Atelier A

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Atelier A », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 17 novembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4944

Comment faire évoluer les procédures pour associer les parents et faire entendre leur point de vue dans les décisions concernant leurs enfants ?

* Animatrice : Davienne. ATD Quart Monde, Paris

* Participants

Jacques Argeles. Directeur AGEP (Association girondine d'éducation spécialisée et de prévention sociale), Gironde.

Annick Aubry. ATD Quart Monde, Seine et Marne.

Catherine Baroso. Educatrice spécialisée AEMO judiciaire, Yvelines.

Agnès Boissinot. Juge des enfants, Seine St Denis.

Henri Bossan. ATD Quart Monde, Gde Bretagne.

Anne-Marie Capon.Conseillère technique action sociale, (Home des Flandres) Nord.

Nicole Denecque. Militante1 Quart Monde, Rhône.

Anne D'Ivernois. Avocate, Paris.

Monique Gouze-Thomas. Elève avocat, Hérault.

François Guillot. ATD Quart Monde, Rhône.

Claire Henry. Elève du CNESS (Centre national d'études de la sécurité sociale).

Charlotte Janssens. Avocate, Belgique.

Marcel Klajnberg. Juge des enfants,Isère.

Helen Lhuillier. ATD Quart Monde, Yvelines.

Cécile Mangin. Assistante sociale, service droit des jeunes, Belgique.

Eric Mangin. Juge des enfants, Var.

Inge Martens. Ministère de la Communauté flamande, Belgique.

Corinne Medou-Marere. Psychosociologue Sauvegarde de l'enfance, Yvelines.

Madeleine Pons. Militante Quart Monde, Yvelines.

Monique Prodorutti. ATD Quart Monde, Nord.

Sophie Razanakoto. ATD Quart Monde, Ille et Vilaine.

Christophe Werquin. Avocat, Nord.

Marcel Klajnberg fait observer en préalable que le juge des enfants est directement tributaire des engagements financiers des Conseils généraux, auxquels est confiée la mise en oeuvre des mesures qu'il décide : c'est souvent au juge de s'adapter à un éventail réduit de mesures à sa disposition. Jacques Argelès et Eric Mangin confirment que cela peut conduire à mettre en échec des décisions mieux adaptées à la situation des familles (placement modulé), voire conduire à prendre des mesures très insuffisantes (lieux d'accueil très éloignés du domicile des parents.)

Jacques Argelès souligne pour sa part que l'antagonisme entre travailleurs sociaux et familles doit être nuancé : les situations de travail sont plus harmonieuses qu'on ne le croit, dans la majorité des situations, entre les travailleurs sociaux, les magistrats de la jeunesse et les familles.

Christophe Werquin observe cependant qu'il y a des effets d'auto-limitation de la part des familles, qui reflètent leurs craintes et appellent une réforme des procédures pour aider à libérer leur parole devant le juge. Eric Mangin note que, dans sa pratique, le juge peut faire beaucoup pour réduire les tensions en portant attention à des détails d'apparence anodine : formulation des courriers, modalités de l'accueil, etc.

Jacques Argelès présente les travaux de la commission Deschamps sur la communication des dossiers d'assistance éducative, auxquels il a participé. Jusqu'à présent, les familles n'ont pas accès directement au dossier, sauf si elles ont un avocat, pour les situations qui les concernent. Au-delà des évolutions imposées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le principe de la communication des dossiers aux familles fait aujourd'hui l'objet d'un vaste consensus, qui s'est reflété au sein de la commission, de la part des différents intervenants : familles, magistrats, avocats, travailleurs sociaux, universitaires. La commission a repris l'ensemble de la procédure et fait les principales propositions suivantes, posant en préalable la nécessité de donner aux tribunaux pour enfants les moyens de leur mission :

- La famille sera systématiquement convoquée par le juge des enfants à la suite du signalement (hors urgence) et pourra consulter son dossier dès le début de la procédure.

