer les règles ou tenter de les normaliser, soit agir à la marge. On peut choisir l’une d’entre elles, mais probablement elles doivent être menées de front.

Nous remarquons que nous agissons souvent à la marge, faute de pouvoir attaquer de front les obstacles. Pour autant, dans notre atelier, nous étions d’accord pour dire que la marge s’avère être un bon exemple : elle montre qu’une expérience est possible et c’est tout à fait essentiel de continuer à le mettre en évidence.

Les pistes que nous avons envisagées sont les suivantes :

1. Sécuriser les emplois et leur donner des perspectives d’évolution à moyen terme.

2. Accompagner lors de l’insertion dans l’entreprise mais aussi à la sortie. En cas de licenciement, il faut éviter que la personne ne rentre dans une spirale négative. Un gros travail de réflexion et d’action serait à entreprendre sur l’accompagnement à la sortie de l’entreprise.

3. Nous pensons qu’il faut impérativement donner un contenu concret aux chartes : c’est-à-dire mieux les définir du point de vue des acteurs et de leurs responsabilités, évaluer précisément les résultats des programmes entrepris. Il faut décliner le droit au travail inscrit dans la charte.

4. En matière de formation, les efforts doivent être poursuivis pour les personnes qui cherchent à réintégrer le monde de l’entreprise. Nous insistons particulièrement sur l’importance de la formation des personnes qui devront accueillir dans l’entreprise des personnes ayant des difficultés d’adaptation.

5. Il est important aussi d’enraciner au niveau local le projet ou la démarche d’une entreprise.

6. Il faut enfin comprendre que le temps défini au sein de l’entreprise et celui que connaît la personne en parcours d’insertion sont très différents. L’entreprise doit donc, à un moment donné, accepter de ralentir son rythme pendant cette période d’adaptation. Des intermédiaires seront sans doute nécessaires pour opérer cette déconnexion.

Atelier 3 : « Comment renforcer les capacités des populations pauvres et leur accès aux droits fondamentaux ? »

Animé par Louis Join-Lambert, Volontaire-permanent d’ATD Quart Monde, de l’antenne de Neudorf (Allemagne) chargée des contacts avec l’Europe de l’Est

Nous avons surtout traité la première partie de la question en nous appuyant notamment sur les exposés introductifs des quatre intervenants. Deux de ces interventions concernaient des projets de terrain, l’un en Pologne présenté par Tomasz Sadowski, directeur de l’association Barka, l’autre présenté par Ian Tilling de l’association Casas Ioana, à Bucarest en Roumanie. Le troisième exposé de Silva Armindo de la Commission européenne faisait le lien entre la stratégie européenne de soutien à la lutte contre la pauvreté et la perspective d’adhésion des pays candidats d’Europe centrale et orientale. Un quatrième exposé a été donné par Gunda Macioti qui a réussi la périlleuse mission de présenter à grands traits la contribution d’une personne de Moldavie, Nina Orlova, qui n’a pu venir et dont nous avait déjà parlé Xavier Godinot dans son introduction en plénière.

Je vous rendrai compte de nos travaux en m’inspirant beaucoup du schéma qui nous a été communiqué sur la démarche prospective.

1. Les acteurs

En prenant les acteurs comme premier point, nous avons d’abord parlé des pauvres y compris ceux que j’appellerai ici « les pauvres déguisés », par analogie au chômage déguisé dans les pays de l’Est. En effet, officiellement il n’y avait pas de pauvres dans les régions communistes : en réalité, les personnes paupérisées étaient internées et prises en charge par des institutions. Les deux premiers exposés nous présentaient des projets suscités en partie parce que ce dispositif des institutions craquait. Pendant la réforme des anciens États communistes, beaucoup ont senti le sol (du travail, du logement) se dérober sous leurs pieds et, en quelques années, ils ont subi individuellement une perte importante de leurs capacités.

