Vulnérabilités en Haïti

Rosana François

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Rosana François, « Vulnérabilités en Haïti », Revue Quart Monde [En ligne], 195 | 2005/3, mis en ligne le , consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/562

Depuis plus d’un an, Haïti vit un climat d’insécurité et d’impunité qui favorise de nombreux abus, malgré les efforts de la Police nationale renforcée par la présence des forces de stabilisation de l’ONU. Les disfonctionnements de la Justice découragent les recours, et la circulation des armes dans les mains de civils crée une pression supplémentaire dans les quartiers les plus pauvres.

Index de mots-clés

Insécurité, Violence, Paix

Index géographique

Haïti

Maman de 36 ans, Ketlène a eu un premier enfant resté avec son père en province, puis elle s’est mise en ménage avec André, à la Cité Coicou, un des quartiers les plus pauvres de Port-au-Prince. Ils ont maintenant huit enfants. Quand elle a été enceinte du septième, Ketlène ne voulait pas le garder, car elle avait déjà trop de difficultés à s’occuper des six autres. Elle disait subir beaucoup d’humiliations de la part de sa famille du fait de sa situation de plus en plus dégradée. Néanmoins l’enfant est arrivé et elle l’a gardé. Pour le huitième enfant, elle et son mari ont eu le même désir de s’en séparer. Durant sa grossesse, elle avait honte de sortir, d’affronter les remarques du voisinage. Mais dès son arrivée, le nouveau-né a conquis la famille.

André a perdu son travail en boulangerie depuis plusieurs années. Il trouve parfois une place où il fait des pâtisseries que la fille aînée va vendre, mais cela les aide juste pour quelques mois. André est un homme effacé, gardant la tête basse. Lorsque parfois on se moque de ses enfants dans le voisinage, il n’intervient pas.

Un jour d’octobre 2004, une de ses filles, âgée de 9 ans, revient de chez la marchande avec un sachet de riz. Un jeune voisin la bouscule et le riz se répand. L’enfant se fâche. Le voisin l’insulte et la frappe. Les frères et sœurs appellent les parents. La maman vient avec un couteau. Elle est très en colère. Elle se fait aussi bousculer. Elle va alors chercher André qui arrive et frappe l’agresseur de sa fille et de sa femme. Le jeune homme tombe. Il semble ne plus bouger : on le croit mort. Selon Ketlène, c’était un ami d’André. Quand ils partaient ensemble en province, c’était souvent André qui payait le voyage. Il avait l’habitude de taquiner les enfants, les agressant parfois, et André ne disait rien. Après ce drame, les parents rentrent en hâte à la maison, disent aux enfants de partir vite chez leur grand’mère, où ils ne tarderont pas à les rejoindre de peur des représailles.

Pendant les trois mois suivants, la famille a vécu entassée chez la mère de Ketlène, qui l’a accueillie tant bien que mal, ayant elle-même peu à partager. Chaque jour, Ketlène accompagne à l’école Tania, la seule de ses enfants qui soit scolarisée, craignant que le jeune homme remis très vite sur pied ne vienne l’intimider. Ni elle, ni André n’osent retourner dans le quartier, même s’ils ont peur que le voisin ne finisse par s’approprier leur maison qui, abandonnée, est la cible des lanceurs de pierres.

Pour Ketlène, c’est difficile et humiliant de vivre ainsi chez sa mère. Elle en vient à regretter d’avoir réagi ainsi à l’agression du voisin. Si elle n’avait rien fait, elle serait encore avec toute sa famille dans leur maison qui, malgré son très mauvais état, est encore leur seul bien. Ils ont fait des sacrifices pour la bâtir. André travaille juste pour nourrir les enfants. Ils n’ont pas les moyens de payer un loyer ailleurs pour l’instant.

(D’après Rosana F., février 2005).

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