Belgique : La Communauté française et les placements

Danièle Delatte Gévaert

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Danièle Delatte Gévaert, « Belgique : La Communauté française et les placements », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 17 novembre 2010, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4953

Comment le droit de vivre en famille est-il pris en compte par la Communauté française de Belgique, dans le cadre de l'Aide à la Jeunesse ? La place des familles pauvres au cœur des recherches en cours. (Perspectives et espoirs de changement)

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Belgique

Comme beaucoup de pays, la Belgique a connu une évolution dans la conception du « droit de vivre en famille » lorsque des enfants dits ou prétendus « en danger » sont en cause.

En 1912, une loi sur la protection de l'enfance a investi des juges spécialisés - les juges des enfants - du pouvoir de prendre des mesures de protection - et non des peines - à l'égard des mineurs délinquants. L'objectif est de protéger ces mineurs des influences néfastes de leur entourage, principalement de leurs parents, et de les rééduquer. Ce faisant, la loi vise aussi, et peut-être avant tout, à protéger la société. La mesure de protection par excellence que prennent les juges des enfants est de retirer ceux-ci à leur famille et de les placer dans des « homes » privés ou des établissements publics. Dans certains cas, le juge déchoit le père de la puissance paternelle, mesure qui, associée au placement de l'enfant, rompt encore plus le lien familial. Cette loi est restée en vigueur pendant un peu plus de 50 ans.

En 1965, le Parlement belge adopte une loi - la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse - qui est jugée particulièrement progressiste à l'époque parce qu’elle sort quasi complètement les mineurs délinquants (c’est à dire ceux de moins de 18 ans) du droit pénal et les assimile à des mineurs en danger, ces derniers étant dorénavant aussi susceptibles de faire l'objet d'une mesure de protection. Des tribunaux spécialisés - les tribunaux de la jeunesse - sont amenés à prendre, à l'égard des mineurs, des mesures de garde, d'éducation et de préservation qui se conçoivent avant tout comme étant dans l'intérêt de ces mineurs, celui de la société n'étant en principe pas pris en compte, ou seulement de manière indirecte.

Ces mesures sont, pour la plupart, les mêmes que le mineur soit en danger - en raison de son propre comportement ou de celui de ses parents - ou qu'il soit délinquant :

- Maintien dans la famille sous surveillance du service social du tribunal et, le cas échéant, sous condition.

- Placement chez un particulier, dans une institution privée ou dans un établissement public.

Les tribunaux de la jeunesse peuvent également prononcer des mesures à l'égard des parents :

- Tutelle aux allocations sociales.

- Assistance éducative éventuellement assortie d'un placement du mineur.

- Déchéance de la puissance paternelle.

Des autorités sociales spécialisées - les comités de protection de la jeunesse – peuvent, elles aussi, prendre des mesures de protection, dont le placement, à l'égard des enfants en danger lorsque ces mesures emportent l'assentiment des parents.

Bien que la loi de 1965 élargisse l'éventail des mesures de protection qui peuvent être prises et qu'elle sous-entende que le placement doit constituer la mesure ultime, lorsqu'aucune autre n'est envisageable, force est de constater que le placement reste prioritaire dans l'application de cette loi. Ce constat est mis en relation avec le fait que les tribunaux de la jeunesse interviennent plus souvent que les comités du même nom, ceux-ci étant quelque peu laissés pour compte par le Ministre de tutelle, le Ministre de la Justice. Résultant la plupart du temps d'une décision judiciaire, le placement est généralement imposé en dehors de toute implication des parents ou du jeune lui-même.

Bien que généreuse, la loi sur la protection de la jeunesse est emprunte de paternalisme (le juge, aidé de son service social, est censé connaître mieux que tout autre l'intérêt de l'enfant) et les personnes qu'elle vise sont plus des objets de droits que des sujets : peu de place est réservée à la parole des bénéficiaires et aux droits de la défense. Son application fait dès lors rapidement l'objet de critiques. Une des revendications est de sortir la protection de la jeunesse du giron de la Justice pour la confier à une tutelle plus sociale.

Ce sera chose faite grâce à la fédéralisation de la Belgique dans les années 80. Profitant du transfert des compétences en matière sociale du pouvoir national (fédéral) vers les trois communautés linguistiques (française, flamande et germanophone), le législateur a inclus la protection de la jeunesse dans les matières à transférer (à l'exception toutefois de quelques domaines, dont la détermination des mesures à l'égard des mineurs délinquants). Depuis la fin du processus de communautarisation en 1988, les trois Communautés sont compétentes pour décider de l'aide (ou de l'assistance) à apporter aux jeunes, en danger ou en difficulté, de leur ressort. Elles sont également compétentes pour exécuter les mesures décidées par les tribunaux de la jeunesse à l'égard des mineurs délinquants, en application de la loi du 8 avril 1965 qui demeure en vigueur pour ces derniers. Pour les jeunes en danger ou en difficulté, chacune des trois communautés a pris un décret pour régler l'aide à leur apporter.

