Une histoire de confiance

Jean-Robert Saffore

p. 21-23

References

Bibliographical reference

Jean-Robert Saffore, « Une histoire de confiance », Revue Quart Monde, 236 | 2015/4, 21-23.

Electronic reference

Jean-Robert Saffore, « Une histoire de confiance », Revue Quart Monde [Online], 236 | 2015/4, Online since 20 June 2016, connection on 24 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6498

L’auteur a été associé à la démarche de réflexion sur la gouvernance en Suisse et à l’occasion de sa participation au Séminaire international en Novembre 2014. Il revient ici sur plusieurs réflexions à propos des conditions qui, sur une longue période, lui ont permis de trouver comment contribuer à ce Mouvement qui doit, dans le sillage du père Joseph, « s’interposer pour faire reconnaître les plus pauvres ».

Index de mots-clés

Gouvernance

Index géographique

Suisse

Pour moi, la gouvernance du Mouvement, elle passe d’abord par la confiance.

Je pars de mon exemple. Moi, comment je suis rentré dans le Mouvement ? Il a fallu que j’aie confiance en une personne et apprendre à discuter.

À Treyvaux, la première fois que je suis venu, j’étais avec ma femme qui était déjà venue. Je suis arrivé et j’étais bouche bée. J’ai vu tout ce monde. J’avais presque peur, je me suis dit : est-ce que je suis à ma place ?

J’ai rencontré Noldi Christen1, c’est la première personne qui est venue vers moi, on s’est serré la main et on s’est tout de suite entendu. Il n’y a pas eu d’avant, d’après, il n’y a pas eu de regard inapproprié, il m’a pris comme j’étais. C’était important pour moi de sentir cette confiance.

Après, j’ai vu d’autres personnes que je connaissais de Fribourg ou des alentours, et je suis allé les rencontrer. Et puis je me suis dit : mais en fait, ils sont pas mieux que moi, ils sont comme moi.

C’est vrai que le plus difficile, c’est de prendre la parole devant tout le monde, ce n’est pas évident mais au fur et à mesure, avec les années, on prend confiance en soi.

Mais c’est impressionnant, dans le Mouvement, quand des gens parlent de leur vie, ils font vraiment confiance. Parce que sinon, comment ils pourraient se libérer de cette manière ?

Cette confiance, je ne sais pas si c’est toi qui la donnes ou si c’est les autres participants, les autres membres du Mouvement qui te la donnent.

La confiance tu dois la trouver en toi-même. Mais à travers le Mouvement, ma confiance s’élargit.

« Je savais faire des choses »

Après cette première rencontre, même si une certaine confiance s’était créée, ma femme elle a quand même dû s’y prendre à plusieurs reprises pour que je revienne.

Et une fois, au bout d’un moment, j’ai dit : « Mais moi aussi je sais faire quelque chose ! »

Et j’ai montré aux autres participants deux ou trois choses qui sont simples à faire, mais qu’il faut aussi apprendre. En fait, je suis revenu pour démontrer que je savais faire des choses. Et à la fin de la journée, j’étais fier de moi.

Et ça m’a aidé à continuer dans ce chemin-là. Et chaque fois que je pars de Treyvaux, j’ai toujours un pincement au cœur de dire : « La journée est déjà finie, je n’ai pas pu tout leur montrer ». Mais je sais qu’il y aura une prochaine fois où je pourrai continuer.

Avec tout cela, moi je ne voulais aller qu’une fois à Treyvaux, mais ça fait vingt-huit ans que j’y suis maintenant !

Comment avancer dans la confiance ?

Donc je retiens que personne n’a le droit de rester tout seul, mais si tu rencontres une personne, il faut la confiance. Celle-ci ne s’achète pas. Tu la donnes et si elle est rompue, alors c’est fini. Et comment avancer dans cette confiance ?

Il faut pouvoir faire des projets ensemble et avoir un rythme dans l’engagement que l’on se donne. Ce n’est pas à la première fois, la deuxième fois, ou après la dixième fois que tu peux donner ta confiance, c’est petit à petit en avançant. Et cela passe aussi par des projets précis.

Donc je vais continuer de toute façon, et je trouve que c’est dans la continuité qu’on peut arriver à faire quelque chose. Ce n’est pas parce qu’on est démuni - que les familles sont démunies - qu’elles n’ont rien à dire ; au contraire, ce sont ces personnes qu’il faut écouter.

Une comparaison…

Pour moi, pour parler de la gouvernance, je vais prendre l’image d’une équipe de foot.