- Le juge devra rendre sa décision au fond dans les 6 mois suivant sa saisine. Dans l'hypothèse d'une décision de placement, le non-respect de cette obligation sera sanctionné, à l'issue du délai, par la fin du placement. En revanche, il n'y a pas de sanction prévue en cas de non-respect du délai pour les mesures qui n'attentent pas gravement à l'autorité parentale, c'est-à-dire les mesures en milieu ouvert. En cas de placement, la Cour d'appel devra statuer dans les 3 mois.

- La consultation du dossier par la famille ou le mineur pourra se faire sans intermédiaire d'avocat. Après débat, la commission a en effet préféré ne pas imposer la présence d'un avocat pour chaque procédure d'assistance éducative pour ne pas forcément conflictualiser la procédure. Cette possibilité de consultation ouverte à la famille exigera que soient créés dans chaque tribunal pour enfant des lieux d'accueil et des équipes spécialisées qui permettront aux familles d'être accueillies et de lire ces dossiers. Deux restrictions à la communication directe du dossier aux familles sont prévues : le juge peut, quand il l'estime nécessaire, désigner un intermédiaire, et il peut ne pas communiquer tout ou partie du dossier à la famille, exceptionnellement, si la vie de l'enfant peut être en danger à la suite de cette communication. Ce refus devra être motivé.

- Le juge des enfants aura obligation de statuer dans les 15 jours suivant la transmission des ordonnances de placement provisoire prises par le procureur de la République, qui doit elle-même intervenir dans les huit jours.

Jacques Argelès conclut en soulignant la qualité des travaux au sein de la commission, où il n'y a pas eu de cassure majeure entre les personnes et les professions représentées. Le principe de la communication des dossiers d'assistance éducative ne lui a pas semblé poser de problème aux travailleurs sociaux, contrairement à un sentiment répandu. « Si la loi permet la communication, ils vont s'adapter », d'autant mieux que dans leur pratique, il y a déjà le plus souvent une retransmission orale du contenu des rapports aux familles.

Marcel Klajnberg fait observer que le débat est ouvert sur la manière dont le juge donnera connaissance aux familles du contenu du rapport, et notamment sur la question de la possibilité d'envoyer aux familles le contenu des rapports, pour éviter de contraindre celles-ci à en prendre connaissance à la hâte avant l'audience ou les obliger à multiplier les déplacements. Concernant la communication des dossiers, il remarque qu'au-delà des restrictions qui peuvent s'imposer de manière exceptionnelle pour protéger l'enfant, il peut y avoir, plus souvent, un certain temps nécessaire pour que les familles puissent être prêtes à prendre connaissance de certaines informations, sans dommage pour elles-mêmes ou pour l'enfant.

Christophe Werquin a l'impression qu'on se pose beaucoup plus de questions aujourd'hui concernant l'accès des familles aux dossiers qu'on a pu le faire jadis concernant les avocats, qui ont accès à l'intégralité du dossier, à tout moment de la procédure. Si certaines restrictions s'imposent, ne faut-il pas alors aller jusqu'au bout et aligner le droit d'accès des avocats sur celui des familles ? Marcel Klajnberg objecte que l'avocat est un professionnel, capable de faire la part des choses, et de « mettre des parenthèses » autour de telle ou telle information qui lui paraît, à la lecture du dossier, ne pas pouvoir être portée à la connaissance de l'enfant ou des parents.

Helen Lhuillier se demande si les parents ne doivent pas avoir le droit de tout lire. Les parents sont adultes : il faut maintenir le principe de la transmission de l'intégralité du dossier, quitte à ce qu'ils en prennent connaissance avec l'aide de quelqu'un. Les exceptions devraient rester vraiment précises. Jacques Argelès précise qu'en définissant les restrictions à la communication du dossier, la commission ne pensait pas aux dossiers des travailleurs sociaux, mais plutôt à certaines pièces du dossier signalant des faits précis.

