L’expérience du Sénégal en matière d’état civil

El hadj Oumar Gueye

p. 28-30

References

Bibliographical reference

El hadj Oumar Gueye, « L’expérience du Sénégal en matière d’état civil », Revue Quart Monde, 241 | 2017/1, 28-30.

Electronic reference

El hadj Oumar Gueye, « L’expérience du Sénégal en matière d’état civil », Revue Quart Monde [Online], 241 | 2017/1, Online since 15 September 2017, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6795

L’auteur s’est engagé avec ATD Quart Monde dans la campagne de sensibilisation sur l’enregistrement des enfants à la naissance, lancée par le gouvernement sénégalais et soutenue par de nombreuses ONG et des institutions internationales comme l’UNICEF. Le but n’en était pas seulement de permettre à des familles très pauvres, qui normalement ne sont pas touchées par les programmes, de participer dans la campagne et d’avoir ainsi leurs papiers. Il s’agissait aussi de faire remonter aux autorités et institutions compétentes en matière d’état civil et de Droits de l’enfant la pensée et l’expérience de ces familles du fait de ce quelles vivent quotidiennement. L’auteur détaille ici une audience foraine pour recevoir les personnes désirant faire établir leur acte de naissance.

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Sénégal

En allant vers les familles au Sénégal, on se rend compte que la majeure partie d’entre elles n’ont pas accès à l’état civil. Cela nous a poussés, avec l’appui des volontaires d’ATD Quart Monde de Dakar, à les encourager à déclarer leurs enfants, parce que sans l’acte d’état civil ils ne sont pas considérés comme des Sénégalais à part entière. En outre, ils n’auront aucun accès aux services sociaux de base comme l’éducation, la santé, etc.

Ne pouvant plus rester les bras croisés sans rien faire pour ces familles, il fallait nous organiser pour leur permettre d’avoir accès à l’administration.

Dans l’optique d’accompagner les familles en difficulté de Xelcom Grand Yoff à trouver des extraits de naissance, nous avons fait les démarches pour saisir l’Officier d’État civil qui est la personne habilitée à gérer l’état civil de la commune au nom du Maire et du Président du tribunal départemental de Dakar. Il a promis de nous accompagner durant tout le processus.

Nous avons jugé nécessaire de recenser toutes les personnes qui étaient dans le besoin, famille par famille, pour en connaître le nombre, ce qui est déterminant pour faire déplacer le Juge du tribunal départemental en vue d’avoir une audience foraine pendant toute une journée. Les lignes suivantes vous permettront de comprendre toutes les étapes du processus et les différentes situations auxquelles nous avons fait face.

Ceux qui ont perdu leur papier

Cette démarche concerne les personnes qui ont déjà été inscrites mais qui ont perdu leur papier pour une raison ou une autre. Un registre est ouvert où il faut écrire le nom du père, de la mère et les dates de naissance des enfants.

J’étais chargé de transmettre le registre à Makane Kane, Officier d’État civil de la commune de Grand Yoff, afin qu’il fasse faire les recherches pour retrouver dans les archives les documents existants. Il y a une part de recherche dans les cartons d’archives et une autre dans les ordinateurs.

Ceux qui n’ont jamais été inscrits

(Ou qu’on n’arrive pas à retrouver dans les archives). L’autre démarche est d’attendre l’audience foraine. C’est une journée où le Juge se déplace dans la commune pour entendre les demandes des gens qui veulent être inscrits à l’État civil. Toutefois, seuls les enfants de seize ans et moins sont concernés.

Grand-Yoff, le 29 juin 2016, jour de l’audience foraine

Avant l’audience foraine, il fallait récupérer à l’État civil un certificat de non-inscription si on n’a pas de certificat d’accouchement. Il coûte 200 Fcfa et les parents doivent fournir une photocopie de la carte d’identité. Les deux n’ont pas à être présents.

Le jour de l’audience foraine, il faut arriver tôt pour obtenir son numéro.

  • Coût : 700 Fcfa.

  • Les deux parents ou un seul doivent être présents, mais avec les photocopies de la carte d’identité des deux parents, pour chaque enfant.

  • Il faut être accompagné de deux témoins présents avec la photocopie de leur carte d’identité légalisée, pour chaque enfant.

  • Il faut remplir une requête par enfant, fournie sur place, mais il faut aller la chercher à l’accueil de la mairie.

Les témoins doivent être capables de dire que l’enfant est bien celui des parents présents. Dans la réalité, le Juge n’a pas beaucoup de temps pour questionner les témoins. Mais la plus grande difficulté des familles est d’avoir des témoins qui possèdent une carte d’identité et qui peuvent être présents, ce qui peut leur prendre toute la journée.

