Autour du berceau

Marie-Christine Jouno

p. 41-44

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Marie-Christine Jouno, « Autour du berceau », Revue Quart Monde, 235 | 2015/3, 41-44.

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Marie-Christine Jouno, « Autour du berceau », Revue Quart Monde [En ligne], 235 | 2015/3, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6460

Le partenariat et la proximité avec un petit enfant et ses parents en milieu fragilisé afin de créer ensemble un environnement favorable réserve des moments d’angoisse, de tension, mais aussi de bonheur partagé.

Une juge pour enfants nous a fait connaitre des parents qui attendaient un bébé. La maman était enceinte de sept mois. Aux yeux de la juge, les parents n’étaient pas maltraitants. Ils étaient isolés, avec peu de relations d’amitié. Ils ne maitrisaient pas bien la lecture et l’écriture. Monsieur apparaissait comme une sécurité auprès de la maman considérée comme pas assez sécurisante.

Préparer la naissance

Avant la naissance, aucune décision n’avait été prise concernant le placement ou non de l’enfant dès la maternité. II fallait attendre la concertation entre les différents professionnels et la juge. Celle-ci nous informa qu’en attendant, les deux parents étaient d’accord pour que des puéricultrices et des membres d’ATD Quart Monde leur rendent visite.

Je suis donc allée rencontrer ces parents. La maman restait craintive et effacée, tandis que le papa assurait le dialogue. Mais tous deux souhaitaient tellement accueillir l’enfant chez eux qu’ils étaient prêts à tout pour élever eux-mêmes leur petit. II fut donc convenu que je passerais chez eux chaque semaine et que les parents participeraient aux journées familiales et à l’Université populaire Quart Monde.

Avant la naissance, les parents avaient voulu acheter pour le bébé le meilleur : du beau linge, de beaux meubles... Ils avaient commencé ces achats longtemps à l’avance.

Puis le jour J est arrivé... La maman m’a dit que l’accouchement s’était bien passé même si elle m’apparaissait très fatiguée et si je la trouvais pâle. Elle était profondément heureuse, souriante et fière. Elle accueillait ainsi son quatrième enfant, ses trois aînés ayant été placés... Elle connaissait les gestes maternels. Elle tenait bien son fils, le présentait avec beaucoup de tendresse. Son mari, lui, était père pour la première fois.

À la maternité

II avait été décidé que le papa séjournerait à la maternité pour apprendre les soins à donner au petit : biberon, bain... Considéré comme une sécurité pour l’enfant, il devait se montrer responsable dans les gestes du quotidien.

Lorsque je venais, je voyais les professionnels faire des schémas, lire avec la maman des notices sur les quantités de lait à utiliser... Je voyais le papa changer la couche avec une certaine appréhension tandis que la maman le faisait naturellement. Je voyais aussi la joie se transformer en inquiétude.

Le séjour à la maternité durait, probablement parce que les professionnels n’arrivaient pas à prendre de décision. Plus les jours passaient, plus la tension dans le couple montait et un jour le papa m’a dit qu’il avait explosé à force d’être enfermé.

Enfin, la bonne nouvelle est arrivée. Les parents allaient pouvoir quitter l’hôpital le lendemain avec leur bébé.

Je les ai accompagnés de l’hôpital jusque chez eux. À la maison, j’ai remarqué que le bébé ne prenait pas bien son biberon. Je l’ai dit à la maman :

« On dirait qu’il ne respire pas bien. Si vous voyez qu’il n’est pas en forme demain, surtout n’attendez pas, allez voir ceux qui vous suivent à la PMI. »

Le lendemain, je téléphone pour avoir des nouvelles. Pas de réponse, malgré plusieurs appels, ce qui me posait question. Je finis par apprendre que le bébé avait été hospitalisé pour une bronchiolite. Ainsi, Thibault1 aura passé une seule nuit chez lui et les parents sont à nouveau avec lui dans une chambre d’hôpital...

Lorsque je leur rends visite, je les vois sortir du service pédiatrie avec le couffin vide, des sacs de vêtements... J’ai à nouveau un choc, je crains pour la vie de l’enfant...

Thibault a été changé de service, il est maintenant en soins intensifs. L’enfant restera encore trois semaines à l’hôpital.

Retour à la maison

Puis, c’est le retour à la maison. Entre temps, la maman et le papa avaient pu se reposer et je pense qu’ils étaient plus solides pour accueillir l’enfant, plus confiants et rassurés.

