« Liberté, Egalité, Fraternité » : projet d’une société en état de recherche

ATD Quart Monde France

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ATD Quart Monde France, « « Liberté, Egalité, Fraternité » : projet d’une société en état de recherche », Revue Quart Monde [En ligne], 201 | 2007/1, mis en ligne le 05 septembre 2007, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/605

En février 1977, le Mouvement ATD Quart Monde publiait un Livre blanc : Le sous-prolétariat en France dont voici un extrait toujours d’actualité. (pp 36/37)

Seul le sous-prolétariat nous oblige de réviser sérieusement nos combats pour plus de liberté et plus d’égalité des chances. Il nous aide, tout d’abord, à nous défaire d’un certain nombre de malentendus et d’idées reçues, clarifiant ainsi le discours politique.

1. La démocratie, les libertés civiques et politiques pour tous, n’ont pas encore commencé d’exister en France. Pour  les réaliser, serait-ce de façon inégalitaire, il faudrait accorder à tous les Français un minimum de droits absolus ne souffrant aucune violation. Sans eux, les citoyens au pied de l’échelle sociale, prisonniers d’une Administration qui a sur eux plein pouvoir, ne disposent pas de ce minimum de liberté d’action permettant de lutter pour de meilleures chances d’avenir.

2. De même, transformer le système de production ou celui de l’appropriation des moyens de production n’amène pas, sans plus, des libertés et des chances  plus égales pour tous. Cela ne change pas la condition de la couche de population la plus pauvre, à moins que ne soit introduit, en même temps, un minimum de droits de l’homme lui permettant de sortir de l’exclusion.

3. La nécessaire égalisation des chances demeure le privilège de ceux qui en ont déjà quelques-unes, tant que n’est pas reconnue cette logique élémentaire que, pour égaliser, il faut investir le plus, là où les chances sont inexistantes. Sans priorité aux plus défavorisés, tout changement n’est qu’une redistribution des cartes entre ceux qui participent déjà au jeu.

4. Liberté et égalité ne représentent pas la quadrature du cercle, comme on se plaît à le dire aujourd’hui. Une clé au problème nous avait été proposée, voici deux siècles, sous le terme de fraternité. On n’en parle pas souvent, à croire qu’il ne s’agirait pas, là, d’une notion politique au même titre que pour les deux autres. Or, la fraternité, en termes politiques, n’est-ce pas un certain regroupement des soucis et intérêts autour du frère le plus vulnérable ? A moins qu’il ne s’agisse de fraternités particulières, n’est-ce pas ce renversement des priorités consistant à investir, mieux et plus qu’ailleurs, au plus bas de l’échelle sociale ?

En termes politiques, réinvestir au plus bas ce qu’une société produit de meilleur au sommet, signifie introduire la conception d’une société en progrès constant. Il ne s’agit plus, simplement, d’une démocratie qui change, mais d’une démocratie qui avance en changeant. Et il n’y a pas de libéralisme ni de socialisme avancés, sans cette avancée-là. Aussi, les militants pour toutes formes de changement ont-ils peut-être tort de refuser cette priorité-là, de crainte de voir ralentir la montée déjà amorcée d’autres couches. Elle vaut une analyse plus fine, car bien menée, elle a des chances de soutenir plutôt que de freiner une poussée générale vers le haut.

La fraternité, c’est, au sens le plus strict, la fermeture du cercle dont nous cherchions la quadrature. Mais ni les sciences ni les hommes politiques ne semblent encore avoir considéré la notion « Liberté, Égalité, Fraternité », comme un tout intelligible, plutôt que comme un simple inventaire d’idéaux. Leur conciliation dans un projet de société, dans des structures intelligentes cède le pas, depuis deux siècles, à une sorte de jonglerie politique à trois balles : on en perd deux, la plupart du temps. Il est vrai que pour tenir les trois, il faut un long exercice. Tout au moins pourrions nous pousser plus loin notre recherche des règles du jeu ?

C’est à la recherche des règles, tout en les expérimentant, que nous invitent le sous-prolétariat et le Mouvement ATD Quart Monde. Leur projet de société est celui d’une société en recherche d’une nouvelle avancée. Les propositions de structures finies ne peuvent pas être pour aujourd’hui. C’est dans cette perspective que se situent les revendications du Mouvement pour un début de droits absolus et de priorité aux plus défavorisés.

CC BY-NC-ND