« Avant, je me posais la question : mais qu’est-ce qu’on fait, vraiment, nous les acteurs ? Est-ce qu’on joue simplement pour vouloir être vus ? Oui, parfois c’est ça, ce besoin de se dire… » Elle s’interrompt. « Et puis on arrive à être rassuré, à penser : ‘oui, tu as ta place dans le monde, ne t’inquiète pas’ ! » Elle rit, s’illumine. « Mais il faut avancer, car ça, ce n’est qu’une étape. Moi, j’ai compris grâce à certains spectacles que l’on peut beaucoup donner. Que l’on peut ouvrir des cœurs, être un vecteur de vie. Que même avec le plus noir des rôles, on peut apporter de la lumière.» Voilà ce que Judith Chemla, jeune comédienne de théâtre répondait il y a deux ou trois ans à une journaliste de Libération.
Depuis Judith a enchaîné les rôles au théâtre et au cinéma1, elle chante aussi avec un talent fou et je l’ai choisie pour incarner Lili, dans mon prochain film2. Mes discussions avec Judith autour de ce rôle sont passionnantes car la première fois qu’elle a lu le scenario elle a refusé tout net le rôle que je lui proposais, ne comprenant pas l’attitude de cette Lili, mère poule, mais aussi fantasque, incapable de prendre les mains qui se tendaient pour l’aider, et qui faisait échouer tous les dispositifs sociaux qui, bon an, mal an, se mettaient en place autour d’elle. Après avoir vu Joseph l’insoumis3., Judith a changé d’avis, comme si la parole du père Joseph, le chemin qu’il a emprunté avec les familles du bidonville et notamment le personnage d’Alicia, une jeune mère de famille aussi, avaient éclairé le scenario que je lui proposais. Elle passait de l’autre côté de cette Lili à qui on a envie de mettre des claques parfois, elle a compris son désir de liberté et sa soif de respect comme n’importe quel être humain, elle a pigé que ce personnage complexe avait des richesses insoupçonnées, jamais regardées par les services sociaux, et elle m’a dit oui ! Judith a fini par dire : « J’aime cette intelligence qu’ont les gens privés de tout pour inventer des solutions pour vivre et survivre. Ces trésors d’imagination et de courage sont rarement montrés. Souvent ils sont en décalage avec ce qui se fait disons plus généralement mais c’est pourtant tellement magnifique souvent d’ingéniosité. Et puis parfois aussi très burlesque et très drôle. Ça me fait penser à Charlie Chaplin ! C’est le roi ! Personne n’a fait mieux au cinéma que lui jusqu’à présent. »
Quand on travaille sur le scenario de Lili, Judith veut que je rajoute des détails, des trucs simples, pour qu’on comprenne bien d’où vient cette jeune femme. Parce que sans tomber dans le misérabilisme qu’elle déteste, elle trouve que c’est important qu’on comprenne les galères de cette Lili autant que son courage à se battre depuis des années, qu’on perçoive autant de son amour inconditionnel pour ses enfants que de son désir de liberté et de sexe pour elle. Voilà, ne jamais enfermer les pauvres dans une vision triste ou culpabilisante, mais montrer ce mouvement, cette liberté qui émanent d’eux, peut-être avec plus d’intensité que dans d’autres milieux, parce qu’il faut se battre, parce que souvent dans leur vie, c’est une question de survie.