Cécile Mangin expose la situation en Belgique : l'accès au dossier judiciaire est sans restriction pour les familles et les mineurs, à l'exception, pour ces derniers, de la partie qui concerne l'examen de personnalité, où l'intermédiaire de l'avocat est exigé. Concernant le dossier établi par le service administratif de l'aide à la jeunesse (distinct du service judiciaire qui place les enfants), l'accès, au départ assez large, a été « grignoté » parce qu'on s'est dit qu'il ne fallait pas permettre la consultation de certaines pièces envoyées par le parquet. Cette évolution restrictive pose un double problème : elle pèse sur l'exercice des droits de la défense par des familles qui, ne sachant pas tout ce que le juge sait, sont nécessairement en situation de fragilité pour bien s'expliquer ; elle pèse d'autre part sur la responsabilisation des familles, auxquelles on demande de changer, mais sans tout leur dire : « Comment guérir de quelque chose que l'on ne connaît pas ? »

Nicole Denecque considère qu'on n'a rien à gagner à ne pas dire toute la vérité à l'enfant, qui, « tôt ou tard, saura. » Il est préférable de dire et d'expliquer. Marcel Klajnberg remarque qu'on peut avoir des conflits de droits, où il y a le droit de savoir mais aussi le droit de vouloir, à un certain moment, que certaines choses ne soient pas sues par les autres.

Véronique Davienne se demande quelle est la part, dans l'hésitation qu'on peut avoir à transmettre certaines choses  - au-delà des situations extrêmes - du souci de la personne et quelle est la part « de notre propre peur, au fond, d'être dans le vrai des choses ? »

Catherine Baroso souligne qu'il y a dans la communication, dans ce que l'on doit dire aux familles, dans ce que les familles doivent savoir, l'idée d'un travail en partenariat, et qu'on peut s'appuyer sur un certain nombre d'interlocuteurs pour éviter de confronter les familles directement à des réalités qui sont peut-être trop compliquées à aborder d'emblée. Mais pour les travailleurs sociaux, être capable de justifier ce qu'ils ont écrit est le minimum d'honnêteté qu'ils doivent aux familles, et, dans la majorité des cas, ils s'efforcent  de leur restituer de la façon la plus honnête et la plus lisible ce qu'ils ont écrit dans leurs rapports. Elle insiste sur le fait que lire un rapport social à une famille, c'est aussi générer une dynamique : le rapport ne vaut que par la dynamique partenariale qu'il instaure entre les acteurs.

Reprenant les interrogations de Helen Lhuillier et Nicole Denecque, François Guillot souligne que toutes les familles avec lesquelles il a préparé la session ont dit qu'elles voulaient savoir ce qu'il y avait dans les dossiers, en acceptant d'être confrontées à des choses difficiles. Il peut y avoir des cas extrêmes justifiant des restrictions, mais il faut faire très attention à ce que ces exceptions ne deviennent pas générales. Concernant le contenu même des dossiers, il insiste sur la nécessité, pour des travailleurs sociaux qui sont souvent très loin de la vie des familles, de confronter davantage leur perception des familles à celle des familles elles-mêmes : « Si on prend le temps de vérifier ce qu'on dit avec la famille, d'abord on va enrichir les dossiers, et puis on aura peut-être quelque chose qui se rapproche de la vérité. » Il est frappé de voir des mesures de placement qui auraient pu être évitées si on avait pris le temps de connaître les familles, leurs aspirations et leurs  réseaux. Jacques Argelès estime, à l'inverse,  que le placement autoritaire est une mesure que les travailleurs sociaux ne proposent qu'à contre-coeur et en dernier recours. Véronique Davienne observe que de nombreux témoignages montrent que des placements continuent d'être subis par les familles sans qu'elles comprennent pourquoi, et que le rapport Naves-Cathala a reconnu que beaucoup de dossiers reposaient sur peu d'éléments, des « carences éducatives » mal explicitées, des analyses un peu psychologisantes et sommaires.