Les deuxièmes acteurs dont nous avons parlé sont les institutions. Ne recevant plus de budgets suffisants, elles n’ont pu répondre aux situations inédites, notamment en termes de capacité d’accueil. En Moldavie, une véritable crise de confiance est apparue vis-à-vis des institutions qui avaient traditionnellement un rôle important par rapport au placement des enfants ou au niveau de la psychiatrie et de la prison. En fait, les pouvoirs publics, locaux et nationaux, gérant ces établissements, se sont trouvés dans une véritable crise d’identité : le projet politique changeant, ils se devaient d’en prédire les conséquences tout en s’organisant à nouveau complètement en interne.

L’Union européenne nous est apparue comme ayant un rôle restructurant pour ces gouvernements. Nous développerons davantage ce point dans le paragraphe suivant relatif aux facteurs.

Nous avons beaucoup parlé aussi des ONG, comme acteurs. Les initiatives locales prises par les ONG étaient expérimentées dans la crainte due à la fragilité et au manque de clarté de leurs relations avec les pouvoirs publics qui néanmoins les encourageaient parfois. Elles se sont renforcées en cherchant des appuis internationaux auprès d’autres ONG, à la fois pour des questions de recherche de financement et d’échange de savoir-faire et à des fins de complémentarité.

Je note que nous n’avons guère parlé des entreprises, y compris au niveau local, alors que peut-être nous aurions eu des expériences à partager.

2. Les facteurs

En écoutant les différents projets présentés, on peut dégager plusieurs facteurs qui apparaissent essentiels aux intervenants. Le premier facteur est la grande désarticulation des États survenue avec l’ouverture du marché et particulièrement l’incertitude des États nouveaux lors de leur création. Un autre facteur, ce sont aussi les exigences liées au projet d’adhésion à l’Union européenne ; exigences que les gouvernements saisissent d’abord, semble-t-il, surtout en termes de problèmes économiques et administratifs ; le social restant le parent pauvre de cette vision. Ces deux facteurs ont été longuement discutés dans notre atelier. Les intervenants ont aussi reconnu un facteur de changement : celui de l’évolution personnelle des plus pauvres, leur capacité à s’adapter et à se former à travers différentes situations.

Quatrième facteur mis en évidence : les initiatives prises par les ONG s’inscrivant dans des réseaux de dimension internationale. J’aimerais souligner que les ONG sont extrêmement importantes dans les relations avec les États ou les pouvoirs publics. Le cinquième facteur, très bien développé dans notre atelier, est la structuration de plus en plus forte de l’Union européenne. Au fond, les gouvernements acceptent les exigences et les contraintes de l’Union européenne lors du processus d’adhésion avec l’espoir que cette adhésion, une fois réalisée, leur donnera ensuite de nouveaux moyens financiers au niveau de l’Europe mais aussi des moyens en termes de législation, de gestion de l’économie et donc, d’une manière générale, d’une meilleure régulation au sein du pays.

Nous constatons, en parallèle, que le renforcement des structures de l’Union européenne a pour conséquences un contrôle plus intense, voire la quasi-fermeture des frontières de l’Union européenne en corrélation avec l’accroissement de l’immigration. Xavier Godinot nous a donné l’exemple de la Moldavie. Ce pays entretenait des liens forts avec la Roumanie.La frontière de l’Union européenne se situera entre ces deux pays et risquera de rompre des relations importantes en mettant fin à la facilité des échanges. La Moldavie nous est apparue comme un pays dont le moral et les perspectives sont en quelque sorte complètement brisés par cette structuration de l’Union européenne : une situation très sombre et déprimante.

Autre aspect, la comparaison entre les pays, c’est-à-dire le concept de convergence qui implique que les pays soient capables de se situer dans une marche commune. On a beaucoup parlé des indicateurs. Cette recherche de convergence implique qu’il faut être capable de décrire la nature de la connaissance qu’on va chercher à collecter afin que les comparaisons faites soient les plus justes possible. Il faut aussi être capable de prévoir les conséquences sur les pays dans l’application de tels critères de convergence. Nous avons alors souligné qu’il ne fallait pas sous-estimer la pertinence des indicateurs monétaires qui sont justement faciles à comparer et qui reflètent quand même l’importance des situations des personnes ou des ménages face au marché. Pour autant, l’enjeu de la participation des populations à la définition de ces indicateurs reste primordial pour que les besoins de ces populations ne soient pas simplement définis par d’autres : les indicateurs ne doivent pas seulement refléter des données économiques mais avoir également une portée politique.

