Cuiseurs solaires : pari réussi !

Thérèse Convert Lemaire

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Thérèse Convert Lemaire, « Cuiseurs solaires : pari réussi ! », Revue Quart Monde [En ligne], 225 | 2013/1, mis en ligne le 05 août 2013, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5585

Coup de projecteur sur une association active dans les Andes, en France, et en Afrique, dont l’objectif est de remplacer la cuisson des aliments au bois par des cuiseurs simples à utiliser et sobres en énergie, rendant ainsi les familles pauvres actrices d'une lutte contre le gaspillage énergétique, et d'un comportement écologique qui nous concernent tous.

De retour de l'école, ils trouvent le repas tout prêt. Leur maman l'a préparé tôt ce matin, avant de partir travailler. Pourtant, il est chaud ; pas besoin de le sortir du réfrigérateur, de le réchauffer, il suffit d'ouvrir la boîte, de soulever le couvercle et de se servir. En effet leur mère cuisine avec un cuiseur thermos comme d'autres femmes du quartier. Du quartier, mais pas seulement. Le même scénario se reproduit dans bien d'autres villes, villages et dans d'autres pays du monde où l'on utilise des cuiseurs économes en énergie. Ce sont des outils simples qui permettent de cuisiner en diminuant de 50 à 100%  sa dépense d'énergie. L'association Bolivia Inti - Sud Soleil (BISS)1 a pour objectif de permettre aux familles démunies de remplacer la cuisson des aliments au bois, dont la collecte et les fumées sont meurtrières, et/ou utilisant des combustibles fossiles onéreux,  par des cuiseurs simples à fabriquer, à utiliser, et sobres en énergie, sobriété énergétique également promue en France. Elle a développé trois cuiseurs de base : le cuiseur solaire, le cuiseur à bois économe et le cuiseur thermos2.

Le cuiseur thermos cumule de nombreux avantages

Il est facile à fabriquer, modulable en fonction de la taille de sa famille et de sa cuisine, et il est simple à utiliser. On commence la cuisson sur le gaz, puis on pose la marmite dans le cuiseur thermos où elle se terminera toute seule. Mais la simplicité n’empêche pas le respect de certaines règles. C'est pourquoi, afin d’éviter les erreurs et les échecs décourageants, BISS propose une journée de formation pour fabriquer son cuiseur et apprendre à s’en servir. Une fois les bases acquises on bénéficie de tous ses autres avantages : économies d'argent, d'énergie, de temps ; meilleure qualité gustative et diététique des repas… etc.

Dans un quartier pauvre d'une grande ville française son utilisation est devenue quotidienne. Quand une femme à qui l'on demande d'emprunter son cuiseur thermos pour le week-end dit : « Oui mais j'en ai besoin, tu me le rends quand ? », on mesure à quel point il lui est utile. Avant d'en arriver là, il a fallu qu'elle, et d'autres femmes voient - à plusieurs reprises - combien ce cuiseur rendait service ; par exemple, lorsqu'après une matinée d'activité commune, l'animatrice sortait de son carton magique, le repas cuit et chaud. On mesure aussi son intérêt quand un Rwandais s'émerveille de sa consommation réduite. « Avant, pour cuire les haricots, on mettait deux à trois fois de l'eau et on avait besoin de quatre fois plus de charbon de bois. Maintenant, on en cuisine plus souvent, c'est moins cher et c'est nourrissant»

Innovation ?

Comment dire que le cuiseur thermos est une nouveauté, sachant qu'il a pour ancêtre « la marmite norvégienne » ? Elle fut largement utilisée pour faire lever le pain, fabriquer les yaourts, finir les cuissons. On a retrouvé dans des greniers familiaux de belles boîtes en bois à l’intérieur tapissé de zinc. Certains se souviennent du panier dans lequel on oubliait jusqu'à l’heure du repas, les pommes de terre qui avaient commencé à cuire sur le poêle chauffant la salle de classe. D’autres, de la caisse fabriquée par leur père, et qui, au moment de la guerre, servait chaque jour. Puis cette marmite norvégienne fut délaissée avec la fin des restrictions… pour la majorité des foyers français !