L'observation de François Guillot rejoint le débat en cours chez les travailleurs sociaux, sur l'importance de se rendre régulièrement dans les familles. Pour certains, ça n'a pas un sens précis d'aller dans la famille, c'est une intrusion. Catherine Baroso estime qu'effectivement, s'il peut être utile d'aller à domicile pour vérifier certains éléments (nombre d'enfants qui habitent dans une pièce, minimum d'intimité des parents par exemple), des visites systématiques à domicile n'ont pas forcément de sens au niveau d'un travail sur la parentalité, on peut leur préférer des rencontres, pas forcément sur le lieu du service, mais dans des lieux de proximité. Christophe Werquin, en revanche, a beaucoup de mal  à imaginer qu'on puisse avoir une vue de la réalité de la vie de la famille sans aller sur place. Jacques Argelès considère de même qu'on ne peut pas assurer une mission de protection sans aller sur le terrain de l'autre, c'est-à-dire dans la famille. Pour Marcel Klajnberg, il n'est pas concevable qu'un travailleur social ne puisse pas, non seulement visualiser la famille dans son environnement, mais prendre conscience du climat, de ce que ça implique au quotidien, de ce que ça veut dire pour une famille, pour des enfants, de vivre dans cet environnement. Sinon : « On a forcément une démarche éducative qui fonctionne à partir de représentations abstraites, où c'est un mode d'éducation, totalement déconnecté de son contexte qui risque d'être plaqué sur une famille indépendamment de ses conditions réelles de mise en oeuvre. » Dans l'exercice de ses fonctions, il interroge les travailleurs sociaux sur leurs pratiques de visite à domicile, pour comprendre si une mesure a pu s'exercer ou non avec la collaboration de la famille.

Marcel Klajnberg rappelle par ailleurs que les familles, lorsqu'elles sont convoquées chez le juge des enfants, ont la possibilité de se faire assister de personnes de leur choix, y compris de militants associatifs qui peuvent apporter un autre éclairage. Véronique Davienne observe que c'est une faculté pour le juge de recevoir ces tierces personnes mais non une obligation. Marcel Klajnberg pense que la systématisation de cette possibilité est une proposition à défendre : elle est en effet utile pour aider à repérer des compétences parentales et donc à situer le rôle du juge des enfants dans la définition du strict complément qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre à côté des compétences parentales. Il y a beaucoup de pratiques à changer pour être davantage à l'écoute des familles. Dans le même esprit, il convient de prendre en considération, quand on considère une mesure de placement, l'impact affectif et psychologique du placement pour l'enfant et pour les parents, quitte à renoncer si l'on considère qu'il est d'un coût beaucoup trop élevé au regard du bénéfice que l'enfant ou la famille va pouvoir en tirer.

Anne-Marie Capon abonde dans le sens d'une prise en compte de l'environnement des familles : il faut s'attacher à repérer leurs réseaux, leurs alliés, les personnes en qui elles ont confiance et qui vont pouvoir les aider, les accompagner, et demander aux familles de leur permettre, si elles sont d'accord, d'accéder à ces réseaux pour avoir une meilleure connaissance de la famille et de ses potentialités. Cette dimension collective est insuffisamment exploitée. Marcel Klajnberg pense que cela s'explique par une défiance a priori par rapport à tout ce qui n'est pas habilité directement par le travailleur social.

Nicole Denecque interroge les pratiques éducatives des travailleurs sociaux, qui peuvent se faire au détriment de l'autorité parentale, quand elles conduisent par exemple à offrir à l'enfant des loisirs que ses parents ne peuvent pas lui proposer. Jacques Argelès note que cela  renvoie à un vieux débat chez les travailleurs sociaux. Dans son service, les sorties financièrement lourdes (ski, montagne) se font, depuis peu, en compagnie des parents.

Anne d'Ivernois a lu dans une revue juridique qu'un tribunal pour enfants ne motivait pas les renouvellements de mesures d'assistance éducative, en raison de sa surcharge de travail. Marcel Klajnberg précise que c'était là une démarche délibérée des juges pour enfants de Saint-Etienne pour attirer l'attention des Cours d'appel et de leur hiérarchie sur leurs conditions épouvantables de travail. La Cour d'appel a d'ailleurs annulé ces décisions. Marcel Klajnberg est en désaccord avec cette méthode, mais il admet que d'une manière générale, la faiblesse des moyens au niveau du greffe et du secrétariat conduit les juges des enfants à privilégier les motivations des décisions les plus problématiques.