Sur ce plan de la connaissance et d’un système de comparaison entre pays, le risque est de ne plus prendre en compte certaines différences. L’Espagne et la Pologne, par exemple, mettent en avant dans le secteur informel beaucoup d’initiatives, voire toute une manière de vivre, relevant de la prise de responsabilité des personnes en situation de grande pauvreté. Les responsabilités et initiatives personnelles, familiales ou locales qui ne seraient plus reconnues selon les critères de l’Union européenne, seraient amenées à disparaître : sans soutien, les personnes en charge seraient obligées de les abandonner.

Sixième élément classé dans les facteurs : les échéances politiques de l’Union européenne. L’Union européenne dispose de toutes sortes de dispositifs devant permettre aux États de se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre et les mesures à prendre. Je pense qu’il est important, en effet, que les États soient d’accord sur les objectifs pour parvenir à construire une Europe forte. Pour autant, face aux États-Unis, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure la protection apportée par l’Europe à ses pays membres serait effectivement suffisante.

Nous avons pris connaissance de plusieurs projets et de leur date de mise en œuvre. Par exemple, les programmes nationaux d’action contre la pauvreté pour les cinq ans prochains avec la participation des ONG dans l’élaboration et l’évaluation (une table ronde étant prévue sur l’exclusion sociale pour énoncer les objectifs à atteindre pour 2003). L’année 2004 sera la prochaine date d’entrée de pays candidats. Quant à l’objectif de réduire de moitié le taux de pauvreté d’ici l’année 2010, celui-ci a fait l’objet d’une intense discussion dans notre groupe.

3. Nous avons envisagé plusieurs pistes à suivre pour l'avenir

Nous avons retenu la formation en soulignant que les capacités des populations pauvres se révèlent lorsqu’elles disposent d’une certaine sécurité dans la durée. Les personnes ayant vécu dans la rue doivent être fortement soutenues pour retrouver leurs capacités. Il faut aussi leur permettre d’entrer dans le dialogue de la société. Les personnes partenaires, les professionnels mais aussi les élus locaux, doivent apprendre comment créer le partenariat permettant ce dialogue.

Autre point retenu, l’importance de la coopération, d’une part entre ONG et gouvernements, d’autre part entre ONG y compris au niveau international.

Nous avons remarqué que les gouvernements et les acteurs économiques et sociaux semblent généralement inquiets de la situation. En Pologne, le début du développement (et du soutien au développement) de la société civile représente une chance et un espoir.

Il se peut que les ONG comme les gouvernements aient tendance à espérer que l’Union européenne pourra résoudre tous leurs problèmes : nous pensons qu’il faut se méfier de cet espoir. Les ONG et les gouvernements sont obligés d’apprendre à travailler ensemble et à développer cette capacité. Les ONG représentées nous disaient : « Dans notre fragilité, le contact avec l’expérience des ONG au niveau international est vital pour nous : il nous donne une sécurité et nous permet de comprendre plus vite ce que nous vivons. »

Les critères de convergence nous emportent dans la perspective d’un grand mouvement : nous nous sommes demandés si celui-ci n’allait pas écraser la diversité. Nous en avons parlé en considérant l’approche des indicateurs qui renieraient certaines différences. Nous avons repris le thème de la diversité des populations en évoquant les populations tsiganes très présentes dans les pays d’Europe centrale et orientale. Nous avons beaucoup à apprendre des expériences faîtes tant à l’Ouest qu’à l’Est. Penser la question uniquement en termes d’intégration n’est pas forcément la meilleure façon d’avancer. Par contre, nous pensons qu’il existe un phénomène de peur enfouie. Ce phénomène est un point non négligeable si l’on veut accueillir cette diversité ; aussi il ne faut pas hésiter à révéler et à identifier cette peur.

