Questions graves et joie partagée

Isabelle Pypaert Perrin

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Isabelle Pypaert Perrin, « Questions graves et joie partagée », Revue Quart Monde, 242 | 2017/2, 1.

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Isabelle Pypaert Perrin, « Questions graves et joie partagée », Revue Quart Monde [En ligne], 242 | 2017/2, mis en ligne le 15 décembre 2017, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6842

En voyage à Manille, je participe à une grande rencontre des membres d’ATD Quart Monde. Parmi les participants, plusieurs vivent avec les leurs au milieu des tombes d’un immense cimetière. D’autres habitent sous un pont ou dans des abris précaires où l’on ne peut pas se tenir debout. La veille, Rachel m’a montré où elle vit, dans les ruines d’un quartier du centre-ville détruit pour laisser passer bientôt une bretelle d’autoroute. Elle m’a dit : « Je reste ici parce que j’y ai trouvé des aides pour payer la scolarité de mes enfants. Et moi, ce que je veux le plus, c’est que les enfants aillent à l’école ! » Avec les autorités du quartier, elle a obtenu que sa famille et d’autres ne soient pas expulsées avant la fin de l’année scolaire. Cela offre quelques semaines de répit, mais où aller ensuite ? Des familles ont été relogées loin de la ville, dans des endroits isolés où il n’y a pas de travail et, avec le déménagement, la faim est revenue. C’est pour trouver de quelle façon on va continuer à avancer ensemble, comment on va rester proches, solidaires de tous, que l’on se réunit. Rachel est là, avec sa fille aînée. Il y a là aussi des personnes d’autres milieux qui refusent cette misère qui mine la vie de Rachel et celle de millions d’autres. Rachel participe à tout, elle donne ses idées, elle entraîne une maman plus timide. Pendant les deux jours que dure la rencontre, le sérieux des uns et des autres est impressionnant. L’attention est à son comble lorsque l’on évoque le combat pour la dignité de Maritza et d’Auri au Guatémala ou de Michel en Belgique. En même temps, les sourires illuminent les visages et les rires fusent très souvent. Les questions graves aussi. Waldo questionne : « Vous croyez que la misère peut être éradiquée ? Nous luttons depuis si longtemps. Qu’est-ce qui change ? » Le lendemain, il dira : « Ce qui me donne de la force pour continuer, c’est l’espoir que notre pays peut changer ». Le quotidien peut tellement étouffer l’espoir, mais les moments de rencontre où on se sent ensemble d’une même humanité, où on se sait reconnus porteurs d’un combat essentiel, créent la joie et renforcent le courage.

En 1982, à la veille d’un grand rassemblement du Quart Monde qu’il voulait comme une fête, le père Joseph Wresinski exprimait pourquoi de tels temps de rassemblement étaient indispensables : « Si la libération se creuse au cœur des quartiers, elle se réalise dans le rassemblement d’un peuple qui crie justice pour les autres. Car c’est cela la libération : laisser derrière ce qui entrave, et bâtir avec d’autres le futur sur les espérances qui dorment en nous. »

Isabelle Pypaert Perrin

Isabelle Pypaert Perrin est Déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde.

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