Les parents doivent fournir une photocopie de leur carte d’identité, père et mère, une par enfant à inscrire. Il n’est pas nécessaire de faire légaliser. (Mais pour les témoins, oui).

Si l’un des parents n’a pas de carte d’identité, l’enfant peut être inscrit avec un seul parent. Toutefois, l’enfant ne peut porter que le nom du parent qui a fourni une carte d’identité. Ceci veut dire que l’enfant peut porter le nom de sa mère. Sauf que dans la perception sociale, cela voudrait dire qu’il n’a pas de père, ou est de père inconnu, etc.

Heureusement, si par après, le père se présente avec sa carte d’identité, le changement peut se faire au niveau du tribunal départemental, pour une transcription afin de changer l’extrait de naissance de l’enfant.

Les enfants qui n’ont pas atteint un an peuvent toujours être inscrits directement à l’État civil au moyen du certificat d’accouchement de l’hôpital ou ils sont nés, et d’une photocopie de la carte d’identité nationale du père et de la mère. L’inscription coûte 200 Fcfa pour le timbre.

Si l’enfant n’est pas né à l’hôpital, ce qui est en général très rare en milieu urbain, il suffit juste d’avoir deux témoins pour confirmer la naissance ou la faire constater par le chef de quartier ou le chef de village.

Sans attendre l’audience foraine, toute personne peut se présenter au tribunal pour obtenir un jugement d’inscription. Il suffit de se procurer un certificat de non-inscription et de faire une demande manuscrite de jugement, adressée au Président du tribunal départemental, avec deux témoins. Une date sera fixée pour recevoir et entendre tous les demandeurs. Cela coûte 4 600 Fcfa.

C’est le cas pour les adultes de dix-sept ans et plus. En outre, ils doivent faire leurs démarches dans leur lieu de naissance. Même si quelqu’un est né à Pikine, il ne peut pas faire sa demande à Dakar.

Des situations difficiles

Des parents étrangers, Guinéens par exemple, peuvent inscrire leurs enfants. Mais pour des grands enfants, il faut pouvoir prouver qu’ils sont nés au Sénégal. Les parents ont besoin de leur propre carte d’identité guinéenne. L’enfant a besoin d’un certificat d’accouchement. Un certificat de non-inscription n’est pas assez convaincant. Le Juge refusera.

Si un parent est décédé, il faut s’assurer que les noms entre la carte d’identité nationale du défunt, le certificat de décès et celui sur le certificat d’accouchement sont bien les mêmes. Sinon, le Juge peut refuser.

Sans certificat d’accouchement, les parents doivent être cohérents au sujet de la date de naissance de l’enfant. Si le parent dit « 8 janvier 2010 », il doit s’en rappeler jusqu’au jugement de l’audience foraine. Sinon, le juge peut comprendre que l’enfant n’est pas à eux.

Pour un enfant qui a seize ou dix-sept ans, l’État civil pourrait tolérer que l’âge soit diminué afin d’obtenir son extrait de naissance par l’audience foraine. Toutefois, ce n’est pas un jeu… Parfois, des parents veulent faire revoir l’âge à la baisse pour réinscrire l’enfant à l’école. Ce genre de changement a des répercussions à long terme. Si une fille est déclarée plus jeune, bien qu’arrivée à maturité physique, et qu’elle a des relations sexuelles, le partenaire pourrait être accusé de détournement de mineure si son âge déclaré est beaucoup plus jeune que la réalité. Cela a des conséquences également pour la retraite et pour le droit aux soins de santé gratuits pour les soixante ans et plus, ou pour toucher la retraite de la caisse de sécurité sociale : tout se trouvera décalé. La personne devra attendre d’avoir l’âge légal, même si son corps est déjà fatigué et/ou malade.

Ouvrir un avenir

À travers cette audience foraine, il fallait faire un pont entre l’administration et ces familles qui se disaient intouchables et sans avenir, pour qu’elles aient confiance en leur administration. L’administration, aussi forte qu’elle soit, doit toujours aller vers les plus fatigués en vue de ne laisser personne de côté.

El hadj Oumar Gueye

Juriste de formation, spécialiste en administration publique et gestion des collectivités locales, en passation des marchés publics partenariat public-privé et délégation des services publics, El hadj Oumar Gueye est chef de division des services techniques de la commune de Grand Yoff à Dakar. Il est également allié du Mouvement ATD Quart Monde au Sénégal.

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