Conclusion

Nous pensons qu’il y a vraiment tout un apprentissage à faire pour élargir notre vision tant à l’Ouest qu’à l’Est. D’autre part, chaque société a son histoire de la pauvreté et ses contraintes actuelles qu’il faut savoir respecter. Au sujet de la Pologne, Tomasz Sadowski nous disait : « Je crois que le développement des groupes d’entraide est quelque chose qui correspond bien aujourd’hui à la situation et à l’histoire polonaises. Veillons à ne pas casser les initiatives possibles, les ressorts et les énergies existants. »

Nous sommes d’accord aussi pour dire que la démocratie en Europe de l’Ouest n’est pas forcément un modèle absolu et qu’il serait bon, en travaillant davantage avec nos amis des pays candidats à l’adhésion mais aussi avec l’ensemble des pays d’Europe, de réfléchir à la vitalité et aux responsabilités à prendre dans nos propres démocraties.

Atelier 4 : « Dans un monde marqué par la montée irréversible de l’individualisme, comment promouvoir les solidarités en Europe et avec le reste du monde ? »

Animé par Gérard Fonteneau, Conseiller à la Confédération européenne des Syndicats

Les participants se sont étonnés du libellé de cet atelier, en effet :

* « l’individualisme » est un terme ambivalent. Chaque individu est une personne distincte, capable d’être acteur social et douée de raison ;

* « irréversible » semble un terme hérétique en prospective, puisque n’existerait plus qu’une seule hypothèse.

Le premier intervenant, Jean Lecuit, a restitué les travaux du groupe « Mondialisation et Pauvreté » d’ATD Quart Monde à Bruxelles qui pendant deux ans a reçu des témoignages et des informations sur certains aspects de la coopération au développement.

Deux thèmes prioritaires ont nourri le débat qui a suivi son intervention :

les politiques d’immigration et d’asile et la situation des personnes concernées ;

le contenu et l’application des programmes de coopération au développement de l’UE.

Trois orientations se sont dégagées :

* la nécessité de politiques européennes plus ouvertes et plus humaines, vis-à-vis des migrants et des demandeurs d’asile ;

* l’obligation d’une régularisation de tous les migrants et réfugiés, séjournant depuis un certain temps dans les États membres de l’UE. Cela devrait s’accompagner d’un plan ambitieux concerté de formation initiale et professionnelle donnant accès à l’emploi et d’un cadre social précis d’intégration permettant la mise en oeuvre de droits effectifs relatifs aux conditions de vie et de travail et à la sécurité sociale. Il s’agit d’une question complexe où il faut agir prudemment, mais... il faut agir !

* une perspective plus claire des politiques nationales ou européenne de coopération au développement, permettant d’agir sur les conséquences et les causes, en particulier, dans trois domaines : la satisfaction des besoins essentiels, en relation avec la dignité des personnes et des groupes ; l’accès de ces personnes aux droits universels, civils, politiques, économiques, culturels et sociaux ; la démocratie participative, en veillant au renforcement des capacités des acteurs.

Ces objectifs figurent d’ailleurs dans l’Accord de Cotonou, faisant suite aux Conventions de Lomé, entre l’UE et 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (dont 39 des 49 pays les plus pauvres du monde).

Le deuxième intervenant, Benoit Ven der Meerschen, de la Ligue belge des Droits de l’Homme, a illustré par de nombreux faits les situations que vivent dans la plupart des pays européens les migrants économiques et les demandeurs d’asile et leur famille (dont des enfants) qui sont autant d’atteintes à leur dignité.