En raison de leur autonomie, les Communautés ont adopté des solutions qui leur sont propres et créé des institutions particulières pour organiser cette aide. Toutes répondent cependant à des principes généraux identiques, inspirés directement de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Voici ces principes :

- L'aide en question doit, dans toute la mesure du possible, être négociée avec le jeune et sa famille, et être acceptée par eux ; si cette adhésion n'est pas possible et que l'enfant court un danger réel l'aide pourra être imposée par le tribunal de la jeunesse.

- L'aide apportée, même contrainte, doit consister prioritairement en une « guidance » du jeune et de sa famille permettant de maintenir le jeune dans son milieu familial.

- Le retrait de la famille (le placement) doit être exceptionnel ; lorsqu'il s'avère inévitable, il peut s'effectuer soit dans une autre famille (la famille proche ou une famille étrangère), soit dans une institution contrôlée et financée par la Communauté. Dans tous les cas de placement, même en famille d'accueil, des dispositions sont prises pour que les liens avec la famille d'origine ne soient pas rompus et que le jeune puisse la réintégrer dès que possible.

- Des délais sont prévus pour assurer que l'aide, en particulier le placement, soit ponctuelle et qu'elle puisse être revue à tout moment si la situation évolue favorablement.

En Communauté française, ces principes sont concrétisés dans un décret du 4 mars 1991 relatif à l'Aide à la jeunesse, en vigueur depuis 1992. Le titre II de ce décret traite spécifiquement des droits des jeunes et garantit notamment, outre les droits couverts par les principes ci-dessus, que le jeune et sa famille sont entendus à tous les stades du processus d'aide, même lorsque celle-ci est contrainte. Dans l'aide acceptée, l'accord du jeune et de sa famille sont formalisés dans un écrit.

L'espoir formulé par les rédacteurs du décret et par les parlementaires, lors de l'examen de ce texte au Parlement de la Communauté française, était de voir réhabiliter les jeunes les plus démunis et leur famille dans leurs droits, en tant que sujets de ceux-ci, et surtout de voir diminuer, de façon significative, le nombre de placements au profit d'une aide maintenant le jeune dans son milieu de vie.

Une réforme des services privés d'hébergement (toujours en cours actuellement) devait compléter le décret en vue d'inciter ces services à se reconvertir dans une action de suivi dans le milieu de vie.

Au début des années 90, un rapport général sur la pauvreté réalisé au niveau de l'ensemble de la Belgique, en collaboration avec les mouvements représentatifs des familles les plus démunies (ATD Quart Monde et Lutte Solidarité Travail pour la partie francophone du pays), a montré que trop de placements étaient encore dus à l'extrême pauvreté des familles et que celles-ci étaient trop rarement partenaires des décisions prises pour les aider. Ces constats qui nous interpellent amenaient à se poser des questions sur l'application des nouveaux textes adoptés en matière d'Aide à la jeunesse, notamment en Communauté française, et invitaient à analyser les pratiques pour examiner si elles correspondaient aux principes énoncés dans ces textes.

En 1997, la Ministre - Présidente de la Communauté française - a reçu les associations partenaires du rapport sur la pauvreté et a invité la Direction générale de l'Aide à la jeunesse à mettre en place un dialogue régulier entre elle et les associations. Le service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale du « Centre fédéral pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme » a été sollicité pour assurer le secrétariat de ces rencontres.

Depuis plus de trois ans, l'administration et les associations participent à des réunions régulières, que je préside, au cours desquelles sont analysées, avec la plus grande franchise et beaucoup d'ouverture, les attentes des associations par rapport à l'aide apportée en vertu du décret relatif à l'Aide à la jeunesse, et à la manière dont celui-ci est appliqué. Une note, rédigée par ces dernières en collaboration avec le service de lutte contre la pauvreté, et intitulée « La famille et le placement des enfants pour cause de pauvreté » a servi de base à nos échanges. Ceux-ci ont abouti à une première réalisation : une recherche attribuée au Centre de recherche et d'intervention sociologique de l'Université de Liège. Les associations sont, au même titre que l'administration, partenaires de cette recherche qui vient de démarrer, et est intitulée « L'apport de la parole des familles dans l'Aide à la jeunesse ». Elle porte sur la reproduction de la parole des familles dans les écrits figurant dans les dossiers des services de l'Aide à la jeunesse, dirigés par les conseillers de l'Aide à la jeunesse.

Les rencontres entre l'administration et les associations ont, dès le départ, été conçues comme une préparation à des rencontres plus larges, incluant les conseillers et les directeurs de l'Aide à la jeunesse ainsi que leurs services sociaux qui, sur le terrain, prennent les décisions d'aide auxquelles les familles doivent collaborer ou, à tout le moins, être associées. Cette deuxième phase des échanges, que je préside également, vient de débuter et s'annonce, comme la première, d'une extraordinaire richesse tant nous avons à apprendre de nos compétences respectives, celles-ci n'étant pas réservées, loin s'en faut, aux seuls professionnels.

Danièle Delatte Gévaert

Directrice générale adjointe à la direction générale de l'Aide à la jeunesse du ministère de la Communauté française.

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