Veilleurs de démocratie

Jacqueline Chabaud

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Jacqueline Chabaud, « Veilleurs de démocratie », Revue Quart Monde [En ligne], 122 | 1987/1, mis en ligne le 05 février 1988, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5411

Lors des attentats de septembre dernier à Paris, le pays fut unanime : l’action anti-terroriste devait respecter l’Etat de droit. Mais cet attachement quasi viscéral au droit ne risque-t-il pas de donner le sentiment complaisant d’une certaine idée de la France ?

Un exemple permettra d’illustrer l’ambiguïté et les limites de notre conception de l’Etat de droit : il a fallu trois ans d’effort pour que Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS-Attentats, réussisse à faire voter une loi qui prenne en compte les blessures physiques, psychiques et sociales faites aux victimes des attentats et à leurs familles. Quand cette femme et une jeune étudiante vendeuse aux Galeries Lafayette, témoignèrent de l’abandon tragique où elles furent laissées depuis 1974, les journalistes, habituellement si bavards, se turent (Droit de réponse TF1, 11 octobre 1986). Certes j’ai senti dans ce silence le respect dû à ceux qui souffrent, mais aussi comme un aveu de culpabilité. N’était-ce pas à eux, journalistes, qu’il revenait d’enquêter sur le sort des victimes et d’alerter l‘opinion ? Pour eux, il ne s’agissait pas seulement de solidarité, mais de l’essence même de leur métier : informer. Autrement dit, faire savoir, rompre le silence.

Lorsque voilà deux ans Jacques Abouchar revenait, libéré des prisons afghanes, le débat télévisé qui avait suivi avait témoigné de cette passion commune à tout journaliste : aller chercher l’information cachée au-delà de tous les murs du silence, au risque d’y laisser sa peau. C’est l’honneur de la profession, et on ne compte plus les reporters emprisonnés, torturés ou même tués à ce champ d’honneur-là. Pourquoi pareille passion joue-t-elle si rarement dès lors qu’il s’agit de briser les murs de silence élevés chez nous ?

Passés l’événement sanglant et ses images, chaque fois le silence est tombé, tel un couperet, sur les victimes du terrorisme. Leur donner la parole, c’eût été et leur rendre justice et permettre à l’Etat de droit de progresser vers la justice. Les victimes d’avant cette loi d’indemnisation, promulguée le 9 septembre dernier, auraient sans doute obtenu gain de cause au lieu de devoir s’en remettre à la charité publique ou privée comme elles sont condamnées à le faire, la loi n'ayant pas d'effet rétroactif.

Françoise Rudetzski l’avouait lors de ce Droit de réponse : avant d’être elle-même cruellement atteinte en 1983, elle ne s’était jamais posé de questions. Peut-être croyait-elle, comme tant d’autres que l’Etat de Droit signifiait dans son cas indemnisation et aide. Confiance naïve ? Non. Absence d’informations, on pourrait presque dire désinformation.

Quand la presse est libre, dans un pays libre, les journalistes ne sont-ils pas des veilleurs de démocratie ? Et si  faute d’hommes et de moyens, ils ne pouvaient veiller à tous, du moins devraient-ils prêter une oreille attentive aux associations qui dénoncent les lacunes de notre Etat de droit : SOS-Attentants, ATD Quart Monde et tant d’autres…

Jacqueline Chabaud

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