Un mal logement qui s’aggrave

Robert Nowak, Agnieszka Galazkiewiscz, Sylwia Dworaczec, Elzbieta Szymczak, Rafal Bakalarczyk, Monika Kalinowska and Volha Baranchuk

References

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Robert Nowak, Agnieszka Galazkiewiscz, Sylwia Dworaczec, Elzbieta Szymczak, Rafal Bakalarczyk, Monika Kalinowska and Volha Baranchuk, « Un mal logement qui s’aggrave », Revue Quart Monde [Online], 228 | 2013/4, Online since 05 May 2014, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5800

Ce texte reprend la contribution de la délégation polonaise au séminaire de Bruxelles en janvier 2013 : Quel a été l'impact de l'Agenda des Objectifs du Millénaire pour le Développement sur la situation des personnes vivant dans des logements précaires en Pologne ?1

Index de mots-clés

Logement, Habitat

Index géographique

Pologne

L'éradication de l'extrême pauvreté, l'une des priorités des Objectifs du Millénaire pour le Développement, concerne tous les aspects de la pauvreté, y compris le mal logement. Les changements en termes de politiques sur le logement en Pologne observés et vécus par les personnes confrontées à ce problème nous ont amenés à tirer la conclusion suivante : les Objectifs du Millénaire pour le Développement n'ont pas vraiment permis d'améliorer la situation des personnes mal logées en Pologne. Cela remet en question la volonté des autorités polonaises à atteindre les OMD.

Le gouvernement polonais trouvait que les premiers OMD formulés par l'ONU étaient inappropriés à leurs propres défis en matière de développement et qu'il fallait les reformuler. L'objectif premier, qui s'intitulait à l'origine « L’éradication de l'extrême pauvreté et de la faim »  s'est transformé en « Réduction de la pauvreté ». Ces reformulations découlent du fait qu'en Pologne, personne ne souffre de faim et que, même si la pauvreté demeure un sérieux problème, elle n'a jamais atteint le degré d'« extrême ». En 2008, au forum de l'ONU, l'objectif premier a été élargi pour inclure l'engagement du pays à faire des efforts pour garantir à la fois un plein emploi productif et un travail décent pour tous, y compris pour les femmes et les jeunes.

Malheureusement, il n'a jamais été question d'élargir les engagements des OMD dans les plus importants programmes polonais en matière de politiques de développement (comme le rapport Pologne 2030). Dans des rapports de l’État, on décrit et mesure bien le problème de la pauvreté, mais aucune intervention significative de sa part n'a suivi, pour réduire la pauvreté.

L’État polonais banalise la pauvreté et refuse de prendre ses responsabilités, ce qui ne fait qu'aggraver la situation. Cette attitude s'explique par un manque de politiques sur le long terme en matière de soutien aux logements sociaux et par les réformes actuelles sur la réglementation du logement qui, peu à peu, affaiblit le droit au logement. L'accès à un logement décent et abordable est devenu une denrée rare.

Le lien entre l'emploi et logement

« J'entends souvent : tant qu'il y a du travail, il n'y a pas de pauvres ni de sans-abris. En réalité, ce n'est pas tout à fait comme ça. Quand tu perds ton emploi, tu peux perdre ton appartement. Et ce n'est pas parce que tu retrouves un emploi que tu n'es plus sans-abri. Il n'y a qu'à voir mon cas : j'ai du travail, mais je suis toujours sans-abri. »

On prétend qu'il suffit de redonner du travail à ces personnes pour résoudre leurs problèmes de logement. En Pologne, ça ne fonctionne pas comme ça. Les problèmes de logement touchent de plus en plus les travailleurs pauvres, et plus particulièrement ceux qui doivent accepter des « contrats pourris ». En Europe, la Pologne est considérée comme la championne des « contrats pourris ». Une grande partie des salariés signent à répétition des contrats à durée déterminée, et bien souvent, ils sont licenciés puis réengagés. En général, les travailleurs sous « contrats pourris » sont sous-payés, ils sont facilement remplaçables et privés de sécurité sociale et de leurs droits. Les contrats à durée déterminée ne leur permettent pas d'obtenir des crédits et les obligent à louer un appartement et leur enlèvent l'espoir de devenir un jour propriétaires. Les logements à louer à des prix abordables sont très peu nombreux. Dans beaucoup de cas, les frais de logement absorbent la majeure partie du salaire des travailleurs pauvres. Quelques participants ont même déclaré dépenser 80 % de leur revenu pour se loger. Ces prix exorbitants, combinés aux contrats de travail instables exposent cette partie de la population au risque d'être sans logement et de sombrer dans une spirale dont il est impossible de sortir.

Recommandation :

- Restreindre le recours aux « contrats pourris » quand des contrats régis par la loi du travail sont possibles.

Qui peut avoir accès à un logement social ?

Témoignage d'une jeune mère célibataire de deux filles, de Kielce : « Quand je me suis rendue à la mairie pour solliciter un logement social, on m'a dit que je devrais attendre trente ans. Je suis alors allée parler au Maire-adjoint. Je lui ai dit que j'avais besoin d'un appartement. Il m'a répondu qu'il n'y avait pas d'appartements et qu'en général, il était préférable que les personnes vivent toutes ensemble. Quand il était enfant, il habitait lui-même dans une toute petite chambre avec plein d'autres personnes et c'était encore plus marrant... »

L’État rejette la responsabilité sur les communes concernant les problèmes de logement, mais elles sont incapables de résoudre de tels problèmes. Les communes ont mis en place des politiques de vente de logements communaux mais n'investissent pas dans la construction de nouveaux logements de ce type. Il n'y a pas d'offres de logements abordables pour les personnes à faibles revenus. Le temps d'attente moyen pour obtenir un logement communal est de deux à huit ans. La procédure d'attribution de logement n'est pas transparente. Les décisions de d'attribution de logement et les ventes d'appartements ne sont pas soumises à des contrôles sociaux. Ces décisions sont rarement contrôlées et soulèvent de nombreuses interrogations.