Annick Aubry lit le texte qu'elle a préparé :

« Je vais vous parler de la situation de Martine.

Dès l'âge de 4 ans, elle a connu le placement parce que son père n'arrivait pas à faire vivre la famille. Saisonnier dans les fermes, il était trop souvent payé à coup de litres de rouge pour masquer le maigre salaire, et cela entraînait beaucoup de difficultés de vie et de violence dans la famille. A deux reprises, les parents furent convoqués par le juge. Un matin, les services de la DASS accompagnés de deux gendarmes sont venus retirer les 8 enfant à leurs parents sous les cris et les pleurs. Quelqu'un avait dit à l'aînée : « C'est pour votre bien, pour qu'un jour vous ayez une situation, une vie meilleure. ». Martine vivra en foyer et chez une famille d'accueil. A sa majorité, elle se retrouve sans formation, sans travail, sans soutien et livrée à elle-même.

Martine a d'abord eu trois enfants mais la vie est très dure à la maison à cause des conditions de travail, de logement ; imaginons-nous une pièce pour 5 personnes, tout un contexte qui ne permet pas de vivre dignement et de faire grandir les enfants dans la sérénité. A force de démarches, Martine obtient un logement HLM mais il est déjà trop tard, la vie de famille est brisée et, suite à une dispute plus violente qu'à l'habitude, Martine doit se sauver sans pouvoir emmener ses enfants.

Très vite, une mesure d'urgence est appliquée ; les trois enfants sont placés chez des familles d'accueil et, désormais, Martine aura une assistante sociale comme interlocutrice.

Quelques temps plus tard, Martine refait sa vie et de là naît une petite fille. Son compagnon décède ; elle se retrouve seule avec sa fille dans la caravane où ils vivaient. Trouvant l'habitat précaire et dangereux pour sa fille, l'assistante sociale lui demande de faire un choix entre la garde de sa fille chez une famille d'accueil ou un foyer maternel. Ne voulant pas être séparée de sa fille, Martine, contrainte, accepte la solution du foyer. Dans celui-ci, l'encadrement l'encourage à faire une formation de remise à niveau afin de trouver un travail et un logement. Elle suit la formation mais n'arrive pas à se mettre dans une dynamique de recherche d'emploi. Elle n'arrive pas à s'investir là où on l'a mise, à des centaines de kilomètres de ses enfants. Elle n'a qu'une envie, celle de les rejoindre malgré l'obtention d'une visite par mois. A nouveau une menace pèse sur elle ; une éducatrice lui signifie que, si elle part, il faudra envisager le placement de sa fille. D'autre part, de devoir vivre en promiscuité avec d'autres personnes en grande difficulté de vie lui est pénible, un peu plus déstabilisant et sa souffrance est grande d'un manque d'indépendance.

Finalement, elle va prendre le risque de partir vers ses enfants allant d'un hébergement à l'autre jusqu'au jour où sa fille est placée en attendant qu'elle trouve un logement. Alors, c'est le désespoir, elle plonge, se met à boire... Assez vite, elle rencontre un nouveau compagnon en qui elle a confiance. Elle arrête la boisson, se bat pour obtenir un logement. Un appartement HLM leur est attribué mais, quand elle en parle à l'assistante sociale, celle-ci lui dit qu'il faudrait aussi trouver du travail. Elle décroche un contrat de travail d'un an et l'espoir renaît. Elle est  convoquée chez le juge comme prévu par la loi et elle s'entend dire que cela fait un moment que sa fille est placée et que si on la change cela risque de la traumatiser. C'est à nouveau la déception. Elle dit : "On m'avait dit qu'on me rendrait ma fille quand j'aurai un logement ; j'ai trouvé un logement mais ça n'a pas suffi ; on m'a dit de trouver un travail, j'ai trouvé un travail ; maintenant on me dit que ça fait longtemps que ma fille est placée et que, si je la reprends, ça risque de la traumatiser. Finalement, ils ne tiennent pas leur parole, ils ne me respectent pas. ». Comme elle ne comprend pas, elle se dit aussi que c'est peut-être à cause de son nouveau compagnon qu'on ne lui redonne pas sa fille car, lui aussi, a des enfants placés.

