Propos sur l’euthanasie

Titinga Frédéric Pacere

p. 9-13

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Titinga Frédéric Pacere, « Propos sur l’euthanasie », Revue Quart Monde, 220 | 2011/4, 9-13.

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Titinga Frédéric Pacere, « Propos sur l’euthanasie », Revue Quart Monde [En ligne], 220 | 2011/4, mis en ligne le 01 avril 2012, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5247

L’homme n’est-il qu’un corps physique ? Pour l’auteur, c’est la question posée par l’euthanasie. Ces extraits d’un entretien réalisé par la revue burkinabé Sahel Sciences en octobre 2010 sont publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Propos recueillis par Arlette Badolo, Noël Pierre W. Scian, Alex Bimbiri

Maître Titinga Frédéric Pacere : L’euthanasie, au niveau de la dénomination du concept, est tirée du préfixe « eu » qui signifie « bien » avec en adjonction, le mot grec « thanatos » qui signifie « mort » ; l’euthanasie, en quelque sorte c’est, la « bonne mort », dans un contexte de dégradation pénible de santé ; pour la formulation, le mot même « euthanasie », a été forgé, inventé en quelque sorte par un philosophe, Francis Bacon (1561-1626) et figure dans un texte qu’il a livré en 1605 : « Les médecins n’épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité ». On retrouve ici le drame de la situation de malade en situation d’extrême détresse et de mort que peut-être celui-ci ou sa famille souhaite.

On peut en effet maintenir désormais la vie, même si l’homme ne peut plus être utile à la vie, à lui-même, à la société, même si l’homme ne vit que de souffrances incommensurables, sur des dépenses insupportables, leurs familles souvent dans l’indigence, des frais incompressibles et impossibles à supporter, des assurances poussant souvent à la roue sans l’avouer pour abréger les situations. Des hommes sont souvent ainsi, maintenus en vie, mais dans le coma et pour plus de quinze ans ; l’homme peut s’apparenter à un cobaye et la science s’oriente vers des quêtes de performances. Cela peut souvent ne pas être la vie de l’homme qui est en cause mais les limites que la science peut éloigner.

La « qualité » de la vie en sens inverse, c’est-à-dire la réalité de la bonne vie s’est trouvée aussi posée dans la légitimation ou non, de la vie et son droit de cité ; chacun peut avoir sa position sur tout cela mais une position universellement acceptable apparaît impossible.

Dans ce cadre, un autre débat s’est instauré et s’instaure. La sauvegarde de la vie (situation des personnes malades), la qualité de la vie a relevé de la médecine et des médecins dans l’entendement général ; c’est ce qui a fondé les concepts de « paternalisme médical », voire « d’impérialisme médical » ; c’est le médecin qui est supposé connaître le bien et le mal pour le malade, sa famille et ses amis. Mais toute réflexion faite, n’est-ce pas le malade qui souffre à l’extrême ou sa famille qui n’en peut plus, n’est-ce pas à eux de pouvoir trancher ce nœud gordien du maintien de la vie du malade ou de l’aider à abréger cette vie, c’est-à-dire à assumer ce paternalisme médical ? Mais, en extrême situation de désespoir, disposent-ils, eux aussi, du libre arbitre, du recul nécessaire et suffisant pour trancher sur la vie et le droit d’en disposer ?

Le débat réel et philosophique sur l’euthanasie est donc complexe.

Sahel Sciences : L’euthanasie existe-t-elle dans le cadre africain, et particulièrement, a-t-on déjà connu des cas d’euthanasie au Burkina Faso ?

