« Avons-nous encore vraiment des droits ? »

Laura Mason

Citer cet article

Référence électronique

Laura Mason, « « Avons-nous encore vraiment des droits ? » », Revue Quart Monde [En ligne], 224 | 2012/4, mis en ligne le 01 octobre 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5500

En contestant, au nom du droit, les décisions imposées aux siens, l’auteure espère contribuer à une meilleure compréhension entre les familles et les divers services administratifs. Propos recueillis par Martin Kalisa et Xavier Verzat.

Mère de famille britannique et membre de l’Université populaire Quart Monde, Laura Mason a vu sa famille totalement détruite à cause du placement de ses enfants.

Je m’appelle Laura Mason

J’ai deux filles adolescentes et un bébé de deux mois qui vivent avec moi. Le juge a décidé de m’enlever mes autres enfants, certains d’entre eux ont été placés en familles d’accueil et d’autres placés pour adoption. Toute ma famille et mes amis m’ont soutenue pour que nous puissions rester unis, mais cela n’a pas été pris en compte par la justice.

J’écris cet article pour défendre les droits de mes enfants. Tous mes enfants avaient vécu ensemble depuis la naissance. La décision du juge leur a enlevé tous leurs droits y compris le droit d’être frères et sœurs. Mes deux enfants adoptés ne peuvent plus voir le reste de la famille. Les autres enfants placés ne peuvent pas se retrouver ensemble. Et le reste de la famille ne peut plus voir tous ces enfants-là. Ma famille a été totalement détruite.

Et à quoi vont croire mes enfants s’ils ne peuvent pas compter les uns sur les autres parce qu’ils sont séparés ? Ce sont eux qui représentent la génération future et je crains qu’ils se retrouvent dans une société qui ne leur permette pas d’être là l’un pour l’autre et cela sera destructeur, spécialement d’un point de vue émotionnel. Cela va créer une société dysfonctionnelle. En perdant leurs droits, mes enfants ont en même temps perdu leur citoyenneté. Et peut-être qu’ils ne la récupèreront pas à l’avenir. En effet on ne leur demande rien sur ce qui les concerne, et s’ils s’expriment, leur parole est ignorée.

J’écris cet article aussi parce que je vois que trop de familles et d’enfants souffrent et vivent des injustices en Grande-Bretagne et ailleurs, et j’ai l’espoir que cela change. C’est ce que j’ai voulu transmettre à l’Université populaire Quart Monde européenne en mars 20121.

J’espère que cela mènera à quelque chose à l’avenir, que l’on puisse mettre en place des espaces de vrai dialogue afin de mieux se comprendre entre les services sociaux et les parents et les familles, plutôt que de séparer les enfants, qu’ils soient perdus et qu’on ne puisse pas se retrouver. J’espère aussi que dans ce temps de crise économique, on ne va pas continuer des pratiques extrêmement coûteuses et qui reproduisent dans la majorité des cas un cercle vicieux de générations perdues. Ma famille avait besoin d’une aide pour permettre à mes enfants de rester ensemble à notre domicile, en réalisant un agrandissement de la maison pour avoir des conditions de logement correctes. Au lieu de cela on dépense et on va continuer à dépenser des dizaines de milliers de livres sterling pour placer mes enfants. En plus de m’avoir retiré mes enfants, on m’a infligé une condamnation qui a pour conséquence de m’interdire tout travail avec les enfants ou avec des adultes vulnérables, m’empêchant ainsi d’exercer la profession pour laquelle j’ai été formée et qui me permettrait de gagner ma vie et de procurer un meilleur avenir à ma famille.

Pour toutes ces raisons, je veux continuer à agir, pour ma famille et pour les autres familles. Et je pense que mes deux adolescentes ont raison d’avoir écrit à une association de droits humains pour dénoncer l’impossibilité où elles se trouvent de maintenir les liens avec leurs frères et sœurs placés ou en adoption.

Lettre d’avril 2012 à l’ISA

Je soussignée, demeurant à X, souhaite faire valoir à l’ISA (Independent safeguarding authority2) les raisons pour lesquelles j’estime de ne pas avoir à figurer sur leurs listes.

Je reconnais que j’ai été reconnue coupable de six infractions pour « actes de cruauté envers un enfant ou un jeune ».

Je voudrais d’abord souligner qu’il ne s’agit pas de six actes de cruauté. Il s’agit d’un seul incident dans lequel six enfants étaient concernés, et de ce fait j’ai été reconnue coupable de six infractions.

Deuxièmement, je voudrais commenter les mots utilisés dans l’arrêt du tribunal. Dans le dictionnaire, la cruauté est « l’acte d’infliger une douleur ou une souffrance à d’autres personnes », et il n’y a pas une seule preuve apportée pour fonder cela dans mon cas. Jamais personne, qu’il soit policier ou travailleur social, ou qui que ce soit d’autre, n’a affirmé que j’aie pu faire preuve de cruauté physique ou psychologique envers un enfant, ni exercé de la violence ou commis un abus.

