Une loi pour éradiquer le chômage de longue durée

Dominique Potier

p. 37-39

References

Bibliographical reference

Dominique Potier, « Une loi pour éradiquer le chômage de longue durée », Revue Quart Monde, 238 | 2016/2, 37-39.

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Dominique Potier, « Une loi pour éradiquer le chômage de longue durée », Revue Quart Monde [Online], 238 | 2016/2, Online since 15 October 2016, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6619

L’auteur était rapporteur pour avis à la Commission des Affaires économiques sur la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à faire disparaitre le chômage de longue durée, adoptée définitivement par le Parlement le 18 février dernier. La 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle, où il est élu, est particulièrement concernée par cette loi puisque la Communauté de Communes du Pays de Colombey et Sud Toulois fait partie des quatre « territoires-pilotes » d’ores et déjà engagés dans une expérimentation du dispositif proposé1.

Cette proposition de loi me fait parcourir mes terres de Lorraine et, avec un peu d’émotion, parcourir également un Panthéon personnel.

Au rendez-vous des militants d’un renouveau

Je me souviens de Gérard, une des personnes engagées dans cette entreprise dans le pays de Colombey-les-Belles, dans notre circonscription, qui plantait avec ATD Quart Monde, par un « jour de grève des chômeurs »2, un bouleau. Une journaliste lui ayant demandé pourquoi un bouleau, il nous a appris que le bouleau était une essence pionnière, chargée de reconquérir les terres dévastées et qu’elle préparait le terrain pour des essences plus nobles. Il a eu du mal à terminer sa phrase : ce qu’il racontait là, c’était l’histoire d’une population, et non seulement d’un territoire dévasté. Il était ému aux larmes et, aujourd’hui, je suis fier d’être le député porte-parole de cette émotion et de ces combats.

Je pense également à Michel Dinet, président fondateur de ce territoire de Colombey-les-Belles et ancien président de l’ODAS - Observatoire national de l’action sociale décentralisée - et du département de Meurthe-et-Moselle. Il a le premier répondu positivement à ATD Quart Monde. Michel Dinet disait qu’il préférait la coopération à la compétition, parce qu’elle permet à chaque homme, chaque territoire, de s’épanouir et de se développer à son propre rythme, sans risquer qu’un train allant trop vite ne l’écrase.

Je pense à Geneviève de Gaulle-Anthonioz, première présidente d’ATD Quart Monde - après le père Joseph Wresinski - qui a fait cette Traversée de la nuit, celle des camps de concentration, avant de s’engager toute sa vie sur Le chemin de l’espérance. La lutte contre le nazisme et la lutte contre la misère ont constitué un fil conducteur dans sa vie et dans son combat pour la dignité humaine.

Il nous faut aujourd’hui mêler dans un même combat le renouveau productif et le renouveau civique : c’est le rendez-vous de notre époque.

Sur des territoires expérimentaux

Nous sommes à la veille d’une époque où, durablement, le marché seul, du fait des révolutions technologiques, sera incapable de répondre aux demandes d’emploi de nos concitoyens : nous observons souvent une croissance sans emploi. La puissance publique, demain, ne pourra pas non plus répondre à cette attente d’emplois. Il nous faut un tiers lieu.

Alors il nous faut inventer, à nouveau et en permanence. Pour cela, la force des territoires et du mouvement social doit être au rendez-vous de cette inventivité. C’est ce que nous faisons aujourd’hui en permettant l’épanouissement des territoires expérimentaux. Je veux rendre hommage aux militants, mais également aux entrepreneurs et aux élus qui prennent des risques avec ces initiatives. Hommage également aux personnes qui, en situation de chômage, vont redresser la tête, ouvrir leurs mains, se tendre la main et, ensemble, faire preuve de responsabilité.

Reconsidérer le travail

Nous allons partir de ce qu’Amartya Sen appelait la « capabilité », les compétences qui sont en chaque être humain. Nous avons besoin de tous les talents, de tous les hommes pour réussir. Chez nous, on dit à la campagne : « Et pourtant, il y a du boulot ! » C’est cette rencontre qu’il nous faut organiser. Il nous faut, dans un monde fini, tel que l’économiste Daniel Cohen l’a décrit, inventer une nouvelle prospérité, celle qui mettra la dignité humaine au cœur de nos politiques.

Cette Loi ce n’est pas le grand soir, ni une solution magique, c’est plutôt le matin des bonnes volontés. Quelques décennies de compagnonnage avec ATD Quart Monde pour ma part, comme l’expérience au sein d’une entreprise en milieu rural rendent humbles et prudents. Tout le mérite reviendra aux acteurs des territoires qui s’empareront de cette possibilité d’expérimentation.