Tout au long de son parcours et malgré l'humiliation d'aller voir ses enfants chez les autres, elle s'intéresse à tout ce qui fait leur vie, à leurs études même s'il est difficile d'obtenir parfois le carnet de notes... car elle n'est pas différente des autres parents qui veulent que leurs enfants réussissent, bien au contraire. »

Helen Lhuillier : Pour montrer combien il est difficile pour les parents de rester en lien avec leurs enfants quand ils sont placés, je voudrais donner un exemple qui peut paraître un détail mais qui est très important pour les parents;

Je vais parler au nom d'une personne avec laquelle j'ai préparé cette session :

« Au début, j'ai téléphoné à Jérôme tous les jours mais maintenant c'est trois ou quatre fois par semaine. C'est difficile de se parler au téléphone. Je trouve qu'il a souvent la voix triste.

Jérôme, je le vois tous les quinze jours. A chaque fois, il a grandi. C'est le juge qui fixe les dates avec nous, la nourrice et l'école pour qu'on puisse le voir. C'est marqué sur un papier. Mais deux fois, depuis janvier, le chauffeur du car qui ramène Jérôme n'a pas respecté les dates et n'a pas déposé Jérôme là où il devait descendre. Le jour où il devait venir chez moi, il l'a descendu chez la nourrice. Nous avons attendu à l'arrêt du car mais Jérôme n'est jamais venu.

A l'arrêt du car, il y a plusieurs cars et les enfants doivent monter dans le bon. Peut-être que Jérôme n'a pas su dans lequel il devait monter. Le chauffeur a insisté pour qu'il monte dans le car qui le ramène chez la nourrice. Il n'a pas écouté mon fils.

Pour nous, il est très difficile d'aller chercher Jérôme. La première fois, nous avons payé le transport mais la deuxième fois, nous n'avions pas d'argent. J'ai téléphoné à plusieurs personnes et enfin c'était quelqu'un près de chez nous, avec une voiture, qui était d'accord pour aller le chercher.

Je ne le vois pas trop souvent et on attend les week-end où il vient à la maison. Même si nous avons d'autres projets, le retour à la maison de Jérôme est le plus important.

La deuxième fois que Jérôme n'est pas venu, j'avais une autre activité et je suis arrivée très en retard. C'est compliqué de changer nos projets, on compte sur les autres.

Le lundi suivant, j'ai téléphoné à la directrice de l'école et pris rendez-vous avec elle. La directrice m'a dit que j'avais eu raison.

Je joue le jeu. Quand il doit être chez la nourrice, il est là. Si nous devons sortir et que nous savons que nous serons en retard, nous téléphonons pour l'avertir.

Pourquoi le chauffeur du car n'a-t-il pas respecté les dates ? Est-ce qu'il n'a pas la liste ? Est-ce que quelqu'un a oublié de lui dire ? Pourquoi n'a-t-il pas écouté mon fils ?

Avant tout, je souhaite récupérer mon fils. En attendant, je souhaite que le contrat soit respecté par tout le monde. De nombreuses personnes s'occupent de Jérôme sans qu'il y ait, à mon avis, une véritable communication entre elles. »

Monique Prodorutti lit son témoignage :

« Ma fille avait 3 jeunes enfants de 3, 4 et 5 ans. Elle avait 23 ans et vivait avec les allocations familiales.

Un après-midi, elle a été d'urgence à l'hôpital pour être opérée. Alors je suis allée dire à la travailleuse familiale qui venait 2 fois par semaine que ce n'était pas la peine de venir puisque ma fille n'était pas là et que j'avais pris les enfants avec moi. Le lendemain, la police est venue pour les prendre. J'ai résisté, j'ai dit qu'il fallait qu'ils reviennent quand ma fille serait là mais ils n'ont rien voulu savoir et m'ont dit : « Si vous n'ouvrez pas, on défonce la porte. » Je ne comprenais pas pourquoi ils étaient là. On n'avait jamais rien dit, rien reproché à ma fille ni à moi.