Le mot « cruauté » dans ce contexte est utilisé pour décrire un grand nombre d’infractions différentes, et ce pourquoi j’ai effectivement plaidé coupable, c’était la négligence dans la tenue de ma maison, négligence que mes enfants ont subie. Je reconnais que ma maison était très, très en désordre, et quand la police est venue en mon absence pour chercher mon partenaire, ils ont considéré que mon logement était sale, ce que je dois accepter3

Les circonstances de cet incident sont les suivantes : j’avais huit enfants, un compagnon qui était parfois en prison, parfois avec nous, et nous vivions dans un quatre pièces. L’autorité municipale chargée du logement a reconnu que d’après la loi ils auraient dû construire une extension de la maison, mais ils ne l’ont pas fait, donc je n’ai pas pu avoir une salle à manger et assez d’espace de rangement, etc.

Je veux aussi signaler que la juge doit avoir pris en compte mon point de vue parce qu’elle m’a donné la plus petite peine possible dans un tel cas, une période de mise à l’essai d’un an. Si elle avait pensé qu’il y avait une « cruauté » quelconque, j’aurais sûrement été mise en prison.

Tous ceux qui ont témoigné en Cour lors de la procédure judiciaire et également lors des auditions du Tribunal aux affaires familiales ont reconnu que mes enfants et moi avions un lien très proche et que je les ai aimés et me suis vraiment souciée d’eux.

Malheureusement, à cause de la confidentialité des audiences au Tribunal aux affaires familiales, je ne suis pas en mesure d’apporter la preuve de ces déclarations. Cependant un certain nombre de mères au cours des dernières années m’ont confié leurs enfants en garde et ont continué à le faire, alors même qu’elles savaient que j’avais plaidé coupable de l’accusation de négligence à laquelle je faisais face. Elles ne m’auraient pas confié leurs enfants si elles avaient été inquiètes de la manière dont je m’occupe des enfants. Je joins à ce courrier plusieurs déclarations qui vont dans ce sens.

Le Tribunal aux affaires familiales m’a permis de garder mes deux aînées. Si quelqu’un avait pensé que je risquais de leur faire subir une cruauté, physique ou psychologique, ils n’auraient pas pris cette décision.

Je joins à mon envoi des lettres de mon médecin traitant, du Révérend Paul Nicholson, de Martin Kalisa, directeur de la Maison familiale de Frimhurst d’ATD Quart Monde, d’Ian Clark ancien directeur adjoint de l’École secondaire royale de Guildford. Ce sont tous des professionnels ou d’anciens professionnels. Tous sont prêts à me faire une lettre de recommandation pour un travail auprès de personnes en situation de vulnérabilité. J’ai acquis une formation dans ce domaine il y a quinze ans et je pensais suivre prochainement une mise à niveau quand votre lettre est arrivée.

Je comprends que, lorsque vous avez pris connaissance de ma condamnation pour « cruauté envers des enfants », vous avez estimé que vous étiez obligés d’envoyer la lettre que vous avez rédigée. J’ai été choquée et attristée quand j’ai lu que j’étais désormais inscrite au registre des personnes interdites de travail avec les enfants. J’ai été encore plus choquée de lire que j’étais aussi sur la liste des personnes interdites de travail avec les adultes en situation de vulnérabilité.

Au vu de tout ceci je voudrais faire valoir qu’il n’y a aucune raison pour laquelle je ne devrais pas être en mesure de travailler avec des enfants ou des adultes. Vous avez maintenant pris connaissance du contexte et vous disposez d’une vision plus large de la situation. Je vous demande instamment de reconsidérer votre décision et d’enlever mon nom des deux listes, celle des personnes interdites de travailler avec des enfants, et celle des personnes interdites de travailler avec des adultes vulnérables.4

1 Depuis 40 ans, les Universités populaires Quart Monde permettent de libérer la parole des personnes très pauvres et d’apprendre ensemble. Lors de la

2 L'Autorité indépendante de sauvegarde est une institution publique britannique qui peut décider si une personne est autorisée ou non soit à

3 NDLR: Sur ce passage de sa lettre, Mme Mason a apporté une précision: « Si j'avais voulu contester ce point - la saleté et la négligence envers les

4 NDLR: En date d'octobre 2012, Mme Mason n'a pas reçu de réponse de l'ISA, en dehors de l'accusé de réception de la lettre.

1 Depuis 40 ans, les Universités populaires Quart Monde permettent de libérer la parole des personnes très pauvres et d’apprendre ensemble. Lors de la douzième UPQM européenne, le 5 mars 2012, cent-vingt représentants de dix pays ont témoigné de leur mobilisation pour la dignité humaine et les droits des citoyens. Ils ont dialogué avec des responsables européens et élaboré des propositions. Voir article page 14.

2 L'Autorité indépendante de sauvegarde est une institution publique britannique qui peut décider si une personne est autorisée ou non soit à travailler auprès d'enfants, soit auprès d'adultes en situation de vulnérabilité (personnes âgées, déficientes intellectuelles, etc.).

3 NDLR: Sur ce passage de sa lettre, Mme Mason a apporté une précision: « Si j'avais voulu contester ce point - la saleté et la négligence envers les enfants -, ils auraient obligé mes enfants aînés à venir au tribunal, et je n'ai pas voulu leur faire porter le poids d'une telle procédure. »

4 NDLR: En date d'octobre 2012, Mme Mason n'a pas reçu de réponse de l'ISA, en dehors de l'accusé de réception de la lettre.

CC BY-NC-ND