Recommandations :

- Investir davantage dans les logements abordables à louer.

- Augmenter la transparence en développant des instruments de contrôle social pour le processus de distribution des logements sociaux.

Comment comprendre l’insalubrité des logements ?

« Dans les logements sociaux, les normes d'habitabilité sont médiocres. Ils sont construits à la hâte et avec les matériaux les moins chers. Ils ne sont pas dotés de chauffage central. En hiver, ma facture de chauffage électrique est multipliée par quatre. »

En Pologne, les logements sociaux sont dans des états médiocres. Le problème, c’est que les normes minimales d'habitabilité pour un tel logement ne sont définies nulle part. Dans la majorité des cas, il n’y a pas d’installations permettant d’avoir recours à des énergies peu coûteuses. Par conséquent, ces logements, destinés aux plus pauvres, deviennent très onéreux et au lieu d’aider les personnes en difficultés, aggravent leur situation de crise.

Nous sommes très perturbés actuellement par l'émergence d'un nouveau phénomène, celui du développement des logements-conteneurs. Autrefois, les conteneurs servaient à loger les victimes d’inondation,  mais aujourd’hui ils sont utilisés en tant qu’appartements sociaux. Les habitants de conteneurs sont exposés à des problèmes de santé. Ce sont généralement des grandes familles, des mères célibataires et des personnes âgées qui y vivent.

Recommandations :

Les logements sociaux doivent non seulement répondre à des normes minimales de salubrité en matière de plomberie mais également permettre l'accès à l'énergie bon marché.

Comment en arrive-t-on à perdre son logement ?

Depuis quelques années, les arriérés de loyers constituent l'un des problèmes majeurs du logement. Cette situation s'explique par le fait que le prix des loyers a augmenté considérablement. À Varsovie, rien qu'en 2009, les loyers ont augmenté de 200 à 300%. Par conséquent, de nombreux locataires ont perdu leur droit au logement, si bien qu'ils ne pouvaient plus vivre dans leur logement actuel mais y sont quand même restés. La seule chose qui a changé, c'est le prix. Les personnes qui occupent un logement illégalement doivent payer le triple du loyer au propriétaire pour l'indemniser de l'occupation non contractuelle de son bien. Imposer à une personne déjà endettée de payer le triple du loyer ne l'aide pas à améliorer sa situation. Nous sommes en droit de nous interroger sur la légitimité de cette méthode de calcul du loyer.

La protection du droit au logement est de plus en plus médiocre et l'expulsion de plus en plus facile. Actuellement, il est possible d'expulser de plus en plus de personnes de leur logement du jour au lendemain en sachant qu'elles n'auront probablement pas droit à un logement social. Les personnes les plus vulnérables ne sont pas épargnées, comme les parents célibataires avec des enfants mineurs qui squattent des logements. Jusqu'à présent, dans la loi, on ne parle pas d' « expulsion à la rue » mais d' « expulsion vers un abri », ce qui désigne une réalité plus humaine.

Recommandations :

- La Pologne doit signer et respecter les conventions internationales qui renforcent la protection du droit au logement (et en particulier ratifier la Charte Sociale Européenne).

- Examiner la légitimité du triple loyer.

Conclusions générales de notre étude

Nos observations illustrent une situation de la pauvreté, notamment du mal logement, qui va s'aggravant. Les problèmes liés à la pauvreté doivent être abordés en accordant une meilleure attention aux politiques de logement, au lien entre le mal logement et l'instabilité de l'emploi, aux faibles rémunérations, etc. La croissance économique n'est pas la panacée pour résoudre les problèmes liés à la pauvreté. En Pologne, les droits sociaux sont toujours considérés comme des droits secondaires et il serait judicieux de renforcer leur accès et leur protection avant de parler de politiques de développement. […]

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement n'ont pas été consultés dans l'élaboration des politiques de développement en Pologne. Les différentes raisons de cette situation sont le fruit de notre recherche. Ces raisons peuvent être répertoriées comme des recommandations pour les politiques de développement de l'après 2015 :

  1. Les OMD ne sont pas adaptés à la situation polonaise. Leur adaptation pourrait aboutir à la création de nouveaux objectifs avec une méthode plus alternative, comme le dialogue avec les personnes concernées.

  2. Face au manque de volonté des autorités politiques pour atteindre ces objectifs, il faut que les personnes soient au courant de l'existence des objectifs et qu'elles veillent à leur bon accomplissement.

  3. L'agenda de développement mondial devrait inciter le pays à prendre les mesures pour n’exclure aucune partie de la population.

1 Texte traduit par Clarisse Iméneuraët.
1 Texte traduit par Clarisse Iméneuraët.

Robert Nowak

Agnieszka Galazkiewiscz

Sylwia Dworaczec

Elzbieta Szymczak

Rafal Bakalarczyk

Monika Kalinowska

Volha Baranchuk

Les auteurs sont membres du groupe de travail Évaluation des OMD animé par ATD Quart Monde Pologne

CC BY-NC-ND