Pacte de la solidarité et de l’écologie

Pierre Saglio

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Pierre Saglio, « Pacte de la solidarité et de l’écologie », Revue Quart Monde [En ligne], 215 | 2010/3, mis en ligne le 05 février 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4998

En novembre 2009, monsieur Borloo et madame Letard ont lancé trois groupes de travail en vue d’élaborer un « pacte de solidarité écologique ». Dans la lettre de mission adressée à Pierre Saglio, sollicité dans ce cadre pour co-présider un de ces groupes, ils rappellent que « ‘solidarité’ et ‘écologie’ sont les deux expressions d’un même projet où chacun est appelé à prendre en compte l’impact de son activité sur les hommes et l’environnement […] Que le pacte de solidarité écologique traduise cet engagement de rendre accessible à tous le développement durable et de le mettre au cœur de notre projet collectif de réduction des inégalités sociales et environnementales. » Pierre Saglio répond à nos questions.

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Développement durable, Ecologie

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France

RQM (Revue Quart Monde) : En quoi consistait le groupe de travail que vous co-présidiez ?

PS (Pierre Saglio) : Il s’intitulait : « Transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation ».

Les ministres avaient souhaité que ce groupe soit co-présidé par Alain Chosson, vice-président de la CLCV (Consommation, Logement, Cadre de Vie) et moi-même. Quatre membres actifs de nos deux organisations et trois fonctionnaires nous ont aidés à faire ce travail dans un délai, très court, de deux mois, à partir de notre réflexion commune et de quelques auditions passionnantes.

Cette réflexion commune avec la CLCV a été un élément essentiel pour moi. Nous avons vraiment compris et expérimenté que nous étions tous des militants du droit commun et comment le fil conducteur de « l’accès de tous aux droits de tous », loin de nous diviser, était au contraire un formidable facteur d’unité entre nous. Nous avons mesuré qu’il n’y a pas de dissension, de tension entre les pauvres et les classes moyennes si le fil conducteur du droit, du droit commun pour tous est bien au centre de tout.

RQM : Avez-vous pu porter l’expertise et l’espérance des populations les plus fragilisées par la crise ?

PS : En tout cas, c’était notre volonté et notre repère constant. Vous le constaterez, j’espère, à la lecture des « repères » et des « propositions » que nous avons mis en avant dans ce rapport1. N’oublions pas que le rapport Brundtland qui a créé ce concept de développement durable, met très explicitement l’éradication de la pauvreté au cœur de celui-ci. Il estime « que la pauvreté généralisée n’est pas une fatalité. Or, la misère est un mal en soi, et le développement soutenable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous, et, pour chacun, la possibilité d’aspirer à une vie meilleure. Un monde qui permet la pauvreté endémique sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres. »

Les membres de l’université populaire Quart Monde d’Île-de-France, m’ont invité à présenter la réflexion de ce rapport en mars 2010. 2

RQM : Votre rapport énonce cinq « repères » à prendre comme guide dans les politiques de développement durable à mettre en œuvre.

PS : Notre premier message a été de rappeler que l’éradication de la pauvreté est au cœur du développement durable et que cette ambition politique doit donner cohérence à l’ensemble des politiques du gouvernement.

Notre deuxième message est qu’on ne peut exiger des consommateurs qu’ils changent leurs modes de vie et leurs comportements – et ils sont de plus en plus nombreux à agir dans ce sens - sans une transformation profonde des modes de production, de distribution, et de décision.

Partant de là, nous avons effectivement listé cinq repères qui nous paraissent indispensables dans les politiques à mener :

- L’accès de tous aux services essentiels et aux droits de tous : aujourd’hui cet accès est problématique pour les pauvres et menacé pour une partie importante des classes moyennes menacées de paupérisation. L’ambition du droit pour tous recule dans notre pays. Le pacte doit inverser la tendance car des droits qui ne sont pas partagés par tous deviennent toujours des privilèges. Il doit affirmer la primauté du droit commun sur les droits conditionnels accentuant l’assistanat et le marquage social.

- Le refus des développements séparés et du creusement des inégalités : aujourd’hui, on risque de réduire le développement durable à sa seule dimension environnementale. On a laissé se mettre en place des circuits de consommation spécifiques pour les pauvres et les inégalités prendre des proportions totalement injustes et inacceptables.

- La conciliation entre échéances à court, moyen et long terme : on ne sait pas, parfois même on ne veut pas, faire cette conciliation, en particulier dans la lutte contre la pauvreté que l’on pilote trop souvent par l’urgence.

- L’évolution nécessaire des pratiques de production et de consommation : l’ère de la consommation effrénée doit laisser place à la satisfaction des besoins, l’amélioration de la qualité de la vie, par l’adhésion à une consommation à la fois « plaisir et responsable ».

- La participation de tous et l’appropriation par tous du développement durable : elle est une clé dans tous les domaines. On le voit pour l’environnement mais c’est vrai pour tout. Une démocratie qui ne se construit pas avec chacun est une démocratie en danger.

Ce sont ces cinq repères qui nous ont guidés.

RQM : Vous en déduisez des propositions plus précises dans le champ de la consommation et des modes de vie.

PS : Le droit à une sécurité de revenus, un préalable.

Avant d’en venir précisément aux propositions que nous faisons, nous tenons à rappeler qu’un pacte de la solidarité et de l’écologie n’aurait pas de sens si l’ensemble des politiques publiques ne permettent pas à tous nos concitoyens une sécurité de revenus, qui leur est en principe garantie par la Constitution. Si cette question n’entrait pas dans le champ de notre mission, il est de notre responsabilité – et les auditions l’attestent – de dire qu’elle constitue un préalable : il s’agit d’abord de faire en sorte que chacun ait des moyens suffisants pour vivre dignement et sans assistanat.