Quand on a retiré les enfants, on a soupçonné qu'ils étaient en danger. La police les a emmenés à l'hôpital pour une visite médicale sans que nous soyons présents et sans même nous dire où ils les emmenaient.

On a attendu 3 semaines avant de savoir où ils étaient. Nous, on ne savait rien et on nous disait que ça serait un placement provisoire pendant que ma fille était à l'hôpital. En fait, il a duré 5 ans et 8 mois.

Pendant cette période, on a enlevé les allocations familiales à ma fille et comme elle n'avait pas 25 ans, elle ne pouvait pas toucher le RMI et n'avait aucune ressource. Du jour au lendemain, elle n'avait plus ni enfants ni argent pour vivre. Sur le conseil d'un travailleurs social, elle est alors venue chez moi. Mais après, on le lui a reproché : on lui a dit qu'elle était trop dépendante de moi.

Tous les ans, ma fille était convoquée chez le juge et à chaque fois c'était un juge différent. Comment faire confiance à quelqu'un dans ces conditions ? En plus ma fille n'avait pas le droit de dire quoi que ce soit. Ce que le juge entendait, cela ne venait que de l'éducatrice. Il n'a pas su par exemple qu'on avait fait des démarches pour avoir un nouvel appartement. Sur les rapports, les travailleurs sociaux écrivent sur nous mais nous ne savons jamais ce qu'ils écrivent. Et ils ne prennent pas en compte tous les efforts qu'on fait. Ils ne notent que ce qui ne va pas.

A chaque fois, on maintenait donc le placement. Les enfants étaient à plus de 1h30 de chez nous, 3h aller-retour, mais nous avons toujours tout fait pour conserver les liens avec eux. Ce n'était pas facile pourtant. Et ça nous coûtait cher. Quand on place les enfants dans une famille d'accueil qui habite loin, les personnes ont des difficultés pour aller les voir. Cela n'est ni dans l'intérêt des enfants ni dans celui des familles.

Et pendant le placement, plus personne ne vient voir les parents ; on les laisse tomber. Ni assistante sociale ni éducateur. On est seul. Dans cette histoire de placement, on ne voit que l'enfant. On dit qu'il est en danger, on le met en famille d'accueil ou en foyer et puis point final. On ne fait rien pour soutenir la famille. Pourtant, l'enfant, il a besoin de sa famille. On traumatise les enfants, on traumatise les parents. On ne dit jamais assez que ça fait mal aux parents qu'on leur retire leurs enfants. Et ils se replient sur eux, ils n'ont plus de contact avec les gens, ils n'osent plus aller vers les autres, ils ressentent de la gêne, de la honte. En plus, les enfants leur en veulent. Personne ne leur explique rien, alors ils se sentent abandonnés et dès qu'ils rentrent à la maison, ils font des reproches : « Tu ne nous aimes pas puisque tu nous a mis à la fondation. »

Aujourd'hui, ma fille a récupéré ses enfants. Une éducatrice vient de temps en temps. Elle les emmène au Mac Do, chacun à son tour. Elle fait certainement un rapport mais elle ne dit toujours rien à ma fille. L'ainé a, en plus, un suivi psychologique. Mais il n'y a toujours aucun soutien pour ma fille.

Finalement, on n'a jamais été associés. Au début, personne ne nous a jamais dit qu'il y avait quelque chose à nous reprocher avant que la police ne vienne. Après on n'a pas su ce que devenaient les enfants pendant 3 semaines. Ensuite personne n'écoutait ma fille et on prenait les décisions sans entendre ses explications. Pendant le placement, il n'y avait personne et c'était à nous de faire de gros efforts pour garder le contact avec les enfants. Et, après le retour, ça recommence.

Il y aurait beaucoup de choses à faire pour améliorer l'association des parents aux procédures. Les plus importantes d'après moi sont que, bien avant le placement, la famille puisse lire le rapport que l'éducatrice fait pour le juge, qu'il y ait un peu de transparence ».

