Lettre ouverte aux partis politiques

Délégation nationale ATD Quart Monde France

p. 44-46

References

Bibliographical reference

Délégation nationale ATD Quart Monde France, « Lettre ouverte aux partis politiques », Revue Quart Monde, 221 | 2012/1, 44-46.

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Délégation nationale ATD Quart Monde France, « Lettre ouverte aux partis politiques », Revue Quart Monde [Online], 221 | 2012/1, Online since 01 November 2012, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5314

Dans cette Lettre ouverte envoyée en vue des élections présidentielles de 2012, ATD Quart Monde interpelle les différents partis politiques français, leurs militants et toutes les personnes vivant en France sur la façon dont ils comptent traiter les questions de société soulevées par les personnes vivant dans la grande précarité et par celles qui leur sont solidaires.

Construire la société avec tous

Face à la progression actuelle des intolérances et du totalitarisme de l’argent, notre démocratie est en danger et doit être revivifiée. Pour cela, elle a besoin de la réflexion des plus démunis, eux qui font l’expérience quotidienne du déni de justice et des droits de l’homme, du déni de liberté, d’égalité et de fraternité.

Nous savons que les politiques visant à faire respecter l’égale dignité de chacun ne peuvent pas aboutir à l’échelle d’un seul pays et en aucun cas sur la base de la préférence nationale. Depuis toujours, les populations immigrées ou déplacées rejoignent en grande partie les lieux de pauvreté des pays où ils arrivent, y subissant le même dénuement et le même rejet que ceux qui y résident déjà. Ce fut précisément le cas du fondateur d’ATD Quart Monde, le père Joseph Wresinski, né d’un père polonais et d’une mère espagnole immigrés venus échouer dans un quartier déshérité d’Angers.

Les politiques d’accès de tous aux droits et devoirs de tous exigent donc une concertation approfondie entre les pays et les peuples. Elles nécessitent notamment que soit renforcée l’Europe non seulement dans son rêve de supprimer les frontières physiques, mais dans ses aspirations à abolir les frontières sociales. Elles nécessitent que soient renforcées les Nations unies dans leur ambition de faire face aux défis du monde, en particulier celui de l’éradication de la misère.

Que devient le principe républicain de Liberté ?

Nous ne voulons pas d’une société qui, à l’instar de ce que prônent certains responsables politiques actuellement, accentue le contrôle des plus pauvres en les faisant passer globalement pour coupables de leur situation, profiteurs des aides sociales et générateurs d’insécurité. Nous refusons que l’opinion publique, ainsi abusée, en arrive à faire l’amalgame entre pauvreté et délinquance et laisse s’installer des politiques de plus en plus sécuritaires qui, de fait, portent atteinte aux libertés de tous.

ATD Quart Monde appelle les différents Partis à élaborer des politiques qui conduiront à davantage de sécurité et de liberté pour tous, en garantissant que nul ne sera jamais abandonné. C’est possible si ces politiques s’inscrivent dans un vrai projet de civilisation qui consiste à considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie du plus pauvre et du plus exclu. Cela suppose de regarder ceux qui sont en grande difficulté non pas comme des personnes « à charge », qu’il faut assister ou contrôler, mais comme des citoyens à part entière qui ont besoin de confiance pour que se libèrent leurs potentialités.

L’accès à un véritable emploi est quasiment impossible pour les plus démunis. Dès lors, ils se trouvent beaucoup trop systématiquement relégués dans des circuits spécifiques, aux conditions d’attribution complexes donnant lieu à de multiples contrôles.

Insécurisés et rendus dépendants, ils ont le sentiment que l’on n’attend plus rien d’eux.

La peur d’être constamment jugés et laissés durablement de côté entrave leur liberté de parole et de pensée.

ATD Quart Monde demande aux Partis politiques de s’inspirer d’initiatives nées en France ou dans d’autres pays pour proposer aux personnes les plus en difficulté de véritables emplois permettant des revenus décents, qui libèrent de la dépendance. Ces initiatives qui ont fait leurs preuves devraient être soutenues et généralisées pour répondre aux aspirations au travail de ceux que l’on a trop tendance à considérer comme refusant tout emploi.