Me T.F.P. : Je n’ai pas connaissance de cas d’euthanasie dans toute l’histoire de l’Afrique, du moins de l’Afrique Noire, et particulièrement au Burkina Faso. Pour l’Africain, la vie est donnée par Dieu et les Ancêtres qui, seuls peuvent y mettre un terme ; aider une personne à mourir, c’est un crime et on ne peut pas être reçu auprès des Ancêtres après sa mort. Au point de vue concept de la vie, je prends le cas des Mossé1 pour la compréhension : l’homme vient d’ailleurs (un autre monde de l’invisible) ; il arrive et vit sur cette Terre ; sa mort est en fait la fin de sa vie ici (pas sa vraie et totale mort), pour un cheminement vers une autre vie. Ce que nous appelons mort ici est pour cette civilisation, un point de départ vers un autre monde ; la mort n’est donc pas la fin de la vie ; l’homme n’a pas à être auteur de rupture de cette vie terrestre, même dans l’impotence de la personne concernée et sa détresse, pour un départ prématuré dans l’autre vie. L’Africain a un devoir d’assistance vis-à-vis de son semblable, même gravement malade, souffrant et défiguré, physiquement ou moralement par la souffrance. On constatera par exemple que, dans notre milieu traditionnel, les fous et les personnes handicapées, quelle que soit leur déformation, sont protégés. Je suis conscient que dans certaines civilisations, des enfants particulièrement malformés, victimes d’encéphalopathies graves et dès la naissance, sont parfois mis à mort mais, à ma connaissance, tant que l’être s’apparente, même déformé, à une personne humaine, il est généralement protégé au Burkina Faso. 

S.S. : Maître, au Burkina Faso, chez les Mossé, il parait que certains Vieux avalent un produit à mort douce ; qu’est-ce que c’est, pourquoi, et est-ce que cela relève de l’euthanasie ?

Me T.F.P. : Cela ne relève pas de l’euthanasie. La situation que vous posez sur le Mogho2 ne porte pas sur une détresse de santé, ne fait pas intervenir un tiers, ni pour la décision, ni pour l’exécution de l’acte ; ce serait de la lâcheté pour la personne en cette situation du Mogho alors qu’il s’agit d’un acte de bravoure, de pleine conscience, de responsabilité au sommet qu’elle entend prendre et très généralement en parfaite santé de corps. Il s’agit généralement d’Anciens d’au moins 60 ans (dans un contexte d’espérance de vie de 45 ans), jamais de femmes, aucune ne pouvant disposer de ce produit même pas prévu notamment dans son mode vestimentaire, sans poche ni espace pour l’abriter.

Du fait que les Mossé sont un peuple de conquérants, de dignité, c’est un principe non officiel mais réel que toute personne responsable, tout chef coutumier (dans l’ancien temps) qui atteint un âge raisonnable, doit rester un homme digne, un Burkina ; si une situation porte atteinte à cette dignité et l’humilie à l’extrême, l’Homme Intègre repose sur des valeurs. Un de ses principes de valeur dit : « Kuum, Sâon yândé », « La mort vaut mieux que le déshonneur ».

Les grands hommes, les hauts responsables (il faut être d’un certain âge), ont, à l’encolure de leur boubou intérieur et caché, un produit appelé en moore, Sûnaadre ; il s’agit d’un poison doux mais foudroyant. Si la personne se trouve subitement devant une situation d’extrême déshonneur, elle détache le produit et l’avale, hors de toute présence ; on constatera en général la mort, au deuxième chant du coq (4h30 du matin). J’ai été interpellé une fois en catastrophe pour une telle situation. Le Sunaadre est utilisé aussi par des gens de guerre (les terribles Tansoba) ; avant l’époque coloniale, très peu d’entre eux ayant perdu une guerre sont revenus vivre dans leur région ; tous ont avalé ce produit contre l’humiliation et sont restés sur les champs de bataille.

S.S. : Maître, de nos jours, particulièrement pour le Burkina Faso, est-ce que le problème de l’euthanasie est posé dans la loi ou dans la pratique judiciaire ?

Me T.F.P. : Je ne crois pas qu’en Afrique, surtout au Burkina Faso, le problème de l’euthanasie se trouve posé, la vie étant trop sacrée pour ce continent pour qu’on puisse penser à l’abréger d’une manière ou d’une autre. Du point de vue de la législation, pour le Burkina Faso, je ne connais pas de dispositions expresses en la matière ; l’article 362 du code pénal, (Loi 43/96 ADP du 13 novembre 1996 portant code pénal), édicte, par exemple, que si des violences sont exercées ou des privations « sont pratiquées avec l’intention de provoquer la mort, les auteurs sont punis comme coupables d’assassinat », et l’assassinat est puni de la peine de mort. Ainsi, priver quelqu’un de subsistance, d’assistance, de soins, avec une intention de provoquer la mort est un crime puni par la peine de mort. Même en matière de suicide, aider quelqu’un à se suicider est une infraction. Face à cela, le code édicte en l’article 352 que « Est puni d’un emprisonnement, quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril, l’assistance que, sans risque pour lui ou pour le tiers, il pouvait lui porter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ». Cela donc signifie qu’au Burkina Faso, loin d’aider quelqu’un à mourir, on est plutôt obligé à l’aider à survivre.

