Bâtir le respect entre tous

Bernard Declercq

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Bernard Declercq, « Bâtir le respect entre tous  », Revue Quart Monde [En ligne], 219 | 2011/3, mis en ligne le 12 juin 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5218

Depuis une vingtaine d’années, l’auteur, mobilisé par ses élèves de l’enseignement technique et professionnel, donne des formations aux enseignants et aux élèves, dans les classes de l’enseignement primaire et secondaire, qui permettent de sortir du cercle de l’exclusion.

Cet article résume.1 un cheminement commencé en 19662. Toute pédagogie devrait être une pédagogie de la libération. Mes élèves m’ont appris que pour apprendre, un enfant doit être libéré de la honte, et que pour créer un climat de paix en classe, les enseignants devaient bâtir le respect entre tous. Quand les plus exclus ont le courage de parler de leur vie, de leur honte, de dénoncer les injustices dont ils sont victimes, ils sont pour les autres jeunes un ferment de changement. A ce moment, ils prennent conscience d’injustices qui les touchent, les dénoncent, ils se guérissent de leur honte, de leur peur parce que les plus exclus, se sentant écoutés et respectés, ont osé parler. Mes élèves définissent avec leurs mots cette pédagogie. « Etre libre, c’est accepter l’échange. Cela permet de nous construire ». « Etre libre : savoir parler avec quelqu’un qui connaît ce qu’on ressent parce que nous avons appris à nous connaître les uns les autres grâce au respect ». « Pour qu’il n’y ait plus d’exclu sur notre planète, il faut faire connaître à tout le monde le livre "La boîte à musique"3 »

Bâtir la paix à partir des plus exclus de la classe

Quand dans une classe la violence du mépris du plus faible est bannie, tous se sentent bien. « Quand le dernier de la classe est écouté, nous changeons de regard car le plus faible nous étonne, nous découvrons qu’il n’est pas si bête et qu’il a des choses à nous apprendre. L’ambiance est meilleure. Tout le monde participe, reprend confiance, plus personne ne reste seul dans son coin ». « Le respect, c’est une manière de parler, d’écouter l’autre, même s’il est plus petit que toi »

Ce message, Gandhi l’avait aussi reçu. La démocratie existe là où la priorité est accordée aux minorités, disait-il. L’écoute et le respect sont les éléments essentiels de la libération. Les règles du jeu sont simples : « Personne ne rit du plus faible et chacun est professeur ». L’objectif est aussi clairement défini : supprimer la honte.

Le module d’animation dans les classes est réparti sur plusieurs semaines. Je demande au titulaire d’être aussi acteur. Au premier cours, j’explique que je suis envoyé par mes élèves puis en silence j’écris au tableau, en grand, le mot HONTE qu’ensuite, toujours en silence, je barre ou efface. Je fais comprendre aussi que chacun a quelque chose à apprendre à tous.

J’ai enseigné dans une école technique et professionnelle, séparée d’une usine chimique par l’eau noire d’un canal. Une cité pourrie, ghetto de misère cachée, était imbriquée dans l’usine, J’y allais lire des livres aux enfants qui me demandèrent de leur apprendre à lire, là, sur le trottoir. Et moi, je leur répondais professionnellement en leur montrant du doigt mon école de l’autre côté de l’eau noire du canal : « C’est à l’école qu’on apprend à lire ». Mais eux pensaient différemment : « A l’école, on ne peut rien retenir. Nous sommes insultés, nos parents sont insultés. On ne pense qu’à cela. C’est impossible d’écouter. »

Voyant mon étonnement, ils avaient ajouté : « Sans amis, on ne peut pas apprendre ». Ces enfants qui ne savaient pas lire me donnèrent une première leçon. La cité pourrie, je la voyais de mes classes où j’ai alors expliqué le message des enfants de la cité. « Nous aussi, on se tape la honte. Nous aussi on se demande en quittant le matin la maison ce qu’ils vont encore inventer comme insultes », me dirent mes élèves. Ils me donnèrent ma deuxième leçon.

Je dis donc aux élèves de cette classe que je vois pour la première fois qu’ils ont eux aussi quelque chose à m’apprendre. Ensuite, j’écris alors au tableau les deux consignes : « On ne se moque pas du plus faible quand il prend la parole », « On écoute le plus faible quand il ose parler ». Silence impressionnant, émotion sur beaucoup de visages. C’est alors que, soit je lis un chapitre de La boite à musique ou du conte africain Et l’on chercha Tortue4, soit nous visionnons le film Viens avec nous5.

Travailler les outils

Je pose alors quelques questions ouvertes et invite les enfants à écrire leurs réponses sur une feuille de papier en insistant sur l’importance de chaque réponse car chacun réagit au texte en fonction de son expérience de vie. J’explique aussi que les réponses seront transmises au Mouvement ATD Quart Monde qui recueille puis publie la parole des plus fragiles dans des livres comme celui qui est lu en classe. Avant de ramasser les feuilles « anonymes », je préviens que pour éviter les indiscrétions, je les ramasserai personnellement. J’invite les élèves à indiquer, avec un « ok », s’ils sont d’accord pour que je lise à voix haute leurs phrases. Je précise que : « ceux qui souhaitent prendre la parole pour lire leurs réponses peuvent le faire, mais il y a aucune obligation ». Rentré chez moi, je prends soin d’enregistrer toutes les réponses dans l’ordinateur en notant la date et l’école. J’envoie une copie à la responsable Tapori. C’est en fait un travail de méditation. Le caractère répétitif de l’exercice permet de prendre en soi la parole de tous et y compris des plus humiliés. Une démarche contraire à la nature humaine qui obéit à la loi du plus fort. Il s’agit d’une cure de désintoxication, d’une cure de libération sur le chemin de la Vie.