Je me souviens du temps du bain, moment de bonheur et de douceur entre la mère et l’enfant. Je me souviens de la tendresse et de l’amour portés à l’enfant, du beau linge toujours propre.

Un jour, en arrivant chez eux, j’ai vu le lit à barreaux du bébé au milieu du salon. A côté, le papa discutait avec une voisine, tout en épluchant de beaux légumes pour faire une potée ou une bonne soupe. L’ambiance était joyeuse. Les parents voulaient remercier la voisine de ses visites régulières qui les avaient rassurés. La voisine était une femme du monde populaire, elle aimait les enfants.

L’enfant s’est alors réveillé et j’étais la seule à l’entendre. J’étais venue, comme d’habitude, pour vivre un temps de rencontre avec l’enfant et ses parents. Mais la conversation durait entre les parents et la voisine ! Je ne me voyais pas faire le rabat-joie et interrompre ce moment exceptionnel de bonheur. Je me suis rapprochée du lit pour cueillir les gazouillis de l’enfant et les entretenir jusqu’à ce que les parents les entendent. Mais la joie de préparer un bon repas pour la voisine était première ! Je me suis alors décidée à entrer dans la conversation des adultes pour les inviter à écouter.

Le bébé, partie prenante de la fête

La maman s’est alors déplacée, le cercle s’ouvrait vers l’enfant. Elle s’est penchée sur son bébé qui a redoublé de gazouillis. Lui aussi était à la fête et était entendu ! C’était beau ! Je n’avais jamais vu un si bel échange entre une maman et son enfant ! Le plaisir de communiquer était si fort... On avait l’impression que la maman et l’enfant voulaient faire durer ce moment le plus longtemps possible tant il était agréable...

En amont, l’enfant avait profité de la fête, même sans la voir ; il entendait les rires des parents autour des poireaux et des carottes ! II sentait l’ambiance et il en était partie prenante.

C’est alors que la maman a appelé son mari : « Chéri, viens, j’ai trop envie d’aller aux toilettes ! » Elle ne voulait pas que s’arrêtent le gazouillis et la joie parce qu’elle devait s’éloigner... Le papa a pris le relais et, bientôt, nous nous sommes retrouvés autour du berceau ! Sous nos regards, le papa se sentait un peu embarrassé. Je savais qu’il chantait bien. Ce jour-là, autour du berceau, je lui ai proposé de chanter pour son fils. La nature lui avait donné une voix extraordinaire, une voix de Pavarotti, une voix d’opéra ! Cet homme de 38 ans aurait pu être chanteur d’opéra, mais il aimait surtout interpréter les chansons de Johnny ! Pour son enfant, il connaissait beaucoup de chansons enfantines.

Par le chant, ce papa donnait à son enfant et à sa famille du souffle et de l’énergie. C’était son talent !

L’album photos livre d’or

Six mois plus tard, il y eut une rencontre chez la juge. Au long des semaines, nous avions recueilli dans un album les trésors de photos, de paroles, de réflexions des parents. Nous avions écrit l’histoire de Thibault et de son lien avec ses parents et son frère qui rejoignait la famille durant le week-end.

Les professionnelles en charge du suivi du développement de Thibault avec sa famille ont constaté que les parents avaient bien collaboré et que l’enfant s’éveillait. D’emblée, la juge pour enfants a rassuré les parents : la mesure de placement n’était plus envisagée. Les parents ont présenté l’album en le commentant. La juge les a félicités. Elle a été confortée dans le choix fait six mois plus tôt. En créant l’album, les parents avaient développé une attention à leur enfant, l’estime d’eux-mêmes, la fierté de parents, une émotion positive avant de rencontrer la juge.

À la fin de l’entretien, la juge a rappelé l’audience où elle avait dû ordonner le placement du frère de Thibault ; elle se souvenait de l’explosion de détresse de la maman. Elle a dit aux parents et à moi-même sa satisfaction de juge, le bonheur et la douceur de cette rencontre si différente.

Vivre une telle proximité avec des parents permet de gagner en connaissance les uns des autres et donc en confiance. C’est la base de toute participation libre et active des parents.

1 Le prénom est fictif.

1 Le prénom est fictif.

Marie-Christine Jouno

Volontaire permanente d’ATD Quart Monde, Marie-Christine Jouno a une longue expérience de la promotion familiale à partir des petits enfants et de leurs parents, en partenariat avec des professionnels, en milieux urbain et rural.

CC BY-NC-ND