S.S. : Maître, que peut-on dire des religions et des croyances, face à l’euthanasie ?

Me T.F.P. : Il y a lieu tout d’abord de souligner, concernant les trois religions du Livre (islam, christianisme et judaïsme), que pour elles, la vie de l’homme provient de Dieu. En ce sens, l’homme n’a pas un libre arbitre pour disposer lui-même de sa vie. Pour les chrétiens et les juifs, l’homme est créé à l’image de Dieu, c’est-à-dire que sa vie est sacrée, mais surtout que cette vie ne peut diminuer ni s’altérer en matière de dignité ou même d’incapacité. Sur les religions révélées et concernant l’Islam, l’homme est la créature qui porte l’empreinte divine et représente cette puissance divine sur la terre ; l’euthanasie active, (acte volontaire commis par un tiers à la demande du malade), est donc interdite dans les principes du Coran (Shar’an). C’est un meurtre, même sur la demande du patient qui souffre. Le médecin ne peut pas mieux connaître et aimer l’homme qui souffre plus que Dieu et son œuvre divine. Au regard du bouddhisme, on constatera que certains maîtres ne s’opposent pas à l’euthanasie passive, mais le 14ème Dalaï Lama, (l’actuel), est formellement contre l’euthanasie active.

S.S. : Maître, pouvez-vous nous citer des dossiers dans lesquels ce drame de l’euthanasie s’est posé ?

Me T.F.P. : Le problème s’est beaucoup posé en Occident, en particulier en Europe, en raison des situations d’extrême complexité et de prises de positions publiques, ouvertes dans l’opinion. On notera que la Cour européenne des droits de l’homme est très réticente à l’égard de l’euthanasie. L’euthanasie pose une problématique, peut-être la plus grave de l’homme en regard de la vie et donc aussi, de la mort. L’homme, sans connaître l’origine dans toute sa maîtrise, la raison, le fondement exact de sa vie et de la vie tout court, sans connaître exactement la raison en ce sens de l’Architecte de cette vie et son implication de mort, de précarité en regard de cette vie, l’homme, dans ce contexte et ces contextes, peut-il mettre un terme à cette vie, souvent la sienne, souvent celle des autres qu’il n’a pas façonnée ? L’homme, souvent appelé pour soigner et donc, guérir, vis-à-vis des autres, peut-il être l’artisan de la suppression de la vie de ces autres ? C’est tout cela la problématique que pose l’euthanasie. Vouloir trancher dans l’affirmative, c’est vouloir ramener l’homme à son exclusif corps physique, dans le corps physique de l’univers, à le détacher de son origine quelque peu immanente qui le lie depuis la nuit des temps, à la mort, trame mystique qu’aucune science, de manière univoque et indiscutée à ce jour, n’a pu encore expliciter.

1 Les Mossé ou Mossi en français, désigne les habitants du plateau central, l’ethnie majoritaire au Burkina Faso.

2 Mogho désigne le monde ou plutôt le monde des Mossé.

1 Les Mossé ou Mossi en français, désigne les habitants du plateau central, l’ethnie majoritaire au Burkina Faso.

2 Mogho désigne le monde ou plutôt le monde des Mossé.

Titinga Frédéric Pacere

Avocat, bâtonnier de l’Ordre, avocat au Tribunal pénal international pour le Rwanda (Arusha), membre de l’Académie française des sciences d’outre-mer, membre titulaire de l’Académie Centrale Européenne, Maître Titinga Frédéric Pacere, auteur de nombreux ouvrages, a fondé le musée de Manega où il a voulu ériger une réplique de la dalle à l’honneur des victimes de la misère. I est membre du Comité international pour le 17 octobre, Journée internationale de lutte contre la misère.

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