Rire

Martine Hosselet-Herbignat

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Martine Hosselet-Herbignat, « Rire », Revue Quart Monde [Online], 227 | 2013/3, Online since 05 February 2014, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5655

Rire et faire la fête quand on vit dans la pauvreté ?... Rire de la pauvreté ?... Consacrer tout un dossier de la Revue Quart Monde à ce thème scabreux ? Oui, nous l’avons fait, avec circonspection d’abord, puis de plus en plus touchés par la palette de nuances abordée dans leurs textes par les auteurs sollicités.

Bien plus que simple « politesse des désespérés », le rire et la fête apparaissent ici comme l’ultime rempart de dignité pour ceux qui, au quotidien, vivent très proches du manque et de la catastrophe. Ceux qui font l’expérience récurrente d’être considérés comme inutiles et inefficaces nous rappellent que le rire est vital et nous provoquent à la fête. Non pas pour poser un voile trompeur sur les difficultés de l’existence, mais au contraire pour s’exercer à affronter en humains les risques et la pénurie. Célébrer le fait d’être soi-même en vie, chercher à rencontrer d’autres femmes et hommes pour mettre en scène avec tact et sobriété notre mystère commun d’humanité, bâtir ensemble la fête avec l’apport de tous, y compris de ceux qui n’ont que leur personne abîmée par la misère à présenter, porter attention aux plus infimes détails pour créer une ambiance sans exclusion,... Tout cela relève finalement de l’art de faire de l’humain, non pas dans l’idéal, mais avec les personnes telles qu’elles sont, ici et maintenant. Ne pas se prendre trop au sérieux et chercher la vie sous les événements de mort, n’est-ce pas la marque du tout grand art ?

C’est en tous cas ce qui se dégage de l’expérience des membres d’ATD Quart Monde qui s’expriment dans ces pages, donnant corps aux convictions de son fondateur, Joseph Wresinski. Les « professionnels du rire » au sens large - Anne Roumanoff, Gigi Bigot (conteuse), Luigi Li, Clowns Sans Frontières - quant à eux, se disent artisans minutieux en une matière délicate, militants du « droit à l’enfance de chaque être humain »… Arlette Farge, historienne, inscrit la réflexion dans la durée et laisse entrevoir la résistance des classes populaires au 18ème siècle, dont « le rire, même stigmatisé par les élites, est ‘chose à soi’ puisqu’on ne détient rien, si ce n’est son corps, sa voix et les éclats de son corps […] même si, par ailleurs, des autorités s’octroient de le contraindre »

Bonne lecture. Rira avec justesse, qui rira avec nous !

Martine Hosselet-Herbignat

Directrice de la rédaction

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