Quinze jours plus tard, je reviens. « Vous savez encore pourquoi je suis ici ? Qui veut rappeler pourquoi je suis ici ? » Puis je distribue la feuille sur laquelle sont dactylographiées toutes leurs réponses et quelques réponses recueillies dans une autre école. Je demande ensuite de voter pour les phrases à « mettre sur une affiche ».

Je pose de nouvelles questions plus orientées sur les enfants en corrélation avec le texte ou le film travaillé lors de la première animation – et bien évidemment – les premières réactions des enfants. Ces questions sont plus personnelles. Elles font écho auprès des enfants et certains osent prendre la parole sous les encouragements : « C’est très important ce que tu dis là », « Tu en sais des choses », « Attends, j’enregistre ».

En mai de cette année, j’ai terminé le module d’animation à partir du conte Et l’on chercha Tortue dans trois classes de cinquième et sixième d’une école de ma ville.

J’ai réalisé « une mer », comme proposé dans le dossier pédagogique contenu dans la mallette Tapori6. Chaque élève indique une de ses qualités sur un papier en forme de goutte d’eau. Toutes les gouttes sont ensuite collées sur un panneau. J’avais préparé « des vagues » sur lesquelles j’ai écrit quelques phrases « choc », recueillies pendant les animations. A gauche : « Beaucoup souffrent de la honte. Ils aimeraient être respectés ». Au milieu : « J’ai eu le courage de parler parce qu’on a fait une animation sur la honte ». A droite : « On arrête la discrimination. Honte = malheur. Respect = bonheur7 ».

Comme toujours, j’ai été très touché par le courage de certains élèves. Une fille a osé écrire, lire et aller coller sa « goutte » : « Quand je frappe quelqu’un, je ne suis pas bien ». Libérée de la honte provoquée par les regards qui tuent, elle ose. Elle devient militante de la paix. Quelques exemples, d’autres « gouttes » : « Je voudrais être intégrée mais ce n’est pas facile ». « Je sais écouter les autres et pardonner ». « Je suis en paix avec les autres ». « Je voudrais être respectée ». « Je suis bien dans ma famille ». « J’aide les enfants seuls ». « Je rends service à mon arrière grand-père ». « Je dis la vérité ». « Je joue avec les autres même s’ils ne sont pas mes amis ». « J’essaie d’aider ceux qui pleurent ».

Rendre public : il est important que la parole des enfants sorte des murs de la classe. A l’occasion par exemple de la journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre, on peut organiser un rassemblement où les élèves liront d’abord le texte travaillé en classe, l’écriront sur des calicots et prendront la parole.

Passer du monde du cycle infernal de l’exclusion, du monde de la peur au monde de la communion, de la paix : « C’est seulement quand on reconnaît l’autre comme son égal, comme son frère, que quelque chose change » (Geneviève de Gaulle).

1 Voir le document complet sur : http://atd-quartmonde.be/lodel/index.php?id=239

2 Voir également l’article dans RQM n°190/2004 :http://www.editionsquartmonde.org/rqm/document.php?id=1353

3 La boîte à musique, Jean-Michel Defromont, Éd. Quart Monde, Paris, (1980) 1998 (7°éd.), 286 pages.

4 Et l'on chercha Tortue, conte illustré par les enfants du Burkina Faso, Paris, Éd. Quart Monde, (1992)1999 (4e édition), 32 pages.

5 Viens avec nous : c’est en se rencontrant qu’on bâtit le monde , film Tapori http://www.tapori.org/site/Film-Tapori-Viens-avec-nous.html ; d'autres

6 Mallette pédagogique : http://www.tapori.org/site/La-mallette-pedagogique-Tapori.html

7 En réalité, la phrase recueillie était : « Il y a un double parallélisme entre la honte – le malheur et entre le respect et le bonheur ».

1 Voir le document complet sur : http://atd-quartmonde.be/lodel/index.php?id=239

2 Voir également l’article dans RQM n°190/2004 :http://www.editionsquartmonde.org/rqm/document.php?id=1353

3 La boîte à musique, Jean-Michel Defromont, Éd. Quart Monde, Paris, (1980) 1998 (7°éd.), 286 pages.

4 Et l'on chercha Tortue, conte illustré par les enfants du Burkina Faso, Paris, Éd. Quart Monde, (1992)1999 (4e édition), 32 pages.

5 Viens avec nous : c’est en se rencontrant qu’on bâtit le monde , film Tapori http://www.tapori.org/site/Film-Tapori-Viens-avec-nous.html ; d'autres ouvrages existent , qui introduisent à la lutte contre la honte et l'exclusion sociale : Les cinq pierres dorées, Quand je serai cascadeur,... mais aussi des « mini-livres »Tapori racontant l'histoire d'un enfant... http://www.editionsquartmonde.org/-Jeunesse-

6 Mallette pédagogique : http://www.tapori.org/site/La-mallette-pedagogique-Tapori.html

7 En réalité, la phrase recueillie était : « Il y a un double parallélisme entre la honte – le malheur et entre le respect et le bonheur ».

Bernard Declercq

Professeur de sciences et de géographie depuis 1962 à Ath (Belgique) dans le cycle inférieur de l’enseignement secondaire technique industriel. Depuis sa mise à la retraite en 2002, Bernard Declercq est responsable de modules d’animation dans l’enseignement primaire et secondaire.

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