Ces personnes deviennent des « problèmes » pour les responsables politiques et sont présentées comme telles à l’opinion publique. Les dérives de langage sont significatives et stigmatisantes : les étrangers sont différents, suspects, souvent profiteurs et potentiellement dangereux. Leurs situations – et les perceptions qui en sont données – servent de justification aux politiques sécuritaires, au contrôle et même aux restrictions des libertés dans la société. Le contraste est grand entre les contraintes pesant sur ces personnes et le laxisme qui existe vis-à-vis des délinquances en col blanc ou les abus des spéculations financières. Ces personnes doivent subir l’enfermement (centres fermés en Belgique, centres de rétention en France). Elles passent de longues périodes dans la précarité ou la clandestinité au cours de procédures complexes « d’accueil » ou de régularisation.

Tous ces faits, ces réalités, ces perceptions polluent les solidarités dans la société.

Outre la nécessité d’autres politiques plus ouvertes et de pratiques plus humaines, que l’UE semble commencer à comprendre, des actions rigoureuses, citoyennes, sont indispensables en vue de faire respecter « nos valeurs » que l’on se plaît à rappeler afin que « tous les êtres humains soient égaux en dignité et en droit. »

D’autant plus que les pressions à l’immigration et à l’asile ne vont pas diminuer, étant donné le mal développement des pays d’origine.

Le troisième intervenant, Gérard Karlshausen, a rappelé au nom d’ONG des éléments saillants du mal développement :

* Le mal développement, ce n’est pas seulement la fracture entre le Nord et le Sud. Toutes les sociétés du Nord et du Sud sont traversées par une croissance insensée des inégalités et des précarités.

* Le monde produit huit fois plus de richesses que dans les années 1960 et cela s’accompagne d’une injuste répartition des richesses, des ressources, des savoirs et des pouvoirs.

* La dette est un mécanisme infernal qui « pompe » une partie importante des ressources des pays qui remboursent six fois plus par les intérêts de la dette, qu’ils ne reçoivent de l’aide publique.

* La dette du Tiers Monde est un mécanisme très similaire à celui de l’endettement ou du surendettement des personnes en difficultés dans nos sociétés. Ce sont des intermédiaires – notamment les prêteurs – qui en bénéficient.

* La tendance croissante dans l’UE à substituer aux politiques de coopération au développement des politiques de libre-échange, dont « on » espère une contribution décisive à l’éradication de la pauvreté (! )

Donc aux orientations déjà citées pour des politiques renouvelées de coopération au développement, on doit ajouter :

* la reconversion de la dette dans des programmes de développement social ;

* des actions ciblées dans des pays ou régions d’émigration afin que les personnes ou les groupes aient moins de raisons de partir ;

* des actions d’envergure, visant une redistribution plus juste des ressources, des richesses et des savoirs par un encadrement démocratique de la mondialisation (avec des règles multilatérales précises) dont l’UE devrait montrer le chemin en Europe même afin de contribuer – comme une des puissances de la globalisation – à une régulation mondiale.

Les débats ont permis de faire émerger des problèmes connexes et des pistes de solutions.

La question de la pauvreté des jeunes (souvent d’origine étrangère) désocialisés, en rupture, parfois délinquants.

Des expériences menées en Belgique et en France semblent prouver que des jeunes, dont tous les parcours d’insertion avaient échoué, ont repris pied dans la société, en participant activement à des programmes encadrés de développement (construction d’écoles, de dispensaires, d’équipements collectifs etc.) avec des jeunes de ces pays. Au retour, quelque chose avait changé et ils pouvaient réussir leur insertion.

Ne pourrait-on pas envisager des formes de service civil européen sous deux aspects :

- étendre ces participations de jeunes désocialisés dans des programmes européens de coopération au développement ? On pourrait ainsi articuler des objectifs financés du Fonds Social Européen avec des programmes de coopération ;

- créer un ERASMUS-SUD qui permettrait à des étudiants européens de s’immerger au moins pendant un trimestre dans les réalités du Sud. Cette présence active dans des programmes de coopération – si possible en liaison avec leurs études – ferait l’objet de mémoires spécifiques, intégrés dans leur cursus universitaire.

La question des vocabulaires, de leurs maniements, de leurs dérives, qui alimentent les peurs, les intolérances, qui justifient et légitiment les politiques de sécurité et de contrôle des citoyens.