Véronique Davienne signale que ces témoignages n'ont rien d'exceptionnel, ils dessinent une réalité que le Mouvement ATD Quart Monde dénonce depuis des années. Comment faire pour sortir de cette absence de  dialogue, de cet abandon des parents pendant le placement, du marché de dupes qui leur est imposé, avec des conditions évolutives qui font qu'on "remonte la barre" au fur et à mesure des progrès réalisés par les familles ?

Cécile Mangin suggère comme première piste de faire systématiquement appel des décisions qui ne sont pas  suffisamment ou clairement motivées, de sorte que la famille ne comprend pas ce qu'elle doit faire. Marcel Klajnberg ajoute le renforcement de l'obligation de l'audience préalable pour annoncer et expliquer la décision de placement, sous peine de nullité du placement. François Guillot cite une proposition, faite par les familles elles-mêmes, de faire des réunions entre familles ayant des enfants placés, avec un soutien de personnes neutres permettant d'aider à l'expression. Marcel Klajnberg souligne également la nécessité d'avoir davantage de lieux de parentalité pour des parents en situation de grande précarité, qui n'ont pas matériellement la possibilité de recevoir des enfants dans un domicile, permettant l'hébergement d'une famille avec l'enfant pendant la durée du week-end ou pendant une période de vacances.

Agnès Boissinot indique que des retours d'enfants après des placements très longs peuvent être des échecs en dépit des progrès réalisés par la famille, du fait de l'impréparation de l'enfant : « Parfois, il y a un décalage entre le fait que des parents soient complètement prêts à reprendre leur enfant, et en même temps, quand on entend les enfants dans l'audience, ils ne sont pas prêts à ce retour. » Pour Anne-Marie Capon et Marcel Klajnberg, une réponse peut être le développement de l'accueil modulé, qui permet un retour progressif dans la famille.

Nicole Denecque signale les difficultés qui peuvent exister, au sein des familles d'accueil, du fait du mari ou du compagnon qui ne sont pas agréés comme l'est la mère. Il faudrait donc également traiter les familles d'accueil dans leur globalité.

Annick Aubry revient sur l'importance d'un travail de soutien à la famille, en amont pour éviter le placement, mais aussi pendant le placement, le cas échéant, pour aider les parents à construire un projet d'avenir pour eux avec leurs enfants. Véronique Davienne observe que la menace du placement, toujours présente à l'esprit des familles, risque toujours de limiter l'expression de la famille dans ses rapports avec les travailleurs sociaux, entretenant ainsi chez ces derniers l'idée que la famille n'a pas conscience de ses difficultés. Pour Marcel Klajnberg, il y a là un « engrenage » dont il faut sortir, ce qui implique un travail effectif auprès des familles ayant des enfants placés sur les raisons qui ont motivé le placement, qui actuellement n'est pas fait. « On a à remuer des décennies, si ce n'est plus, de culture de la DDASS, où la finalité, c'est de mettre à l'abri un enfant, retiré d'une famille considérée a priori comme pathogène, mauvaise, et de remplacer cette famille mauvaise par une bonne famille en considérant qu'à partir de là, le problème sera réglé. »

Henri Bossan souligne l'importance, pour changer les pratiques dans l'avenir, d'utiliser la Convention européenne des droits de l'homme : il faut aller à Strasbourg, non pour régler son problème immédiat, mais pour créer les conditions d'un progrès dans dix ans.

Agnès Boissinot estime que dans les pratiques des juges des enfants, comme des travailleurs sociaux, le recours à la famille élargie, quand il faut placer l'enfant, reste sous-exploité. Il y a des réticences liées à la crainte de compliquer encore davantage des rapports familiaux globaux souvent complexes. C'est donc une piste à développer, mais qui, là encore, demande préparation pour ne pas se révéler contre-productive. Marcel Klajnberg relève qu'en tout cas, lorsqu'il y a besoin d'un placement d'urgence, le recours à la famille élargie est la première solution à explorer, avant d'examiner, une fois qu'on a une meilleure appréciation de la situation, si elle peut ou non se pérenniser.

1 Militant(e) Quart Monde : personne issue ou vivant encore en situation de misère et engagée au sein des Universités populaires Quart Monde
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Rédaction de la Revue Quart Monde

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