En France, l’État-providence fait globalement ce qu’il peut, et nous pouvons en être fiers. Il fait le minimum, mais pas l’essentiel, car l’essentiel, c’est la dignité humaine. La proposition d’ATD Quart Monde, qui a été votée dans la concorde, nous a fait prendre conscience du « désœuvrement » que représente le chômage. Pour moi, c’est là que se trouve le sens profond de cette expérimentation : reconsidérer le travail comme Œuvre.

Participer à l’œuvre commune

On peut donner à manger mais ce n’est pas toujours l’essentiel. Parce que nous ne sommes pas que des ventres, des objets ou des déchets ; nous sommes des mains, une tête, un esprit.

Tout est récit dans la vie. En politique, comme dans la vie, on en est parfois orphelin. Que pourrai-je raconter à mes enfants à la fin de ma vie ? Quelle route ai-je tracé ? Quel lait ai-je produit ? Quel moteur ai-je conçu, quelle maison ai-je bâtie, quel conte ai-je colporté, quel logiciel ai-je créé ? En quoi ai-je participé à l’œuvre commune ? Certains hommes et femmes sont privés de cette participation à une œuvre commune et, par-là même, d’une part essentielle de leur humanité.

Imaginez la force d’une société qui pourrait dire aux 20 % des jeunes qui sont aujourd’hui au bord de la route qu’elle a besoin d’eux pour bâtir la France de demain. Imaginez la force d’une société qui dirait à des millions de chômeurs qu’elle a besoin d’eux pour la transition écologique, pour bâtir une nouvelle prospérité, recréer du lien social, redonner de l’humanité à nos vies, lutter contre la solitude, défricher des terres oubliées.

Imaginez la force d’une telle société, bâtie sur la fierté de ces individus, de chacune de ces personnes. Elle puiserait là sa véritable force, sa santé, pour lutter à la fois contre l’indolence et l’indécence des privilèges de ceux qui accumulent tout - pouvoir, suffisance, argent -, pour susciter un nouveau partage.

J’ai souhaité que l’expérimentation soit évaluée à l’aune des nouveaux indicateurs de développement qui permettent de prendre en compte toutes les dimensions en jeu. Cette expérimentation doit contribuer à la « bonne santé » des personnes, des territoires, au-delà des indicateurs économiques traditionnels (PIB, etc.).

Nous devons à la fois retrouver un esprit de fraternité et un esprit d’entreprise, retrouver dans nos territoires et pour les personnes les plus fragiles, de la fierté, parce que c’est cette fierté qui nous permettra de faire face aux démons contemporains.

Remettre la personne au centre

Le chômage de longue durée est un immense gâchis humain et économique. Ce projet est un pari à la fois réaliste et humaniste qui prend acte que ni le marché ni la puissance publique ne sont à ce jour en situation d’apporter des réponses à 2,4 millions de personnes en situation de désœuvrement. C’est l’intuition du père Wresinski et de Geneviève de Gaulle-Anthonioz en créant ATD Quart Monde en 1957 : remettre la personne au centre. Le changement de paradigme initié par cette proposition de loi peut participer du renouveau républicain en cela qu’il rompt avec les discours discriminants sur l’assistanat et qu’il contribue à donner à chacun sa dignité de citoyen.

Je suis par ailleurs porteur d’une proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales, autre initiative qui manifeste elle-aussi notre désir d’entrer dans un nouvel âge de la mondialisation, une économie au service de l’Homme. Ces nouveaux droits dans la globalisation devront s’appuyer sur un mouvement civique qui rompt avec l’individualisme contemporain.

Au bout de la rue, comme au bout du monde, ces lois ne sont pas dissociées : elles sont héritières de l’intuition de Georges Guérin, fondateur de la JOC : « La vie d’un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde ».

1 En France, à l’initiative d´ATD Quart Monde, Emmaüs, le Pacte civique et le Secours catholique, Territoires zéro chômeur de longue durée est un

2 Voir le courrier de lecteur, Frédéric Subbiotto, page 63.

1 En France, à l’initiative d´ATD Quart Monde, Emmaüs, le Pacte civique et le Secours catholique, Territoires zéro chômeur de longue durée est un projet d’expérimentation visant à donner un emploi digne à tous ceux qui souhaitent travailler au niveau de petits territoires. Pour en savoir plus : http://www.zerochomeurdelongueduree.org/

2 Voir le courrier de lecteur, Frédéric Subbiotto, page 63.

Dominique Potier

Député PS de Meurthe-et-Moselle (France) depuis 2012, Dominique Potier est engagé sur les sujets relatifs à la régulation internationale, aux nouveaux modèles de développement, au « produire autrement », à la lutte contre la pauvreté ou encore l’aménagement du territoire.

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