Dans cette bataille sur l’opinion publique, une grande attention devrait être portée à l’évolution des médias et au contenu qu’ils véhiculent. La commercialisation et/ou le « politiquement correct » alimentent la stupidité, la médiocrité et le simplisme, tel le sentiment que « de toute façon, moi je ne peux rien faire. »

Les technologies dans les domaines de la communication sont performantes mais servent peu à la « réciprocité des savoirs » au niveau planétaire : comment vivent et à quoi aspirent d'autres personnes et groupes ? De quelles expériences sont-ils porteurs ? Quels sont les gestes quotidiens d’innombrables citoyens pour rendre la vie vivable ou au moins permettre la survie de millions d'êtres humains ?

La réponse à ces questions pourrait contribuer à comprendre l’interdépendance des situations et des solutions. Aussi, dans le monde de l’éducation comme dans l’action des associations, on doit progresser à la fois en approfondissant le multiculturel et en apprenant à gérer la complexité des êtres et des choses.

Proposition générale

Tous ces constats, analyses et perspectives devraient s’inscrire pour tous les acteurs européens dans la réflexion et les propositions en vue d’une re-fondation : quel projet pour l’Europe ? Quelles politiques internes et externes de régulation sociale et de démocratie participative ? Avec quelles valeurs ?

L’essentiel est sans doute de réhabiliter la fonction politique, à tous les niveaux des pouvoirs publics. Le politique a comme tâche fondamentale la garantie de la dignité de tous les êtres humains vivant sur un territoire. Les moyens de cette tâche doivent être assurés par tous les citoyens.

Dans cette re-fondation, une attention particulière devrait être portée :

* à la qualité et au fonctionnement des services publics d’intérêt général (éducation, santé, communications, transports, distribution d’énergie et d’eau). Les services publics vont être soumis à des opérations de libéralisation, que la Conférence de Doha a initiées. Quelles que soient les formes choisies, le fonctionnement de ces services doit être transparent et démocratique et garantir l’accès de tous – notamment des plus pauvres – sans discrimination, à ces services d’intérêt général ;

* à la nécessité de poursuivre la promotion des droits indissociables : civils, politiques, sociaux, culturels et économiques et l’accès effectif à ces droits, en particulier pour les plus démunis.

Un travail encore important est à fournir par les acteurs pour la connaissance, la maîtrise et l’utilisation des systèmes normatifs nationaux et internationaux.

Recommandation

Comme cela est apparu à maintes reprises dans les débats à propos de l’interpellation permanente « Que faire ? », une recommandation s’impose.

Si nous voulons lutter contre les précarités ou la pauvreté, ici ou ailleurs, si nous voulons créer les conditions d’un monde plus juste et plus humain, il faut travailler ensemble, chercher obstinément des alliances et des coalitions, surtout entre acteurs (ONG, associations, syndicats) qui ont choisi non seulement de travailler POUR mais AVEC les précarisés, les pauvres (acteurs eux-mêmes de leur propre émancipation).

Donc un travail commun dans une optique de partage des savoirs. C’est en mettant ensemble nos expertises réciproques, nos savoir-faire respectifs que nous pourrons peser sur les événements, développer des rapports de forces, obliger les « décideurs » à intégrer celles et ceux que nous voulons représenter.

Attention encore au vocabulaire : le partenariat est un concept fort, trop souvent galvaudé : il peut s’employer si les candidats au partenariat se reconnaissent de véritables intérêts communs.

Sommes-nous réellement « partenaires » des plus pauvres ?

Atelier 5 : « Comment déterminer des « indicateurs participatifs » de lutte contre la pauvreté en Europe ? »

Animé par Fran Bennett Chargée de cours à l’Université d’Oxford (Grande-Bretagne) et chargée de recherche pour Euronet, réseau sur la pauvreté des enfants  et l’exclusion sociale dans l’Union européenne

Nous avons eu cinq excellents exposés dans les ateliers ; je vais les évoquer en essayant de leur rendre tout leur mérite au travers des débats qui en ont découlé.

