Des ponts vers le travail.

Gustave Bruyndonckx

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Gustave Bruyndonckx, « Des ponts vers le travail.  », Revue Quart Monde [En ligne], 161 | 1997/1, mis en ligne le 01 septembre 1997, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/691

Face à l’exclusion et au chômage de longue durée, des entreprises créent ensemble de nouvelles structures, des équipes sociales cherchent à devenir plus complémentaires des entreprises.

Au cours de l’été 1996, un groupe de dix-huit militants, volontaires permanents et alliés du Mouvement international ATD Quart Monde a effectué un voyage d’étude qui avait pour thème « le Quart Monde et les partenaires sociaux dans le Bénélux ». Deux actions originales, menées aux Pays-Bas, pour l’insertion des plus défavorisés dans le monde du travail ont particulièrement frappé les participants.

L’action intégrée de la ville d’Helmond

A Helmond, une fondation « Maatschappelijke Opvang Helmond » s’est constituée pour mettre en œuvre « un ensemble cohérent de dispositions en faveur de personnes qui sont en situation de crise ou en passe de l’être, qui sont sans logis ou en passe de l’être, en d’autres termes, qui peuvent être considérées comme vulnérables au sein de notre société ». Sont partenaires en son sein la commune, les services de l’emploi et des organisations privées. Des contacts sont entretenus avec les entreprises locales.

La démarche a démarré par la création d’un service d’aide aux sans-abri. Cette activité a révélé que, dans des situations de crise, tout se tient : l’absence d’emploi, le niveau de qualification professionnelle, la perte de logement, le sentiment d’exclusion... Au fur et à mesure que de nouveaux besoins se manifestaient, des services complémentaires ont été développés pour former aujourd’hui un ensemble cohérent et bien rodé, offrant la réhabilitation professionnelle des chômeurs de longue durée, l’accompagnement budgétaire, l’accompagnement préventif ou de crise en matière de logement, des activités valorisantes pour les personnes condamnées à l’inactivité.

En ce qui concerne la réhabilitation professionnelle, il existe un atelier de « remise en condition » où des groupes de vingt-cinq personnes produisent des jouets en bois pendant des stages variant de trois mois à un an. Ces stages ont pour but de rendre à leurs bénéficiaires un rythme et une discipline de travail, une habitude de vie en groupe, un minimum de confiance en soi avant qu’un contact avec des employeurs potentiels ne soit envisagé. La formation est « à la carte » et est basée sur les besoins de chaque individu. Le stage permet d’évaluer les capacités ; un emploi peut alors être recherché à moins qu’une formation complémentaire ne s’avère nécessaire.

Afin de donner aux employeurs un maximum de garanties, un animateur de l’atelier de réhabilitation maintient un contact quasi hebdomadaire avec les anciens stagiaires pendant plusieurs mois après leur entrée en entreprise. Cet accompagnement permet d’une part de résoudre rapidement les problèmes professionnels ou relationnels qui pourraient apparaître et, d’autre part, de corriger éventuellement le tir si l’emploi ne correspond pas suffisamment au profil du travailleur.

Les responsables s’impliquent tous personnellement de façon remarquable. Lorsque l’un d’eux a été questionné sur le pourcentage d’échec dans les placements - entre 10 et 15% -, il a répondu modestement : « A chaque échec, nous devons nous demander si notre évaluation était correcte et s’il ne faut pas envisager une autre solution ». Une approche humaine et globale qui semble en progrès sur celle, plus passive et plus fragmentée, de l' « assistance publique »

« Brug-en Instroomprojecten »

Fait inhabituel, les deux principales organisations syndicales des Pays-Bas - le CNV et le FNV - ont décidé en 1995 d’unir leurs efforts pour négocier des conventions collectives de travail organisant l’embauche de chômeurs de longue durée.

Ce qu’on appelle « Instroomprojecten » - projets-affluents - vise à découvrir des emplois latents dans les entreprises, notamment dans les P.M.E., dans l’espoir qu’ils deviennent des emplois durables. Cette création d’emplois est favorisée par la loi Melkert 2 qui octroie, pour les embauches complémentaires, une subvention égale à plus ou moins un tiers du salaire de la première année. Cette aide financière doit normalement couvrir le temps nécessaire à la personne embauchée pour rattraper son « retard » en matière d’expérience et de productivité.