Que devient le principe républicain d’Égalité ?

Nous ne voulons pas d’une société où l’accès aux droits est réservé à certains. C’est pourquoi, avec d’autres, ATD Quart Monde n’a cessé d’inciter les pouvoirs publics à engager une politique d’accès de tous aux droits et devoirs de tous par la mobilisation de tous. La couverture maladie universelle et le droit opposable au logement en sont deux exemples tangibles. Le droit à l’éducation, comme ceux à la culture, à la formation, à l’emploi, à la participation citoyenne, doivent également devenir effectifs pour tous – et opposables - sous peine de rester des privilèges.

ATD Quart Monde demande aux différents Partis de s’engager à concevoir leurs politiques comme devant permettre l’accès de tous aux droits de tous. Il leur demande de penser les mesures spécifiques pour les plus démunis – quand elles sont incontournables – non pas comme des voies de garage (telles les distributions alimentaires instituées), mais comme des passerelles conduisant le plus directement possible vers le droit commun.

La discrimination pour origine sociale (adresse, filière d’éducation, nature des ressources, etc.) vient d’être reconnue et dénoncée par la Haute Autorité de Lutte contre la Discrimination et pour l’Égalité qui appelle l’État à la combattre1. Une autre forme de discrimination devrait disparaître, alors même qu’elle refait surface actuellement, celle qui consiste à faire une distinction fallacieuse entre pauvres « méritants » et « mauvais » pauvres.

ATD Quart Monde demande aux différents Partis de prendre à bras-le-corps le principe républicain d’égalité et de faire de la lutte contre la discrimination pour origine sociale un de leurs engagements explicites. Toutes les formes de racisme, sociales et autres, doivent devenir moralement inacceptables et légalement interdites.

Que devient le principe républicain de Fraternité ?

Nous ne voulons pas d’une société où la peur du déclassement social pousse au repli sur soi et sur les siens et crée encore davantage de violence. La tentation est parfois grande de créer une fausse unité en pointant du doigt le mauvais pauvre ou l’étranger laissant entendre qu’ils sont sources de violences dans la société. Or, partout dans le monde, l’expérience montre que les plus fragiles paient le prix fort chaque fois que l’on dresse une population contre une autre.

ATD Quart Monde constate qu’il existe une violence faite aux pauvres qui n’est pas reconnue : relégation dans des cités ghettos à l’habitat dégradé, aux services publics absents, discrimination sociale à l’embauche, suspicions, échec scolaire… De même, ne sont pas perçus leurs efforts pour résister à cette violence.

ATD Quart Monde attend des Partis qu’ils soutiennent le sursaut civique qui se lève dans notre pays pour refuser les rejets et pour apprendre à penser et vivre ensemble dans le respect de l’égale dignité de chacun, quel qu’il soit.

C’est en prenant en compte l’expérience et l’intelligence de tous, celle des plus démunis construite collectivement, comme celles des autres, que nous pourrons bâtir une société authentiquement démocratique. Cette reconnaissance des savoirs de tous est une des plus sûres façons de réinstaurer la primauté de l’humain. ATD Quart Monde demande que les pouvoirs publics créent les conditions d’une véritable éducation à la citoyenneté, pour que chacun, dès le plus jeune âge, apprenne à comprendre l’autre et à se faire comprendre, pour que tous apprennent à penser et à vivre ensemble.

Ce texte a reçu les premiers soutiens de : Claude Alphandéry, Yann Arthus-Bertrand, Guy Aurenche, Brigitte Fossey, Régis de Gouttes, Stéphane Hessel, Albert Jacquard, Nonna Mayer, Edgar Morin, Philippe Warin.

1 La Halde appelle le gouvernement « à mener une réflexion sur l'intégration du critère de l'origine sociale dans la liste des critères prohibés et

1 La Halde appelle le gouvernement « à mener une réflexion sur l'intégration du critère de l'origine sociale dans la liste des critères prohibés et sur les modalités de prise en compte des préjugés et stéréotypes dont souffrent les personnes en situation précaire » (Délibération n°2011-121 du 18 avril 2011).

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