1. Nous pensons d’abord que c’est le moment propice pour réfléchir à l’élaboration d’indicateurs participatifs de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

En effet la question des indicateurs est omniprésente : à Bruxelles, nous sentons combien elle est importante au niveau européen et, donc, également au niveau des différents États membres dans la lutte contre la pauvreté.

2. Nous nous sommes demandé de façon générale : « À quoi les indicateurs doivent-ils servir ?»

Nous estimons qu’ils doivent aider à la lutte contre la pauvreté, en permettant de mesurer le changement dans la vie quotidienne des pauvres, le changement dans la société, et dans quelle mesure la pauvreté disparaît.

Par ailleurs, nous pensons que les citoyens souhaitent être tenus au courant, par leur gouvernement, des résultats obtenus par la mise en œuvre des mesures politiques prises dans la lutte contre la pauvreté ; les gouvernements se doivent de leur rendre des comptes et en particulier, ils devraient rendre des comptes aux personnes vivant elles-mêmes en situation de pauvreté.

Les acteurs, les groupes qui sont associés à la définition des indicateurs, ont des motivations diverses. Dans notre atelier, nous sommes tombés d’accord pour dire que tous les indicateurs sont normatifs, c’est à dire qu’il n’y a pas d’indicateur qui ne soit sans jugement de valeur. La manière dont nous définissons la pauvreté sera le point de départ pour le développement des indicateurs. Par exemple, est-ce que les gens pauvres sont ceux qui n’ont pas de ressources ? Ou bien ceux qui n’ont pas de pouvoir ?

3. Nous avons voulu aussi exprimer les raisons pour lesquelles cette approche participative nous semble importante dans la définition des indicateurs.

En fait, pour nous, il ne s’agit pas tant de parler d’indicateurs participatifs que d’une démarche participative dans la définition des indicateurs. Nous ne parlons pas ici d’ajouter simplement des indicateurs qualitatifs aux indicateurs quantitatifs ou d’ajouter des indicateurs subjectifs aux indicateurs objectifs mais nous parlons d’une nouvelle approche pour l’ensemble des indicateurs.

Nous pensons qu’il est injuste de développer des outils qui mesurent la pauvreté sans la participation de ceux qui en sont victimes. La participation des personnes les plus pauvres au débat prouverait qu’elles ont effectivement des idées pertinentes à partager sur l’avenir de la société européenne. Leur participation est d’autant plus nécessaire qu’elle permettrait de dégager de meilleurs outils pour chacun dans la lutte contre la pauvreté.

4. Nous avons réfléchi à la question suivante : quelles sont les conditions préalables et nécessaires au bon fonctionnement de ce développement d’indicateurs de manière participative ?

Avant tout, les personnes vivant en situation de pauvreté doivent être impliquées dès le début. De plus, à notre avis, les personnes pauvres ont besoin de l’appui d’organisations : par exemple, avoir autant que possible un accompagnement pour pouvoir s’exprimer et pour pouvoir dialoguer avec les autres. Mais il est aussi important d’essayer de ne pas exclure les personnes qui n’auraient pas de telles organisations pour soutien.

Les personnes dans la pauvreté ont besoin de se retrouver, à la fois entre elles, mais aussi avec d’autres de tous milieux pour débattre et échanger leurs idées afin de pouvoir avancer dans la lutte contre la pauvreté. Elles ont besoin de rester en contact avec leur propre milieu, ainsi ce qu’elles disent est ancré dans cette expérience. Le rôle des personnes ayant une expérience directe de la pauvreté ne doit pas être limité uniquement au témoignage de leur expérience de la pauvreté, qui serait ensuite exploité par d’autres. Nous devons travailler tous ensemble, avec la communauté scientifique, les statisticiens, les politiciens et les fonctionnaires, et non pas de façon antagoniste.

5. Quelle différence cela peut-il faire ? Quelle est notre vision ? Quels changements pensons-nous que cela peut imposer ?