Garantir l’accès aux services essentiels, en levant les obstacles actuels et en appliquant notamment certains principes de tarification pour permettre à chacun d’en bénéficier tout en limitant les surconsommations :

Nous proposons de modifier très fortement les politiques permettant à chacun d’accéder aux services essentiels que sont l’eau, les énergies, les transports, les moyens de communication, les moyens de paiement. Ces politiques doivent prendre en compte le montant des charges incompressibles du budget des ménages, garantir l’accès à chacun et doivent également encourager une consommation modérée de ces services pour en assurer la pérennité.

Nous proposons donc de modifier complètement l’approche tarifaire afin de prendre en compte les paramètres suivants :

Une consommation de base, fonction de la composition des ménages à un coût très faible pour en garantir l’accès à tous, sans passer par des tarifs sociaux

Une répartition des coûts fixes sur l’ensemble des consommations afin de ne pas pénaliser les plus bas revenus et les ménages aux comportements vertueux

Une augmentation des tarifs des consommations les plus élevées

Une prise en compte de ces services essentiels dans le calcul des aides au logement attribuées aux ménages.

Nous avons noté certaines convergences avec le rapport sur la précarité énergétique et les débats en cours sur le droit à l’eau. Il est nécessaire maintenant d’avoir une approche globale et pas seulement service par service.

Enfin, nous souhaitons que ces services soient accessibles à tous et faisons des propositions précises en ce sens. Par exemple, que chaque commune soit tenue de rendre des fontaines publiques accessibles gratuitement, notamment pour ceux qui n’ont pas l’eau à leur disposition dans leur domicile.

Mettre fin aux circuits de consommation discriminant des pauvres :

Il faut rappeler qu’en France, les distributions alimentaires représentent deux  millions et demi de repas distribués quotidiennement. Elles sont à l’honneur de celles et ceux qui les organisent et les financent par solidarité avec ceux qui n’ont rien ou si peu mais elles sont l’illustration de décennies de politiques publiques de développement non durable. Nous demandons donc vivement au gouvernement de réfléchir, avec les organisations de lutte contre la pauvreté, aux moyens de les ramener à leur seule fonction de dépannage ponctuel.

Soutenir la diffusion de démarches de mise en réseau entre producteurs et consommateurs :

Dans ce même esprit, nous constatons que nos concitoyens sont nombreux à soutenir des circuits de distribution qui favorisent les liens entre consommateurs et entre consommateurs et producteurs – incluant des rapports collectifs et négociés - et nous  demandons de soutenir d’avantage les innovations qui ne manquent pas dans ce domaine, à soutenir notamment les circuits courts, les productions locales, les jardins familiaux, etc. Autant de réponses à développer, car elles n’ont pas vocation à rester marginales, pour inventer des politiques alternatives aux distributions.

Encourager les comportements civiques visant un développement durable équitable pour tous et assurer les conditions de la participation publique de chacun :

L’éducation au développement durable peut et doit être développée de manière importante, dès l’école et tout au long de la vie. Elle intégrera la dimension de lutte contre la pauvreté, la participation de chacun aux décisions qui le concernent, et formera chacun des acteurs socio-économiques, chacun des acteurs politiques, et les individus à savoir comment concilier l’environnemental, l’économique et le social. C’est une éthique du lien avec les consommateurs, les habitants, une éthique du débat citoyen dans l’élaboration des Agendas 213 par exemple, une volonté de former chacun au partenariat avec les plus défavorisés dans la réflexion et dans l’action. Nous formulons aussi des propositions pour encourager la participation à la vie associative, creuset d’apprentissage de la citoyenneté et facteur d’émancipation.

Là encore, les exemples ne manquent pas dans les auditions que nous avons pu faire.

Élaborer de nouveaux indicateurs pour mesurer nos progrès vers le développement durable :

Il nous semble que le Conseil économique, social et environnemental est le lieu approprié pour mener une réflexion et trouver des indicateurs « de bien-être » qui fassent consensus et qui puissent ensuite, être utilisés chaque année comme base pour une évaluation de notre stratégie de développement durable par le Parlement. L’actualité nous a montré de manière éclatante que les seuls indicateurs de production, type PIB, ne suffisent pas à nous éclairer, bien au contraire.

1 Le rapport est disponible sur le site du ministère du développement durable à l’adresse suivante : http://www.developpement-durable.gouv.fr/
2 Voir l’article rendant compte de la réflexion des Universités populaires Quart Monde page 15.
3 L'Agenda 21 (ou Action 21) est un plan d'action pour le 21eme siècle adopté par 173 chefs d'État lors du sommet de la Terre, à Rio, en 1992.
1 Le rapport est disponible sur le site du ministère du développement durable à l’adresse suivante : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Le-Pacte-de-solidarite-ecologique-.html
2 Voir l’article rendant compte de la réflexion des Universités populaires Quart Monde page 15.
3 L'Agenda 21 (ou Action 21) est un plan d'action pour le 21eme siècle adopté par 173 chefs d'État lors du sommet de la Terre, à Rio, en 1992.

Pierre Saglio

Pierre Saglio est président du Mouvement ATD Quart Monde France depuis 2002. Marié, père de cinq enfants, il est ingénieur, chargé d’études à la direction générale du journal Ouest-France.

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