Les « Brugprojecten » - projets-ponts - ont pour objectif de jeter des ponts entre le marché du travail et les chômeurs les plus fragilisés. Il s’agit de projets temporaires qui placent le demandeur d’emploi au centre des préoccupations. Les premiers « Brugprojecten » ont vu le jour en 1993 à l’initiative du CNV.

Le voyage d’étude en août 1996 comprenait la visite du « Brugproject » à la criée aux fleurs d’Alsmeer. Il s’agit du plus grand marché aux fleurs d’Europe. Il compte environ mille huit cents salariés. La convention collective conclue avec la criée avait prévu cent nouvelles embauches. La structure mise en place était légère : un comité de gestion regroupait les partenaires sociaux qui avaient signé la convention ainsi que des représentants de l’Office de l’emploi et de la commune. En principe, en font partie tous ceux qui participent au financement de la cellule. La personne qui conduisait le projet accompagnait les chômeurs depuis leur première prise de contact jusqu’au moment où, après l’embauche, on constatait que tout se déroulait à la satisfaction de chacun. Une tâche énorme qui explique pourquoi les cent embauches prévues ont été étalées dans le temps à raison de quinze à vingt personnes à la fois. Le projet « criée aux fleurs d’Alsmeer » qui avait démarré en juillet 1993 vient d’arriver à terme. Au total, cent dix-neuf chômeurs ont été remis au travail. L’Office de l’emploi d’Alsmeer envisage de prendre le relais avec un nouveau projet dans lequel seraient impliqués un bureau d’intérim, une organisation d’employeurs et un centre de formation professionnelle.

Fin 1995, près de soixante-dix projets - de l’un ou l’autre type - avaient été mis en chantier et avaient procuré du travail à plus de quatre mille chômeurs de longue durée. Dans un rapport d’activité rédigé en avril 1996, les responsables de la fondation « Brug-en Instroomprojecten » se déclaraient fiers d’avoir pu ainsi remettre des gens au travail. Non pour le nombre d’emplois offerts mais parce que chaque réinsertion est liée à une histoire. L’histoire d’une confiance en soi retrouvée, d’une fierté renouvelée, de la fin d’une dépendance vis-à-vis d’allocations. L’histoire de personnes « qui participent à nouveau » après des années de chômage. Un résultat obtenu par les demandeurs d’emploi eux-mêmes et par la volonté des employeurs et responsables syndicaux qui ont signé des conventions collectives innovantes.

Les « Brugprojecten »

Un appel est fait aux entreprises pour qu’elles offrent un certain nombre de postes de travail. Les modalités - recrutement, formation, salaires, calendrier, rôle des accompagnateurs... - sont fixées par conventions collectives négociées au niveau d’une entreprise ou d’un secteur. Les entreprises qui n’ont pas de perspectives d’embauche peuvent collaborer en « sponsorisant » un projet.

Le demandeur d’emploi est le point de départ de toute action. Les responsables du projet s’informent d’abord de ses souhaits, de ses capacités et des possibilités que lui offre le marché du travail. Puis, ils cherchent ensuite un emploi correspondant. Au besoin, on procède à une séance d’orientation professionnelle ou on organise une formation préalable.

Les responsables du projet garantissent à l’employeur que les candidats sélectionnés répondront aux besoins définis ; certains correctifs peuvent être apportés par une formation complémentaire ou par des remplacements. Après l’embauche, le responsable maintient le contact avec le travailleur et son employeur aussi longtemps que ceux-ci l’estiment nécessaire.

Gustave Bruyndonckx

Gustave Bruyndonckx est bruxellois. Après avoir été responsable d’entreprise et d’organisations professionnelles, il a anticipé sa retraite pour se consacrer à des projets sociaux et culturels. Il a participé au voyage d’étude du Mouvement international ATD Quart Monde « le Quart Monde et les partenaires sociaux dans le Bénélux » dont il fut à la fois l’intendant et l’interprète.

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