Les autres cuiseurs ont aussi une longue histoire

Comment dire que le cuiseur à bois économe est une nouveauté quand on sait que depuis toujours, les bûcherons dans les forêts d'Europe de l'Est utilisent un procédé similaire à partir d'un tronc d'arbre évidé ? Mais quel confort de passer du « foyer trois pierres » au cuiseur à bois économe !

Comment dire que le cuiseur solaire est une nouveauté quand on sait que dans l'antiquité, les pains des esséniens étaient exposés au soleil sur des pierres plates3 et qu’il fut réinventé en 1767, par Horace de Saussure ? Même s'il a fallu deux siècles pour transformer cette technique en objet concret !

Le pari de l'innovation environnementale et humaine

L'innovation est d'avoir mis ces techniques à disposition de ceux qui sont victimes de la dégradation de leur environnement.

Couper des arbres sans en replanter engendre la déforestation ?

C'est pour les femmes et les fillettes qui vont plusieurs fois par semaine charger des fagots de bois sur leur dos, que les chemins sont longs, fatigants et dangereux.

La pollution, la fumée des cigarettes provoque maladies et cancers des voies respiratoires ? L'exposition quotidienne aux fumées de cuisson est responsable de plus d'un million et demi de morts chaque année. Et combien de maladies chroniques ?

La prolifération de l'usage des plastiques dans le domaine alimentaire est un risque pour la santé ? La fumée dégagée par les divers plastiques brûlés, faute d'autres combustibles pour cuire les repas, ce sont les femmes et les enfants qui en subissent le plus les conséquences.

Et l'injonction de réduire son empreinte écologique est un refrain bien difficile à entendre quand on n'a pas de quoi remplir la marmite ! J'ai en tête la réflexion d'Alain Genin, un volontaire à El Alto en Bolivie: « Comment veux-tu que les familles utilisent ‘ton’ cuiseur solaire ? Le matin, elles n'ont rien à faire cuire. Elles vont travailler en ville pour gagner de quoi prendre au moins un repas dans la journée. »

Avoir voulu partager avec des familles démunies, un moyen de participer à la protection de l'environnement, quel pari ! Nos abus de consommation d'énergies fossiles provoquent un changement climatique ? Leur utilisation quotidienne des cuiseurs écologiques permet de réduire l'émanation de CO2 d'une tonne par an. Pari réussi.

Car l'innovation principale réside dans l'appropriation d'un outil économique et écologique par les familles pauvres qui deviennent actrices d'une lutte contre le gaspillage énergétique, actrices d'un comportement écologique qui concernent tout le monde et dont elles sont toujours exclues.

Pari réussi !

Pari réussi quand le travail conjoint entre Africains et Français permet d'entendre : « Le cuiseur nous a délivrées de la corvée de bois, il a dénoué cette courroie d'esclavage qui nous enserrait depuis des siècles. »

Pari réussi quand les femmes d'un camp de réfugié au Darfour disent: « Nous n’avons pas assez de bois. Le cuiseur solaire va aider à moins consommer de bois. Ce que j’ai appris, je vais le montrer à mes voisines. Il faut que toutes les femmes puissent avoir un cuiseur solaire. »

Pari réussi quand on entend Kalipha Athie, Sénégalais, président de l'Association villageoise pour l'éducation et le développement (AVED) dire : « Le cuiseur à bois économe économise plus de 60% de bois, cela correspond - si tous les foyers en étaient équipés - à une économie de 12 tonnes par semaine. » Et les utilisatrices d'ajouter : « On ne tousse plus, nos yeux ne pleurent plus, la chaleur dans la cuisine a baissé, on peut cuisiner avec de beaux boubous et ceux-ci ne sentent plus, la cuisson est plus rapide, la nourriture colle moins au fond, les risques de brûlures et d'incendie sont réduits. »

Pari réussi quand le sujet de la protection de l'environnement est abordé au Chili, lors des journées de formation, par la projection suivie d'échanges, du film d'Al Gore : Une vérité qui dérange.

