Vacances, vous avez dit vacances ?

Élodie Petit and Yves Petit

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Élodie Petit and Yves Petit, « Vacances, vous avez dit vacances ? », Revue Quart Monde [Online], 226 | 2013/2, Online since 09 June 2020, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5614

Quand un séjour de vacances peu ordinaire fait entrevoir une société plus solidaire…

Nous voudrions partager avec vous une belle expérience de rencontre interculturelle, vécue lors d’une semaine de vacances passée dans la maison de vacances familiales animée par ATD Quart Monde, à La Bise1, dans le Jura (France), du 20 au 30 décembre 2012.

Au départ, un mélange social voulu

Cette maison est ouverte l’été et aussi durant l’année. On y accueille des familles qui ne sont jamais parties en vacances avec leurs enfants ou qui cherchent un lieu pour vivre un temps de sérénité ensemble lorsque les enfants sont placés. Grâce aux volontaires présents à l’année et aux bénévoles « accueillants » qui les accompagnent, les familles ne s’occupent pas de la logistique de la vie quotidienne. Des activités diverses sont proposées aux parents et à leurs enfants par les accueillants.

Le projet que porte ATD Quart Monde à la Bise fait partie intégrante de sa mission de défense des droits fondamentaux pour tous. Pour nous, l’objectif de la Bise n’est pas dans la connaissance (compréhension) des familles, mais plutôt dans la reconnaissance de ces familles en tant qu’individus ayant les mêmes droits que tous (droit aux vacances, droit à l’attention, droit à une deuxième chance), ayant tout simplement le même droit au bonheur.

Tous les deux, nous avons gardé une distance qui nous a permis d’accueillir sans préjugé ni compassion exagérée, même si elle a parfois freiné le partage et l’échange que nous aurions pu vivre.

Ce qui est incroyable et ce dont nous voulons témoigner est que, après les premiers gestes facilitateurs des accueillants, bientôt ce furent tous les vacanciers (accueillants mais aussi familles accueillies), qui ont prodigué de nombreux signes de tendresse et d’attention les uns envers les autres. Peu à peu chacun a réalisé qu’il avait des attentes concrètes pour ces vacances, et qu’il voulait les réussir. Malgré les différences dans les vécus et les souffrances quotidiennes, le souhait de construire de beaux souvenirs de vacances s’est ressenti dans les efforts faits par chacun pour faciliter le vivre ensemble : une aide, un pardon, un geste d’attention, un effort pour participer aux ateliers et aux sorties collectives. Nous avons vu qu’on peut réussir une rencontre multiculturelle, multi-sociale, de qualité en peu de temps.

Organiser les interactions

Au niveau du travail spécifique auprès de chaque personne, toutes les activités proposées avaient pour but de faire ressortir des petits talents qui valoriseront chacun, et lui permettre de s’impliquer à son tour dans le groupe pour que tous réussissent : à entrer en relation avec les autres, à s’exprimer en confiance, à créer librement, à proposer ses idées, à s’affirmer, et à entrer en dialogue avec l’autre dans sa différence. A la fin du séjour, une exposition reprend les réussites concrètes de chacun, qu’il ait trois ans ou soixante-dix ans, et la fierté est dans tous les regards !

Au final, nous avons compris qu’un cadre bien posé est nécessaire. Toutes ces attentions, ces multiples activités, des moyens humains assez importants (neuf accueillants pour quinze vacanciers !), mais finalement des moyens financiers assez modestes, tous ces facteurs ont un pouvoir fantastique pour ébrécher le cercle assez « vicieux » d’une confiance en soi trop faible, qui empêche une intégration réussie dans la société.

Face à une chaîne de réactions destructives, il existe un autre type de construction personnelle : il y a des personnes qui ont eu la chance d’être sainement valorisées et pour lesquelles il est plus facile d’aller vers les autres et de les accepter comme ils sont. A travers les échanges qu’elles développent, elles peuvent se nourrir des rétroactions positives qui leur sont renvoyées, elles rentrent alors dans le cercle vertueux de l’estime de soi et grimpent plus aisément les marches vers le bonheur.