Nous pensons que les indicateurs concernant la pauvreté et l’exclusion sociale sont ancrés dans les droits de l’homme parce que nous nous sommes aperçus que les pauvres peuvent s’identifier dans ce cadre.

Les personnes qui vivent dans la pauvreté veulent des indicateurs qui traduisent un changement concret dans leur vie et pas seulement sur le papier. Les indicateurs doivent correspondre à la réalité vécue par les pauvres. Il ne faut pas oublier que celle-ci n’est pas seulement multidimensionnelle mais que chaque dimension est aussi en interaction avec les autres – qu’elles s’influencent les unes les autres.

Les indicateurs participatifs reflèteraient les priorités mises en avant par les personnes vivant dans la pauvreté, par exemple : le manque de respect, le fait qu’elles n’aient jamais droit à la parole, ni le pouvoir de changer leur vie et souvent pas même droit à l’espoir d’un avenir. Il s’agirait donc de mesurer, par exemple, les progrès accomplis par rapport au sentiment de honte dont souffrent les personnes pauvres.

Ces indicateurs démontreraient aussi les efforts faits par les personnes vivant dans la pauvreté pour réaliser leurs aspirations et pas seulement survivre.

Pour revenir à la pensée du père Joseph Wresinski, nous voulons finalement parvenir à ce que les indicateurs permettent de mesurer les progrès dans la réalisation des rêves des parents pauvres pour leurs enfants pour les vingt ans à venir. Nous savons que nous ne sommes qu’au tout début de la démarche ; ainsi, les personnes qui savent comment travailler de façon participative avec les personnes dans la pauvreté sont très peu nombreuses. Nous devons apprendre davantage comment inclure et retransmettre d’une manière significative l’expérience des personnes les plus marginalisées. Les ONG doivent développer une capacité technique pour amorcer cette démarche.

Les indicateurs sont souvent inscrits, soit dans un cadre européen, soit dans un cadre national (comme les plans d’action nationaux) et ils sont donc soumis à des contraintes différentes. Il est probable que nous sommes mieux à même d’influencer les critères et les objectifs nationaux, mais grâce à la méthode ouverte de coordination, nous pourrions aussi, à plus long terme, influencer également les critères et les valeurs retenus par l’Union européenne.

6. Finalement, que peut-on espérer raisonnablement ?

Nous avons avancé récemment dans le domaine des indicateurs même si la bataille est rude. Le Comité sur la protection sociale de la Commission européenne a officiellement souscrit à l’association des pauvres dans l’élaboration des indicateurs à l’avenir. Nous avons noté aussi des évolutions convergentes, non seulement en Europe mais dans l’ensemble du monde : on met de plus en plus l’accent sur l’opinion des utilisateurs des services de protection sociale et pas seulement sur leurs expériences. On s’accorde de plus en plus sur le fait de bâtir les stratégies de lutte contre la pauvreté à partir de la perspective des personnes dans la pauvreté dans les pays du Sud comme du Nord. Ces demandes sont portées non seulement par les ONG mais également par certaines instances officielles.

En conclusion, nous pourrions dire que notre but n’est pas seulement d’avoir des indicateurs participatifs à côté d’autres indicateurs. Nous avons besoin de plusieurs sortes d’indicateurs mais nous avons besoin de trouver un moyen par lequel tous les indicateurs soient de type participatif et qu’ils soient intimement liés aux expériences et aux pensées des personnes vivant dans la pauvreté.

Mais si les personnes pauvres ne sont pas prises sur un même pied d’égalité que les autres acteurs dans ce processus, sans renier le rôle des autres acteurs, si elles ne deviennent pas nos partenaires et si nous n’avons pas cette approche participative, il est clair que nous ne parviendrons jamais à notre but. Ceci n’est pas uniquement valable pour l’élaboration des indicateurs de pauvreté mais aussi pour toutes les stratégies dans la lutte contre la pauvreté : sans égal respect et participation des personnes pauvres dans l’élaboration des processus, nous ne parviendrons jamais à des résultats probants en matière de lutte contre la pauvreté.

Rédaction de la Revue Quart Monde

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