Pari réussi lorsqu'une femme des hauts plateaux andins dit : « J'ai enfin un outil moderne, quelque chose à donner en héritage à mes enfants. » On comprend que le cuiseur solaire dont elle parle n'est pas un gadget de bobo écolo.

Pari réussi quand une autre explique l'abandon de son projet de partir en (bidon) ville. « Avec le cuiseur solaire, je dépense moins, j'ai le temps de travailler, je cuisine des plats que je revends. »

Pari réussi au vu du nombre de cuiseurs utilisés depuis 1999, grâce à l'implication des habitants, certains étant devenus des formateurs professionnels, partenaires de BISS.

Un autre pari est à relever en France : permettre aux familles les plus pauvres de s'approprier les cuiseurs écologiques grâce à des personnes qui tenteraient avec elles, l'expérience d'une cuisine économe en énergie, mais pas en solidarité.

Objectifs du millénaire pour le développement

Pari réussi quand les divers outils développés par BISS et ses partenaires (cuiseurs écologiques, séchoirs solaires, douches solaires), concourent à la réalisation des huit objectifs du millénaire. Ils participent à l'éradication de l'extrême pauvreté et de la faim; libèrent les fillettes qui peuvent, comme leurs frères, aller à l'école; permettent aux femmes de faire autre chose que la collecte du bois et la surveillance du feu ; diminuent la mortalité infantile; améliorent la santé des femmes ; réduisent les maladies; assurent la durabilité des ressources en bois; limitent l'émanation de CO2, une des causes du changement climatique.

1 Bolivia car tout a commencé avec des Boliviens, des Péruviens et des Français. L'action amorcée en 1999 s'est poursuivie dans les Andes, en France
2 Les cuiseurs écologiques de BISSsont une réponse locale, simple, concrète, efficace et immédiate… En France, ils sont préfabriqués par un atelier d'
3 Article de Rozenn Paris, La cuisson solaire, ici et là bas, publié dans la revue Biocoop n° 228, Octobre 2012.
1 Bolivia car tout a commencé avec des Boliviens, des Péruviens et des Français. L'action amorcée en 1999 s'est poursuivie dans les Andes, en France et en Afrique. Inti : ce mot signifie soleil en quechua, une des langues parlées par les habitants des Andes. Sud Soleil, pour développer la cuisson écologique partout où la déforestation menace les hommes et les écosystèmes. Adhésion: 20 € par an ; site : www.boliviainti-sudsoleil.org
2 Les cuiseurs écologiques de BISS sont une réponse locale, simple, concrète, efficace et immédiate… En France, ils sont préfabriqués par un atelier d'insertion, ailleurs, par les artisans locaux. Le cuiseur solaire boîte. C’est une caisse qui laisse entrer les rayons du soleil, provoquant à l'intérieur un effet de serre. Il est particulièrement bien adapté aux climats secs  et ensoleillés. Le cuiseur à bois économe. C’est un foyer optimisant l’utilisation des calories produites par les flammes. Il peut être équipé d’une plancha et d’un four. Le cuiseur thermos. C'est une boîte en carton, en bois ou un panier, dont tous les cotés sont isolés. Ses parois internes sont tapissées d’un aluminium réfléchissant qui renverra vers la marmite les rayons infrarouges qu’elle dégage -obtenus par un premier chauffage. Ce cuiseur sans feu termine la cuisson -de jour comme de nuit - à l’étouffée.
3 Article de Rozenn Paris, La cuisson solaire, ici et là bas, publié dans la revue Biocoop n° 228, Octobre 2012.

Thérèse Convert Lemaire

Thérèse Convert Lemaire a été volontaire permanente d’ATD Quart Monde pendant quinze ans. Après plusieurs voyages en Amérique du Sud, elle est adhérente active à Bolivia Inti - Sud Soleil depuis 2004, dont elle est le relais en Limousin (France).

CC BY-NC-ND