La petite assemblée « hors du monde » constituée chaque semaine à la Bise permet d’entrevoir cette autre forme d’interaction avec l’autre. Petit à petit, au fil du séjour, nous tous, vacanciers, parents et enfants, amis, nous approfondissons des manières de vivre ensemble qui marchent, nous apprenons à maîtriser les pulsions négatives, à générer des rétroactions positives, à résoudre les conflits de manière non violente, à coopérer, à s’écouter. Cette expérience du « cercle vertueux » peut être vécue par l’ensemble des vacanciers, quels que soient les origines sociales et culturelles des uns et des autres et leurs rôles pendant ce séjour. Élodie a été positivement impressionnée et a appris d’un vacancier qui, face à un comportement agressif d’une personne du groupe, a désamorcé le conflit avec une attitude positive par rapport à l’événement déclencheur, tout en préservant également la personne concernée !

Redécouvrir des qualités humaines méconnues

Le travail d’analyse sur ce qui marche ou pas, sur ce qui doit être adapté, quand il est réalisé quotidiennement, est un atout majeur pour réussir une expérience telle que celle que nous montre la Bise. Les vacances peuvent former les fondations d’un tremplin vers l’avenir, une étoile d’espoir qui continuera à scintiller et à guider ceux qui savent la reconnaître. C’est un temps où nous pouvons redécouvrir la richesse que peut représenter la relation parents-enfants, souvent malmenée au quotidien. Nous avons souvent observé combien, pour ces familles, les enfants sont un rempart pour lutter contre les difficultés du quotidien et les dérives, trouver l’énergie pour rester dans le groupe. Pendant cette semaine nous avons ainsi pu observer comment une maman a redécouvert grâce à son enfant, la relation affective, l’encouragement, la fierté. Nous nous disons à la fin du séjour : « Pourvu que le temps, les nuages, ou tout simplement le fait de retrouver la vie au quotidien, ne ternissent pas cette lueur ! ».

Ce que nous comprenons de ces initiatives de vacances dans des endroits « privilégiés » va au-delà d’un combat pour les vacances ou la dignité des personnes vivant dans des conditions difficiles. Ce projet implique la société toute entière. Au sein même du groupe constitué pour un séjour, il n’est réellement viable que s’il y a rencontre entre les familles et les accueillants. C’est un modèle pour construire une société soucieuse de faire tomber les barrières entre les individus. L’individualisme tue la société. Le partage et le vivre ensemble la construit. Ce que résume très bien ce commentaire d’un vacancier : « Les accueillants ne peuvent pas exister sans les vacanciers, ni les vacanciers sans les accueillants. »

Comme si le droit aux vacances devait s’accompagner d’une obligation d’accueil pour tous, participer à ces vacances nous a permis de redécouvrir des qualités humaines qui ne sont pas portées dans la société actuelle. Nous avons vécu un séjour de Noël. Cette période peut être angoissante pour les gens qui vivent avec des difficultés. Faire famille ensemble nous aide à construire une société plus solidaire. Nous restons dans l’espérance que les vacanciers se rappelleront plus un sourire, une attention, une chaleur humaine qu’un endroit bien décoré, des bons repas ou le cadeau reçu à Noël. En tout cas, c’est ce qui nous restera d’eux, et qui nous lance dans cette nouvelle année.

Et s’il existe une autre « Bise » ailleurs, nous serions ravis d’y passer encore quelques vacances d’accueillants !

Élodie Petit

Yves Petit

Alliés du Mouvement ATD Quart Monde depuis 2008, Élodie et Yves Petit sont aussi co-fondateurs en 2007 de l’association GreenBees. Cette association considère que chaque individu possède en lui trois identités complémentaires et indissociables : personnelle, culturelle et planétaire. Traiter ensemble toutes ces dimensions peut contribuer à apporter des réponses durables aux enjeux de société. Les actions sont menées à la demande d’autres organisations, qui souhaitent un soutien dans le domaine de la promotion de la diversité culturelle. Plus d’information sur www.greenbees.fr Après une période de volontariat au Pérou, ils vivent aujourd’hui en France, actifs dans leur environnement quotidien pour un vivre ensemble plus respectueux de chacun.

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