Une équipe de foot sur le terrain, c’est onze joueurs et il y a un capitaine. Et le capitaine sans les autres joueurs, il ne fait rien non plus. Mais c’est quand même le capitaine qui dirige l’équipe. Parce que c’est clair que s’il n’y a que dix qui jouent, il manquera toujours un capitaine. Un qui doit prendre une décision.

Si on se regarde dans le blanc des yeux, rien ne va avancer. Il faut qu’il y ait une personne qui ait le courage de prendre une décision. Pour moi, c’est un peu pareil dans le Mouvement ATD Quart Monde.

Et je n’ai pas l’impression qu’après, les membres du Mouvement refusent des initiatives que des personnes ont prises. Par exemple, sur le changement de nom d’ATD - d’Aide à Toute Détresse à Agir Tous pour la Dignité -, personne n’a refusé cette initiative.

J’ai un autre exemple en tête : qui a pris la décision de rénover la maison de Treyvaux, et comment cette personne ou ce groupe de personne ont été appuyés ?

Au niveau du Mouvement, le capitaine que j’évoque, cela peut être un groupe. Un groupe qui s’investit, lance une idée, une initiative. Après, on ne soumet pas cette initiative au vote. Mais si on est impliqué dans la réflexion, on peut marquer son accord.

Le capitaine, s’il prend une décision au cours du match, s’il décide qu’on va jouer à droite, ou plutôt à gauche, toute l’équipe lui fait confiance. Il doit être soutenu par toute l’équipe, par les autres.

Et le brassard de capitaine peut changer de bras, au cours des matchs. Pour moi, cela se passe un peu comme cela dans le Mouvement, dans les différents projets que nous menons. Différentes personnes peuvent être responsables de différents projets.

Et ce n’est pas une histoire que le capitaine soit un volontaire, et les joueurs les militants ou alliés. Le capitaine peut être un allié, un volontaire, un militant.

Et quand quelqu’un prend une décision, elle doit être formalisée et communiquée aux membres du Mouvement. Ensuite, il faut la mettre en œuvre, et voir si elle correspond aux membres du Mouvement.

En sachant aussi, que pour n’importe quelle décision que tu prendras, il y a toujours quelqu’un qui sera déçu. Par exemple, quand on écrit un texte collectif, on ne peut pas satisfaire tout le monde. On ne peut pas l’éviter.

Construire à partir de nos bases

Si on parle de la gouvernance du Mouvement ATD Quart Monde, on se doit aussi d’évoquer son fondateur, le père Joseph Wresinski. Cela me semble important.

Le père Joseph Wresinski nous a quand même instruits ou inculqué des éléments de base et qui sont vraiment très importants. Après, libre choix à la personne ou aux personnes, de suivre son idée et que son idée s’amplifie vers d’autres régions, puis vers d’autres pays, et ainsi de suite.

Le père Joseph Wresinski, c’est vraiment une personne qui savait ce qu’elle cherche et ce qu’elle veut. Et je pense que c’est aussi grâce à lui que ce Mouvement a grandi. En fait, on est d’accord avec lui, mais est-ce que tout le monde est dans la même position que lui ?

Je m’explique : le père Joseph, c’était un meneur, il était dans une position de meneur, il osait s’interposer. Parce que s’il n’avait pas osé, les plus pauvres ne seraient jamais connus. Il nous a inculqué les idées de base ; puis les idées ont évolué, toujours avec les plus pauvres.

Mais finalement, il me semble qu’on va toujours dans le même sens, un même chemin, chemin qu’il avait tracé.

En 1989 j’ai eu la possibilité d’aller à Méry-sur-Oise2, et j’ai été sur sa tombe. Et c’est bizarre, même si je ne l’ai pas connu, j’ai l’impression de le connaître. C’est comme si je l’avais déjà vu. Quand il parle dans les vidéos, il parle avec des mots simples, des mots qui sont durs et qui font réfléchir.

Et je trouve que vraiment, le père Joseph Wrésinski, il nous a tout de même inculqué certaines bases ; à nous de les exploiter.

1 Volontaire permanent.

2 Centre international d’ATD Quart Monde, en banlieue parisienne.

1 Volontaire permanent.

2 Centre international d’ATD Quart Monde, en banlieue parisienne.

Jean-Robert Saffore

Jean-Robert Saffore habite à Fribourg en Suisse. Il est militant du Mouvement ATD Quart Monde depuis trente ans. Depuis sept ans, il fait partie du groupe Accueil, Art et Culture, qui se réunit régulièrement à Treyvaux, au centre national du Mouvement en Suisse.

CC BY-NC-ND